3-2-c- Les approches psychothérapiques centrées sur la communication non verbale

Lors de crises de conversion hystérique, le sujet utilise symboliquement le support corporel pour exprimer des conflits inconscients relevant de l’indicible. Les formations substitutives constituent ainsi des compromis symboliques utilisés en substitut de la communication verbale.

Argyle et Dean (1965) 49 ont élaboré la théorie de l’équilibre intime, basée sur le concept de compromis économiques entre nos ressentis fluctuants : lors de nos interactions sociales, nous régulons et synchronisons constamment nos propos afin de conserver cette homéostasie relationnelle (en fonction de nos critères et seuils personnels). Ces critères, concernant notre forme de relation adéquate au niveau non verbal, ne doivent pas diverger de manière trop importante avec les conceptions de notre interlocuteur si nous souhaitons entretenir une relation empathique avec celui-ci.

Lorsque notre interlocuteur règle, consciemment ou non, sa motricité sur notre rythme parolier, nous parlons alors d’intersynchronie. Cette technique s’avère particulièrement utilisée par les professionnels formés à la P.N.L (Programmation Neuro-Linguistique). Cela permet de mettre en confiance notre interlocuteur, qui est mis à l’aise par cette attitude en miroir, rassurante par sa familiarité et la connivence qu’elle instaure.

Les écoles interactionnistes et systémiques ont développé la pratique de psychothérapies centrées sur les sensations corporelles et les significations qui en découlent : cela comprend l’ensemble des thérapies dites “ à médiation corporelle ” .

Le modèle de Palo Alto (1967) constitue quant à lui une approche psychothérapeutique d’analyse de la communication et prend sa source dans la cybernétique. Trois auteurs principaux sont à l’origine de cette approche : Watzlawick, Helmick-Beavin et Jackson. Ils considèrent que les notions de communication et de comportement sont pratiquement équivalentes, étant donné que tout comportement (verbal et non verbal) constitue un mode de communication et que toute communication affecte le comportement. Cela se résume par le célèbre axiome : “ on ne peut pas ne pas communiquer ”. Ainsi, tout comportement est un marqueur de signification et ceci, même quand l’expressivité non verbale est produite non intentionnellement.

Concernant notre sujet, nous en retenons que la personne âgée démente émet constamment des manifestations comportementales, que nous sommes en droit de questionner au niveau de leur finalité inconsciente : tout comportement ouvre et délimite une voie de communication avec l’autre.

La psychomotricité permet aux personnes âgées démentes de se réapproprier des « morceaux d’identité égarés » en travaillant sur leur image du corps. Cette rééducation basée sur la stimulation sensorielle agit donc sur la mémoire corporelle pour atteindre la psyché ; le corps dans son ensemble va être appréhendé et le psychomotricien agira sur les membres, mais aussi sur les gestes, la posture, voire les mimiques de la personne âgée. L’objectif consiste à ce que la personne puisse progressivement réinvestir son corps de la manière la plus positive possible, en favorisant l’expression de sensations corporelles agréables et ainsi l’émergence de souvenirs s’y associant :

‘« Notre corps tout au long de sa vie emmagasine des sensations liées à des sentiments et à des vécus affectifs, positifs ou négatifs. Certaines de ces sensations vont se déposer comme une lie dans nos souvenirs, laissant une empreinte dans notre subconscient. Cette empreinte régit nos actions et réactions chaque fois que la mémoire corporelle s’éveille face aux autres, face à un autre » (I. Schein, 1984, p.16).’

L’auteur souligne d’ailleurs avec pertinence que l’origine du mot « main » est double : en effet, « Yad » désigne en hébreu non seulement la main, mais aussi le souvenir… Cette double acception évoque selon nous la transmission symbolique, souvent incarnée par la main tendue et offerte aux générations suivantes : comme dans la chapelle Sixtine, la main tendue par Dieu à l’homme contient alors symboliquement toute l’histoire de l’humanité. D’ailleurs, les voyantes n’utilisent-elles pas les lignes de la main pour lire le parcours de vie de leurs clients ?

Dans la maladie mentale, le morcellement corporel témoigne de la rupture de communication qui s’établit entre le sujet et l’extérieur, renforcée fréquemment par la tendance à ne s’adresser que très peu à ces personnes malades. A l’image d’une phrase déliée, leur image du corps se fractionne et ne forme que des parties détachées :

‘« Rendre à ce corps son entité par le regard, par la parole adressée, par le contact médiatisé puis direct ; lui rendre sa sensibilité par le toucher partagé, éveillant et créant un souvenir des sens pouvant par la suite lui permettre d’assumer sa sensualité » (I. Schein, 1984, p.18).’

La mémoire corporelle correspond à une forme de mémoire affective, se percevant par l’intermédiaire des sens : cette « trace » corporelle ne constitue pas une perception élaborée par le sujet car elle n’a été ni mentalisée, ni n’a fait l’objet de représentations conscientes ; elle n’existe que sous la forme d’éprouvés psychiques, de ressentis diffus.

Certains vécus difficiles laissent des empreintes somatiques non élaborées :

‘« Le corps comme tension et support de la mémoire ; le corps comme rappel du temps qui s’écoule (…) » (C. Fortini, 1986, p.237).’

Leur expression somatique, sous forme de décharge émotionnelle, peut constituer un préalable à un déblocage de la parole. Verbaliser certains affects non mentalisés et non rattachés à une représentation symbolique ne peut s’effectuer dans certains cas sans une libération préalable, parfois impulsive, de fixations somatiques.

Mais ceci ne se vérifie pas uniquement quant aux affects corporels non mentalisés. Cela peut de notre point de vue s’appliquer de manière plus générale à l’ensemble des manifestations corporelles ; exprimer ses ressentis demeure capital pour permettre une prise de conscience et la verbalisation de nos éprouvés corporels constitue un préalable indispensable à tout travail d’élaboration constructif.

Nous ne faisons pas nôtre la réflexion de A. Pesso (1984, p.117), reprochant à Freud de considérer comme primordiale la valeur symbolique véhiculée par les mots et de réduire l’expression corporelle à une simple forme d’extraversion « trop concrète et sans symbolisme ». C’est à notre sens réduire sa théorie, qui par ailleurs a débuté par des travaux sur la conversion hystérique, et alimenter la mise en « compétition » et en antagonisme du somatique et du psychique…alors qu’il s’agit de travailler sur leur complémentarité et leur imbrication mutuelle.

De même, nous nous interrogeons sur la pertinence du concept de somatologie introduit par R. Meyer (1984, p.259) : il le qualifie comme science du corps qualitatif, au même titre selon lui que la psychologie ou la sociologie, et répondrait à une nécessité de pallier un vide conceptuel dans ce domaine. Selon cet auteur, la médecine isolerait trop le corps dans son expression somatique, et la psychologie quant à elle mettrait trop en exergue la prééminence de la psyché et du verbal sur le corporel.

Nous pourrions alors nous demander pourquoi restreindre le patient à se concentrer sur ses éprouvés psychiques, lorsque nous serions en mesure, il est vrai assez souvent, de s’intéresser aux manifestations corporelles qu’il pourrait ressentir ou que nous pourrions observer ?

Que faire des sensations éprouvées, des messages que nous envoie le corps et que nous ne devons pas occulter ?

M. Charazac-Brunel (1988, p.11) cite comme illustration à ce propos la phrase célèbre : « dire tout ce qui vient à l’esprit », qui renvoie indubitablement de manière orientée vers les pensées du sujet et non sur une écoute du corps.

Faudrait-il remplacer parfois cette expression par une formule plus large : « dites tout ce qui vous vient à l’esprit et ce que vous éprouvez dans votre corps » ?

En effet, comme le souligne M. Charazac-Brunel (1988), la personne âgée a souvent besoin de décrire des douleurs, des modifications corporelles… Cela constitue souvent un sujet de conversation investi par la personne ; que les propos souvent plaintifs soient justifiés ou pas sur le plan médical, la demande d’écoute est bien présente.

J.P Vignat (1988) note l’ambivalence de nos propos envers ces personnes âgées : tantôt nous évoquons le renforcement narcissique dont elles font preuve à travers ces plaintes auto-centrées, tantôt nous constatons un effondrement narcissique, lié à l’image dégradée qu’elles ont d’elles-mêmes.

R. Meyer, pourtant psychanalyste, parle de l’emprise, sinon de la tyrannie du mode de pensée psychanalytique vis-à-vis des thérapies à médiation corporelle, qui se développent largement depuis les années 60 en référence à des auteurs comme Reich ou Ferenczi. Il poursuit :

‘« Les psychanalystes reconnaissent au discours un contenu manifeste et un contenu latent ; mais il n’est latent pour eux que parce qu’ils ne regardent pas le corps et n’interrogent pas la voix. Le corps vit et exprime toujours plus que les mots ne peuvent contenir » (R. Meyer, 1984, p.261).’

Il est vrai que la situation analytique prive l’analyste d’un certain nombre d’indices corporels (gestes, mimiques) que peut exprimer le patient ; mais cela permet de se laisser plus facilement entraîner dans le discours du patient (on parle à ce propos de capacité de rêverie du thérapeute) et permet aussi au patient une situation apparente d’isolement psychique : lui non plus ne sera pas influencé par les manifestations non verbales du psychanalyste, pouvant parasiter l’entretien, et pourra se centrer sur son discours.

Cependant, la tonalité du discours, ainsi que la prosodie du patient, influencent le thérapeute qui ne peut en faire abstraction et qui d’ailleurs peut l’utiliser comme un marqueur émotionnel important.

Enfin, lorsqu’on parle de discours latent, ce n’est pas tant son expression qui s’avère latente, mais plutôt la prise de conscience du patient et sa possibilité de formalisation. Nous n’employons pas le terme « latent » pour exprimer ce que nous ne percevons pas, mais pour désigner ce qui n’est pas encore intégré consciemment par le patient.

Concernant les personnes âgées démentes, nous sommes tout à fait d’accord sur le fait que l’expression corporelle constitue fréquemment un élément d’appréciation précieux pour notre jugement. Au lieu d’aller chercher uniquement le latent dans la verbalisation, il nous faut aussi être vigilants aux manifestations corporelles. Ces éprouvés corporels alors mis en mots, permettent d’instaurer avec ces personnes un travail thérapeutique.

Notes
49.

COSNIER J. et BROSSARD A., (1984), La communication non verbale, p.175