3-3-c- L’évaluation de la douleur des personnes âgées démentes : illustration d’une prise en compte de l’échange non verbal.

L’exemple de la prise en charge de la douleur chez la personne âgée démente permet de comprendre l’avancée des réflexions concernant la prise en compte de la communication non verbale dans la démarche de soin.

Jusqu’alors, les soignants ne disposaient d’aucune échelle de mesure permettant d’évaluer collectivement et de manière suffisamment objective la douleur de la personne âgée incapable de s’exprimer verbalement. Evaluée jusqu’alors uniquement à l’aide d’appréciations subjectives, très fluctuante d’un soignant à l’autre, la douleur s’avérait fréquemment sous-diagnostiquée, notamment au stade palliatif de la maladie (Zvi Aminoff, 2004). Ceci apparaissait de manière d’autant plus flagrante que la personne âgée souffrait de troubles cognitifs (M.A. Laurent-Kenesi, 1996, p.309) (B. Wary, 2002, p.35).

Les échelles d’auto-évaluation, telle l’échelle visuelle analogique, montrent leurs limites quant au nombre d’utilisateurs potentiels : en effet, une personne âgée sur deux ne serait pas en mesure d’auto-évaluer sa douleur à l’aide de ce type de support (B. Wary, 2002, p.35). Cela serait dû notamment à la difficulté pour ces personnes à manier un outil relativement abstrait ; de plus, les éventuels troubles mnésiques perturbent l’évaluation, qui se fait en deux temps (sensée mesurer l’évolution de la douleur au fil du temps). Enfin, le risque de sous-évaluation de la personne âgée (par exemple par inhibition) ou au contraire de surévaluation (par anxiété, hypocondrie ou état dépressif) n’est pas négligeable.

L’échelle Doloplus se base sur l’observation comportementale de la personne âgée par les soignants. Validée en 1999, cet outil a été rapidement plébiscité pour sa maniabilité ; il se compose de dix items, comprenant trois grandes thématiques : le somatique (mimiques, plaintes somatiques, sommeil,…), le psychomoteur (mouvements possibles) et le psychosocial (communication, troubles du comportement et vie sociale). Pour chaque item, l’équipe soignante doit évaluer l’importance des troubles constatés, dans une échelle cotée de 0 à 3.

Selon M.A Laurent-Kenesi (1996, p.310), « l’expression non verbale de la douleur comprend des manifestations vocales, des modifications du faciès, du tonus, et des manifestations posturales ».

Ses travaux ont montré une corrélation entre le ressenti douloureux des personnes âgées démentes et leurs expressions faciales, leurs gémissements et leurs manifestations d’agrippement. Par contre, les cris, les mouvements désordonnés et l’opposition à la mobilisation ne constitueraient pas des critères pertinents et fiables de manifestations de douleurs chez ces personnes.

Enfin, selon une autre étude de J. Cohen-Mansfield et de P. Werner (1994), l’agitation verbale représente chez le sujet âgé un indice de souffrance physique ou psychique, ce que les auteurs nomment un « symptôme de disconfort ».

L’agitation verbale englobe l’ensemble des troubles verbaux « répétitifs, dérangeants et inappropriés ».

Quatre techniques distinctes sont utilisées par les soignants pour tenter de pallier cette agitation verbale ; Cariaga, cité par J. Cohen-Mansfield, les décrit en spécifiant leur pourcentage d’efficacité pour contenir l’agitation verbale de la personne âgée :

Nous constatons l’importance du maintien relationnel par le biais du contact tactile, lors de crises d’agitation verbale, afin d’apaiser la personne âgée démente. Celui-ci a une fonction rassurante et contenante pour la personne.

Yves Gineste (2004), initialement professeur de gymnastique, effectue des formations sur l’importance d’un toucher de qualité dans les soins : il enseigne notamment aux soignants travaillant auprès de personnes âgées démentes ce qu’il a nommé le « toucher tendresse » ; cette technique de « capture sensorielle » part de l’idée d’un possible langage authentique par le toucher, lorsque la communication verbale apparaît défectueuse. Selon Y. Gineste, 95% des manifestations agressives lors des soins pourrait être supprimées si ce type de toucher était enseigné et pratiqué par les soignants travaillant en gériatrie.

Concrètement, cette technique de toucher relationnel se base sur la notion de permanence du toucher : lors d’un soin, d’une toilette, d’une aide à l’habillage ou d’un transfert effectué auprès d’une personne âgée démente, les gestes doivent être fluides, contenants et sans interruptions brutales : lorsqu’un soin est commencé, il s’agit de toujours garder un lien tactile avec la personne, ne serait-ce que par le biais de micro-contacts.

Un toucher de qualité sera validant s’il se distingue du toucher utile : Y. Gineste introduit le concept d’humanitude, signifiant par là la nécessité de montrer implicitement à la personne que l’on n’éprouve pas de rebus à la toucher et qu’elle ne constitue pas pour nous un objet passif de soin : une relation s’établit par cette communication tactile, qu’il ne faut pas repousser mais plutôt favoriser.

Selon l’auteur, ce toucher tendresse est différent d’un toucher qui effleure : ce dernier sera davantage perçu comme un toucher sexualisé et manquant d’assurance, de contenance.

Cette méthode se base sur plusieurs idées clefs :

Cette approche du soin relationnel apportée aux personnes âgées démentes apparaît novatrice et particulièrement intéressante de par les questionnements qu’elle induit : les soignants participant à ce type de formation se trouvent sensibilisés à l’écoute des manifestations non verbales de la personne âgée et développent une autre perception des soins, beaucoup plus riche en échange et à notre sens plus gratifiante ; ce type de formation propose aux soignants une écoute active des manifestations agressives pouvant apparaître lors des soins, trop souvent vécue comme une source de perturbations incompréhensibles et ingérables.