3-1-c- Etude de la proxémie selon Edouard Hall

« Le respect de la personne passe par le respect de son corps, de sa pudeur et de son intimité (…). Il faut chercher la bonne distance, le bon geste » (Dr Jupilet, 1998).

La question de l’intime peut être reliée aux travaux de Palo Alto, et plus spécifiquement à l’ouvrage de E. Hall « La dimension cachée » (1971), qui traite de la perception humaine de l’espace social et personnel.

Selon l’auteur, les sentiments réciproques éprouvés par deux interlocuteurs constituent un déterminant majeur dans l’élaboration des distances.

Il distingue en effet quatre types de distance :

Le fait que E. Hall (1971) perçoivent les individus comme entourés de « bulles invisibles » mesurables en centimètres, bien qu’à nuancer dans sa précision, sera prise en compte en terme d’indicateur complémentaire dans notre étude concernant la communication non verbale.

Le personnel soignant travaillant auprès de personnes désorientées est constamment confronté à ce problème relevant de l’intimité : leur travail implique une forte dimension relationnelle et un contact très rapproché, impliquant de fonctionner de manière professionnelle dans ce mode de relation intime à la personne démente.

Cette incursion dans la distance intime avec la personne démente va engendrer des confusions dans les représentations, auxquelles vont se rajouter des incompréhensions liées à l’écart générationnel, voire culturel et l’éventuel différence sexuelle avec la personne âgée démente : ainsi, la distance intime (comme par exemple le corps à corps lors d’une manipulation) va indubitablement enclencher une représentation sexuelle de la scène ; cette dimension va être refoulée et rendue acceptable grâce à une dimension dégénitalisée accolée à la personne. Celle-ci sera alors considérée comme asexuée, retombant en enfance ou bien comme « mort-vivant ». le caractère incestueux et perturbant de ce type de relation s’efface alors et permet d’accepter la distance intime à la personne démente.

Les soignants en contact avec des personnes démentes oscillent et parfois se perdent dans ces différentes instances. Par exemple, ils balancent entre la distance sociale et personnelle lorsqu’ils alternent vouvoiement et tutoiement à l’égard de la personne ; de même, la frontière entre les distances intimes et personnelles devient souvent floue lors de soins corporels ou lors de marques d’affection. Les menaces ou dangers quant à l’intégrité des personnes démentes lorsque les frontières de l’intime sont indélimitées doivent être prioritairement pris en compte, dans l’objectif d’une meilleure qualité de vie pour ces personnes.

Deux ans avant la publication de l’ouvrage de Hall traitant de la proxémie, une expérience originale avait été mise en place en 1969 par P. Sivadon à l’institut psychiatrique de Marcel-Rivière : sensible à l’approche systémique, ce médecin a conçu dans le cadre d’une prise en charge psychiatrique, une structure d’accueil permettant de rencontrer quatre grands types relationnels : l’isolement, la mise en place de petits groupes (3 à 12 personnes), l’élaboration de grands groupes (30 à 120 personnes) et enfin la participation à des rencontres de foules (plus de 200 personnes). Les quatre formes de distances interpersonnelles, théorisées par la suite par E. Hall, avaient alors été déjà distinguées.

La préoccupation de ce médecin d’offrir la possibilité de confrontation aux différentes situations relationnelles nous interpelle quant à la prise en charge actuelle des personnes âgées en structure gériatrique. Nous nous apercevons en effet que la vie en institution impose fréquemment, soit l’isolement en chambre, soit au contraire l’immersion en grand groupe dans les salles collectives. Il conviendrait de favoriser des temps privilégiés en petits groupes (ou groupes restreints), permettant l’émergence de groupes d’affinités.

Cette réflexion peut donner lieu à l’élaboration de groupes de parole animés par des psychologues, à la mise en place de différents ateliers (musique, relaxation, gymnastique douce, ateliers manuels,…) ou bien encore à des sorties à l’extérieur en comité restreint, accompagné par l’animatrice ou des soignants volontaires.

L’intérêt d’aménager des temps réguliers pour des groupes restreints consiste à favoriser, grâce à la dynamique de groupe instaurée par la régularité du lieu, des participants et du contenu de l’atelier, des réseaux d’affinités entre les participants.

Au niveau proxémique, nous remarquons enfin de la part des personnes âgées une tendance à provoquer des comportements de type maternage, évoquant la relation fusionnelle primaire. Cela induit chez certains soignants soit une relation de type « collage », avec une forme de dévouement excessive, soit des comportements de rejet pouvant engendrer une situation excessive inverse (désinvestissement total). La bonne distance avec ces personnes demeure souvent difficile à établir :

‘« Pour reprendre la référence winicottienne, il sera nécessaire alors de trouver un espace de distanciation afin d’accéder à la « bonne distance » dont parle A.Green à propos de la relation d’objet, celle même qui qualifie la mère « suffisamment bonne », et non plus totalement bonne, position qui permet à la personne âgée de se mouvoir dans un espace transitionnel nouvellement créé à l’intérieur duquel des limites et des points de repère deviennent accessibles » (M. Vaganay, 1988, p.69).’

Ainsi, les échecs relationnels peuvent être la résultante, non pas seulement de préjugés réciproques, mais de contresens dans l’interprétation mutuelle des comportements : un nombre conséquent d’échecs dans la communication pourrait être dû au fait que « les parties en présence n’avaient pas conscience d’habiter des mondes perceptifs différents » (E. Hall, 1971).

Ceci nous amène à nous interroger sur le sens donné à ces comportements non verbaux émis par les personnes âgées démentes, afin d’éviter les malentendus et de percevoir au mieux les messages et les demandes exprimées corporellement.