Introduction générale

Un constat s’impose : beaucoup d’indices et d’analyses mettent en évidence un certain nombre de transformations dans la société en général et dans les villes en particulier 1 . Si l’on suit la leçon de F. Ascher (2001), les sociétés occidentales sont en mutation et entrent dans une nouvelle phase de la modernité qui voit évoluer profondément les manières de penser et d’agir, les relations sociales, les formes de la démocratie, ou encore la nature et l’échelle des enjeux collectifs. Pour cet auteur, ces mutations impliquent et rendent nécessaires des changements importants dans la conception, la production et la gestion des villes et des territoires ; elles mettent à l’ordre du jour la nécessité de se doter de nouveaux instruments capables de s’adapter aux enjeux et aux façons de penser et d’agir d’un nouvel urbanisme qu’il qualifie de « néo-urbanisme » 2 .

En tant qu’instrument privilégié de la puissance publique pour la mise en œuvre des politiques urbaines, la planification urbaine et territoriale se retrouve évidemment confrontée à l’ensemble de ces mutations. Depuis quelques années, chacun s’accorde à souligner que les outils traditionnels de la planification que sont les plans et les schémas directeurs ne sont plus adaptés pour mener efficacement les politiques urbaines. Nombreux sont ceux qui leur reprochent leur manque de flexibilité et leur incapacité à s’adapter aux évolutions socio-économiques, et qui voient dans les projets dits « de territoire » ou « d’agglomération » le moyen de pallier leurs carences intrinsèques.

Il est vrai que pour la communauté scientifique et encore plus pour les responsables élus et les praticiens, tout les oppose : à la logique « sectorielle », « rigide » et « imposée » du plan et du schéma, répond celle « transversale », « itérative » et « négociée » du projet 3 .

L’opposition entérinée ici entre la planification « traditionnelle » et la planification dite de « projet » tend notamment à valider l’idée qu’il y aurait une rupture complète entre ces deux modèles d’action. Dans cet esprit, le plan et le schéma directeur sont présentés comme un parangon de rigidité qui obère toutes capacités d’actions collectives, tandis que le projet apparaît comme la panacée permettant à la fois de mener efficacement l’action urbaine et de renouveler les relations entre le pouvoir politico-administratif et la société au niveau local 4 .

Pareil point de vue a notamment légitimé l’élaboration et la mise en œuvre du projet de territoire Nord-Isère que nous étudierons dans notre thèse : il devait permettre de surmonter les méfaits d’une surdose de planification urbaine qui avait plongé la ville nouvelle de L’Isle d’Abeau dans un état d’inertie ou d’échec pérenne. En prolongeant ici la métaphore utilisée par les aménageurs de la ville nouvelle 5 , d’un projet à la « Sisyphe », elle deviendrait ainsi par la mise en œuvre d’un projet de territoire, un projet à la « Pénélope », où l’issue est plus heureuse, car les aménageurs, en la défaisant et en la refaisant, parviendraient pour finir à la ramener à sa vigueur première.

Notes
1.

Depuis une vingtaine d’années, un certain nombre d’auteurs, de tous horizons, se sont attachés à caractériser les évolutions sociétales portées et déterminées par le nouveau processus de modernisation que connaît notre société occidentale, et à évaluer les types d’impacts qu’elles sont susceptibles d’avoir sur les villes et les modes de vie urbains. De manière générale, leurs analyses font ressortir cinq évolutions majeures : la métapolisation (i.e. les villes changent d’échelle et de forme) ; la transformation du système des mobilités urbaines ; la recomposition sociale des villes (i.e. l’individualisation des espaces-temps, l’apparition de nouveaux types de services publics) ; la redéfinition des relations entre intérêts individuels, collectifs et généraux ; les nouveaux rapports au risque
(i.e. la « risquisation » de la société ou la place grandissante prise par les préoccupations en terme de sécurité physique, économique, sociale, familiale).

2.

F. Ascher estime assister à l’avènement d’un processus de « révolution urbaine » qui est la conséquence de la nouvelle mobilité et des nouvelles technologies de réseaux. Pour cet auteur, les catégories qui étaient précédemment au cœur de la conception des villes doivent dès lors être revisitées, pour les actualiser ou les remettre en cause. Il appelle de ses vœux un méta-urbanisme issu de dispositifs négociés plutôt que de plans dessinés, de combinaisons de logiques d’acteurs, de solutions hybrides et de collages stylistiquement ouverts. ASCHER F., Métapolis ou l’avenir des villes (notamment le chapitre 7, « Quelle ville concevoir »), Paris,
Odile Jacob, 1995 ; ASCHER F., Les nouveaux principes de l’urbanisme : la fin des villes n’est pas à l’ordre du jour (notamment le chapitre 4, « Les principes d’un nouvel urbanisme », La Tour d’Aigues, éd. de l’Aube, 2001.

3.

Voir notamment CADIOU S., La cité de l’expertise. Savoirs et compétences d’experts dans le gouvernement des villes, Thèse de Doctorat en Sciences Politiques, décembre 2002, p. 119.

4.

NOVARINA G. (dir.), Plan et Projet, L’urbanisme en France et en Italie, Paris, Economica, 2003, pp. 77-98.

5.

Tout auréolé de positivité, le projet de territoire Nord-Isère est l’occasion pour l’établissement public chargé de l’aménagement de la ville nouvelle - l’EPIDA -, de « remettre l’ouvrage sur le métier pour revisiter les concepts conducteurs, les adapter aux temps nouveaux, et vérifier les cohérences ». Il est également l’outil qui leur permet « d’insuffler une nouvelle dynamique pour un territoire plus efficace, plus harmonieux et plus solidaire ». DURAND M.-A., Des projets urbains pour le Nord-Isère – Document général, EPIDA, 2004, p. 2.