3-2-b- L’enjeu lié à notre apparence physique dans les conduites d’autrui à notre égard et dans nos propres comportements

Lorsque nous rencontrons une personne inconnue, notre premier aperçu se construit autour de quatre éléments permettant de la juger d’emblée : deux critères objectifs (nous sommes attentifs à ses caractéristiques physiques et à ses comportements observables) et deux indices subjectifs (ce que nous lui conférons comme éléments de sa personnalité supposée et comme comportements potentiels).

Concernant les éléments subjectifs, qui nous intéressent particulièrement, l’auteur constate que nous nous basons essentiellement sur les traits du visage pour un premier aperçu des caractéristiques globales d’une personne. Il est vrai que le visage exprime assez fidèlement les émotions de la personne et s’avère généralement l’outil non verbal le plus démonstratif d’emblée. Nous nous référons couramment au visage pour considérer un individu comme attrayant ou non : Mueser et al. (1984) confirment dans une étude citée par Bruchon-Schweitzer (1990) qu’une marque de tristesse apparente sur un visage génère de la part des observateurs des évaluations nettement plus négatives qu’un visage neutre ou exprimant de la gaieté. Cette observation nous amène à réfléchir sur nos attitudes contre-transférentielles vis-à-vis des personnes âgées dépressives, pouvant provoquer un réflexe de « rejet » défensif : personnes pouvant par exemple être moins stimulées pour les animations proposées par l’institution, ayant tendance à être laissées dans leur coin plus souvent car étant moins gratifiante (car manifestant moins leur contentement) et à qui l’on sourit moins…

Nous nous référons non seulement à l’expression faciale de la personne, mais aussi à son âge pour évaluer son aspect attractif : plus les sujets sont âgés, plus les personnes testées émettent des jugements sévères et négatifs. Bruchon-Schweitzer précise que cette constatation vaut pour toutes les classes d’âge, mais plus particulièrement chez les adolescents vis-à-vis de la population âgée. Cela traduit la représentation négative de la vieillesse que notre culture favorise, avec des stéréotypes fortement ancrés : les personnes âgées paraissent d’emblée tristes et peu attrayantes.

Une autre étude effectuée par Buckley (1983) et rapportée par Bruchon-Schweitzer (1990) introduit l’aspect vestimentaire comme critère déterminant pour évaluer l’attrait éventuel d’une personne : en fonction de l’apparence vestimentaire et des soins apportés à une personne (coiffure, bijoux, maquillage,…), celle-ci nous paraîtra significativement plus attrayante. L’attention que nous portons à l’apparence extérieure de la personne s’avère déterminante dans le jugement la concernant.

Il existe donc des attitudes stéréotypées prégnantes induisant notre jugement quant à l’attrait physique d’autrui, que nous pouvons rapidement résumer par la formulation de Miller : « ce qui est beau est bon ».

‘« Les sujets les plus attrayants des deux sexes sont jugés plus chaleureux, plus aimables, plus sensibles, plus intéressants comme compagnons, plus forts, plus équilibrés, plus sociables, plus ouverts (etc.) que les sujets les moins attrayants (…). Ce stéréotype a été confirmé par de très nombreux travaux, et il « tient » même si l’on fait varier l’âge, le sexe et l’ethnie des sujets cibles comme ceux des évaluateurs (… ) » (Bruchon-Schweitzer, 1990, p.97).’

Bruchon-Schweitzer cite de nombreuses études particulièrement éclairantes concernant l’impact de ces stéréotypes dans la relation thérapeutique : celle-ci apparaît plus pérenne et plus constructive lorsque le thérapeute et le patient sont de sexe opposé et d’attrait physique relativement équilibré (Cavior et Glowgower, 1973). L’auteur poursuit cette étonnante démonstration :

‘« L’attrait d’un thérapeute a un impact majeur sur son efficacité et sur la réussite du traitement, telles que les évalue le client (Vargas et Borkowski, 1983). En outre, il a été montré que l’attrait physique d’un thérapeute masculin facilite significativement chez son client (…) l’aptitude à donner des réponses sincères, spontanées et intimes sur soi (Kunin et Rodin, 1982) » (Bruchon-Schweitzer, 1990, p.117).’

A l’inverse, une relative attitude de rejet vis-à-vis des personnes ingrates physiquement peut engendrer un état de frustration tel, qu’il serait en mesure de produire des troubles comportementaux, en modifiant certains aspects de leur personnalité : cette attitude négative peut en effet bouleverser notre perception de soi. Les modèles stéréotypés impulsant ces mécanismes de rejet devant l’inesthétique sont ancrés socialement depuis la prime enfance.

Rosenthal (1973) formule la théorie de la « réalisation des prophéties » pour expliquer que nous tendons à devenir progressivement conforme aux attentes que les autres nous renvoient. Leurs comportements à notre égard modélisent les nôtres et entraînent une assimilation de la perception d’autrui en tant que perception de soi. Nos comportements deviennent alors progressivement conformes aux attentes projetées par notre entourage.

Ainsi, Bruchon-Schweitzer remarque que la disgrâce entraîne non seulement un jugement négatif chez l’autre, mais modifie la personnalité même du sujet disgracieux qui souffre fréquemment de troubles caractériels et émotionnels.

Nous pouvons croiser cette théorie avec celle de « la fonction circulaire », émise par Lerner et al. en 1977, selon laquelle nos comportements se calquent sur les attentes sociales nous entourant. Ainsi, une personne non attrayante (au physique ingrat) se conformera au jugement négatif de son entourage et renforcera cette perception en retour ; les jugements négatifs d’autrui vont donc être vérifiés par ses propres conduites, et entraîneront ainsi non seulement une assimilation (comme le suggérait la théorie de Rosenthal), mais une accentuation en feed-back de son appréciation négative la concernant. Cette théorie va donc plus loin que celle de Rosenthal, en introduisant l’idée d’une dynamique circulaire venant progressivement renforcer la perception négative d’autrui dans l’appréciation de soi.

Nous pouvons cependant introduire une certaine nuance concernant le fait que les sujets ne sont jamais totalement conformes aux attentes qu’ils suscitent, car ils n’adaptent pas littéralement leurs conduites aux perceptions que les autres ont d’eux : il se met en place une forme de compromis entre ce qu’ils souhaitent à leur égard et l’attente des autres les concernant.

L’intérêt majeur de cette théorie réside dans la prise en compte de ce que ces personnes induisent du fait de l’attente sociale. Concernant notre recherche, il nous paraît important de mettre en évidence les consensus émotionnels que les personnes âgées atteintes de DSTA produisent en nous, en ayant à l’esprit l’impact produit par les représentations sociales stéréotypées de la démence sénile, ainsi que l’impact des consensus sémantiques : qu’est-ce que cela implique de tomber d’accord sur l’agressivité d’une personne ? Est-ce que nous mettrons le même sens symbolique à ce terme s’il s’agit d’un enfant, d’un adulte ou d’une personne âgée atteinte de DSTA ?

Avec ces théories concernant l’impact relationnel de l’attrait physique, nous comprenons l’enjeu lié à notre apparence physique et son importance. Notre apparence va non seulement déterminer les conduites d’autrui à notre égard, mais également la perception de soi et nos comportements :

‘« On comprend dès lors l’importance des soins corporels et des techniques embellissantes dans notre société, qui visent, au-delà de motifs simplement esthétiques, une transformation du regard et des conduites d’autrui et l’acquisition d’une identité plus désirable » (Bruchon-Schweitzer, 1990, p.168).’

L’image du corps peut donc se modifier, évoluer au fil du temps et de nos expériences corporelles, ainsi que l’image de soi peut s’en trouver restaurée : évolution de la satisfaction de soi, identité personnelle fortifiée...

Les gratifications corporelles rehaussent l’image de soi, et ont une fonction non seulement renarcissisante, mais aussi structurante psychiquement.

Bruchon-Schweitzer apporte cependant une nuance à cette action :

‘« Ces modifications ne sont significatives que si ces expériences sont vécues comme corporellement agréables, si elles sont durables, et si elles permettent au sujet de verbaliser ce qu’il désire et éprouve au sein d’une relation personnalisée avec l’animateur » (Bruchon-Schweitzer, 1990, p.273).’

Certaines thérapies par le corps, que nous allons à présent évoquer, visent à restaurer une image du corps dégradé, en intervenant non seulement sur la réduction de l ‘anxiété corporelle, mais aussi en essayant de favoriser l’émergence ou le maintien d’une satisfaction corporelle.