L’évolution décrite précédemment tend à effacer toute continuité conceptuelle et méthodologique entre la planification « traditionnelle » et celle dite « de projet ». Pire elle les oppose. Le nœud du raisonnement adopté dans notre thèse consistera notamment à s’inscrire en faux contre cette opposition radicale.
Pour ce faire, la planification urbaine sera considérée dans notre recherche comme un mode d’action publique dans lequel le schéma et le projet deviennent deux dispositifs de même nature appartenant à la catégorie des plans d’action ; ces derniers étant entendus dans les termes de l’analyse de l’action publique, comme « l’ensemble des décisions de planification considérées comme nécessaires à la production coordonnée et ciblée de prestations administratives » 8 .
Cette hypothèse de recherche nous permettra de comparer ces deux dispositifs en faisant ressortir des ruptures et des continuités plutôt que des oppositions radicales. Ce positionnement implique notamment de dépasser les propriétés normatives du schéma et du projet en réorientant la réflexion vers les méthodes d’action. Dans cette perspective, l’analyse des ruptures et des continuités entre ces deux dispositifs portera à la fois sur leurs phases de conception et de mise en œuvre.
Nous souhaitons dénoncer par là une carence des travaux scientifiques portant sur la planification urbaine. Ces derniers ont en effet porté alternativement sur la phase de conception et sur la phase de mise en œuvre de la planification. Hormis quelques analyses d’inspiration marxiste du début des années 1970 qui ont abordé l’articulation entre ces deux phases, la plupart des recherches, et notamment les plus récentes, se sont focalisées uniquement sur les activités liées à sa mise en œuvre.
Si l’articulation entre les phases de conception et de mise en œuvre a rarement été abordée, il faut aussi souligner que la plupart des travaux de recherche ont négligé la dualité entre les aspects substantiels (i.e. le contenu) et institutionnels 9 (i.e. les modes de faire) de la planification urbaine. Là encore, les analyses d’inspiration marxiste du début des années 1970 ont étudié à la fois le contenu et les modes de faire de la planification. Mais la plupart de ces approches se sont progressivement focalisées sur la constante distorsion entre le discours et la pratique, contribuant à privilégier l’étude du contenu social des schémas directeurs et leur impact idéologique sur la scène politique locale au détriment des modes de faire et des problèmes de « praxis publique ». Les décennies suivantes sont au contraire marquées par la neutralisation des analyses portant sur les problèmes idéologiques et symboliques de la planification au profit des analyses centrées sur ses modes de faire.
Notre approche sera quant à elle conçue de façon à tenir compte de la dualité des aspects substantiels et institutionnels du schéma directeur et du projet de territoire. Une prise en compte simultanée et une pondération de ces deux catégories sont d’ailleurs indispensables, car l’opérationnalisation de ces dispositifs dépend d’une certaine manière du degré de différentiation de leurs éléments substantiels et institutionnels et, plus encore, de la cohérence entre ceux-ci.
Notre analyse des ruptures et des continuités entre le schéma directeur et le projet de territoire portera donc sur deux dimensions : l’articulation entre leurs phases de conception et de mise en œuvre, et l’articulation entre leurs aspects substantiels (i.e. leur contenu) et institutionnels (i.e. leurs modes de faire). Cette approche transversale impliquera notamment de positionner l’analyse de la planification urbaine à la croisée des sciences de l’espace et des sciences de l’action.
Knoepfel P., Larrue C., Varone F., Analyse et pilotage des politiques publiques, Helbing et Lichtenhahn, Genève-Bâle-Munich, 2001, p. 226.
Dans les termes de l’analyse des politiques publiques, le contenu substantiel recouvre essentiellement les enjeux liés à la manière de résoudre le problème reconnu comme public. La dimension institutionnelle englobe les modalités procédurales et organisationnelles de la formulation et de la mise en œuvre de l’action publique (« Quels acteurs vont intervenir, avec quelles ressources et selon quelles règles de jeu institutionnelles ? »).