Terrain d’étude : la ville nouvelle de L’Isle d’Abeau

Nous présentons ici notre terrain d’études puis nous évoquerons les deux raisons essentielles qui nous ont poussés à étudier spécifiquement le SDAU de la ville nouvelle et le projet de territoire Nord-Isère.

La Ville Nouvelle est née pour l’essentiel des hypothèses de l’organisme d’études d’aménagement d’aire métropolitaine de Lyon – Saint-Etienne – Grenoble approuvées lors du comité interministériel d’aménagement du territoire le 26 mai 1970. Ces hypothèses se sont traduites dans un SDAU lancé en 1971 qui fixe les principes fondateurs de l’aménagement urbain et territorial. Ils reflètent bien la vision hiérarchisée et quelque peu mécaniste qui prévaut dans l’aménagement du territoire de l’époque. La ville nouvelle doit être un pôle de fixation de la croissance urbaine de la métropole lyonnaise. La recherche de l’équilibre habitat/emploi, la création de tous les équipements collectifs et la réduction de l’importance des migrations alternantes sont les conditions nécessaires pour atteindre ce premier objectif. Elle a également une vocation régionale, celle de compléter l’armature urbaine de la région en renforçant les axes Lyon-Grenoble, Lyon-Chambéry-Annecy-Italie. Elle doit aussi animer et organiser le Bas-Dauphiné, région en développement mais privée de centre urbain de taille suffisante.Le troisième objectif est de faire de la ville nouvelle un pôle d’innovation en devenant une opération pilote d’urbanisme. Innovation en terme de « profil de ville » tant par sa fonction, qui allie le rôle de satellite d’une grande métropole à celui d’un centre de rayonnement régional, que par le caractère de « ville verte » , de « ville campagne ».Pour atteindre cet objectif, sont privilégiées des densités faibles, une structuration de la ville en petites unités selon un mode polycentrique nécessitant la mise en œuvre d’une hiérarchie dans les niveaux de centralité.

Le projet de départ s’inscrit dans une phase de croissance rapide, de caractère extensif. Les perspectives démographiques de l’époque envisagent l’accueil de 250 000 habitants dans le périmètre du SDAU qui englobe notamment La Verpillière et Bourgoin-Jallieu, les principaux centres urbains du Nord Isère (voir carte n°1, page suivante). Ces prévisions sont vite devenues caduques. Si ce périmètre regroupe aujourd’hui 107 000 habitants (1999), il faut surtout retenir que la population des cinq communes englobées dans le Syndicat d’Agglomération Nouvelle (SAN) de L’Isle d’Abeau(Four, L’Isle d’Abeau, Saint-Quentin-Fallavier, Vaulx-Milieu et Villefontaine) est passée de 4 180 habitants au recensement de 1968 à 38 769 à celui de 1999 (ce qui représente 50% de la croissance démographique du SDAU) ; celle de Bourgoin-Jallieu, la ville voisine, a évolué de 19 941 à 22 947 habitants.

Carte n°1 : La ville nouvelle de L’Isle d’Abeau : la difficile articulation des échelles de conception et de mise en oeuvre
Carte n°1 : La ville nouvelle de L’Isle d’Abeau : la difficile articulation des échelles de conception et de mise en oeuvre

Force est de constater que le ralentissement du rythme des migrations résidentielles vers la ville nouvelle, l’évolution des modes de vie, l’aspiration à des densités plus faibles, combinés à certains choix d’aménagement, et le dimensionnement de certaines infrastructures ont conduit à produire la ville nouvelle dans un « habit trop grand ». Le concept initial de « ville verte » ou « ville à la campagne » (avec un fort pourcentage d’habitat individuel), voire la structuration en petites unités à l’échelle de gros villages ou de bourgades s’est plutôt traduit par défaut. L’organisation urbaine apparaît aujourd’hui sous forme de pôles assez dispersés et fortement dédiés soit à des fonctions résidentielles, soit d’activités, ayant chacun leur caractère spécifique, mais sans structure d’ensemble et sans identité commune. Les fonctions de centralité et de service, attachées à la notion de ville, ne sont pas constituées, et si elles existent aujourd’hui, c’est à Bourgoin-Jallieu principalement qu’on les trouve. Malgré une montée en puissance progressive qui en fait un pôle de population et d’emploi au sein de la couronne lyonnaise, la réalité de la ville d’un point de vue urbanistique n’est pas complètement affirmée.

A l’issue de trente années consacrées à la mise en œuvre du projet de ville nouvelle proprement dit, les responsables de l’Etat, des collectivités locales et des institutions concernées ont compris que le processus de développement de ce territoire arrivait à un tournant et qu’une réflexion stratégique, à une échelle plus large, devenait nécessaire pour éclairer l’avenir. Un travail important a été conduit sous l’autorité des préfets qui a débouché sur le rapport « L’Isle d’Abeau 2015 » en 1998. Cette démarche a permis de mobiliser les partenaires et de leur faire partager à l’appui d’analyses et de diagnostics, les aspects positifs et négatifs d’une situation qui appelle une réponse politique, un élargissement et un renforcement de l’intercommunalité, une nouvelle approche des rapports entre l’Etat, les collectivités locales et l’établissement public d’aménagement (EPIDA).

La création en octobre 1999 d’un syndicat d’études, le SATIN 12 (voir carte n°1, p. 10), regroupant trente et une communes puis vingt-sept en 2001 donne de nouvelles dimensions à l’intercommunalité en réalisant les études préalables qui permettront de préciser les enjeux d’aménagement et de développement du territoire Nord-Isère. Le SATIN a défini un projet de territoire, le projet de territoire Nord-Isère (voir carte n°2, page suivante), piloté par l’EPIDA qui assure en quelque sorte la déclinaison spatiale et opérationnelle de « L’Isle d’Abeau 2015 ».

Carte n°2 : SDAU de la ville nouvelle, Projet de territoire Nord-Isère, et Etablissement public d’aménagement : des périmètres pratiquement équivalents
Carte n°2 : SDAU de la ville nouvelle, Projet de territoire Nord-Isère, et Etablissement public d’aménagement : des périmètres pratiquement équivalents

© EPIDA / S. Rabilloud / C. Balvay

Les réflexions issues de ce processus ont alimenté des démarches à plusieurs échelles, impliquant des acteurs variés dans des procédures multiples : la Directive Territoriale d’Aménagement de l’aire métropolitaine lyonnaise, le diagnostic du Schéma de Cohérence Territoriale Nord-Isère, le Contrat d’agglomération Nord-Isère signé en 2005 qui vient notamment compléter le Contrat de Développement Rhône-Alpes conduit sous l’égide de la Région, le Contrat de ville Nord-Isère, les Projets d’Aménagement et de Développement Durable des PLU communaux…

Ce véritable précipité de procédures contractuelles et planificatrices auquel s’ajoute l’entrée dans le droit commun de la ville nouvelle le 1er janvier 2006 a conduit, malgré de nombreux blocages au niveau des communes du SAN 13 , à la création de la communauté d’agglomération Porte de l’Isère (CAPI) le 1er janvier 2007. Celle-ci englobe vingt communes autour de la ville nouvelle et de Bourgoin-Jallieu (Voir carte n°3, page suivante). Juste retour de l’histoire dans la mesure où la ville nouvelle englobait jusqu’en 1978 vingt et une communes pratiquement sur le même périmètre 14 .

Pourquoi retenir la ville nouvelle de L’Isle d’Abeau comme terrain d’étude ?

Afin d’appréhender pleinement les ruptures et les continuités entre la planification « traditionnelle » et celle dite de « projet », nous avons fait le choix de comparer le SDAU de la ville nouvelle et le projet de territoire Nord-Isère pour deux raisons essentielles ; outre bien entendu le critère essentiel de faisabilité, i.e. l’assurance préalable de « l’accès au terrain », facilité ici de par notre statut de salarié de l’Etablissement Public d’Aménagement de la ville nouvelle de L’Isle d’Abeau (EPIDA).

Carte n°3 : Deux nouveaux périmètres d’action en 2007 : la communauté d’agglomération Porte de l’Isère (CAPI) et l’Etablissement Public d’Aménagement Nord-Isère (EPANI)
Carte n°3 : Deux nouveaux périmètres d’action en 2007 : la communauté d’agglomération Porte de l’Isère (CAPI) et l’Etablissement Public d’Aménagement Nord-Isère (EPANI)

© EPIDA / S. Rabilloud / C. Balvay

1/Premièrement, la fin du statut d’Opération d’Intérêt National (OIN) de la ville nouvelle, qui est une disposition spécifique dans le droit de l’urbanisme 15 , révèle avec une intensité plus forte que pour d’autres territoires, le passage d’un modèlede planification fondé sur les notions de plan et de schéma - que nous qualifierons d’idéal-type 16 - à un modèle de planification fondé surla notion de projet. Analyser ce passage à travers le prisme de la ville nouvelle permet surtout de grossir, à la manière d’un miroir déformant, les différences et/ou les similitudes entre ces deux modes d’action publique, tant au niveau de leur contenu que de leurs modes de faire.

2/Deuxièmement, le passage d’un modèle d’opération planifiée essentiellement conduit par l’Etat et son bras armé, l’EPIDA, à un nouveau modèle de planification territoriale fondé sur des relations non plus d’autorité avec le local mais de coopération à travers le projet de territoire, coïncide avec la réorganisation politico-institutionnelle de la ville nouvelle. La conjonction de la prise en main des politiques urbaines par les élus locaux et de la mise en œuvre d’une nouvelle autorité d’agglomération englobant L’Isle d’Abeau et une partie de sa périphérie nous dévoile non seulement la manière dont le projet de territoire est défini mais aussi comment il participe d’une stratégie plus globale de réorganisation institutionnelle.

Au final, le contexte actuel de mise à plat d’un tout (un territoire, un projet, des objectifs, une méthode et des pratiques) nous donne ici les moyens de pouvoir explorer pleinement l’évolution des pratiques publiques de gestion des espaces urbanisés.

Notes
12.

Le Syndicat d’études pour l’Aménagement du Territoire de l’Isère Nord (SATIN) reprend plus ou moins les contours du SDAU de la ville nouvelle qui porte sur trente trois communes (voir carte n°2, p. 12).

13.

Voir à cet égard, RABILLOUD S., « L’Isle d’Abeau ou le blocage de la construction politique de l’agglomération », in VADELORGE L., Gouverner les villes nouvelles. Le rôle de l’Etat et des collectivités locales (1960-2005), Paris, éd. Manuscrit Université, 2005, pp. 339-358 ; RABILLOUD S., SCHERRER F.,« L’Isle d’Abeau : la difficile naissance politique de l’agglomération », Pouvoirs Locaux, 2004, n°60, Vol. 1,pp. 52-58.

14.

A l’exception notable de quelques communes au Sud, en direction de Grenoble : Meyrié, Nivolas-Vermelle, Sérézin-de-la-Tour, Les Eparres, Badinières.

15.

Le concept d’OIN a été légalisé par l'article L 121-12 du Code de l'Urbanisme, issu de l'article 47 de la loi du
7 janvier 1983. Son utilité a surtout été celle d'une « épée de Damoclès ». Sans entrer plus avant dans les détails, les dispositions relatives aux OIN confirment la priorité des objectifs de l'Etat sur ceux des collectivités locales.

16.

Témoignages aboutis d’une tentative d’urbanisme d’Etat entièrement planifié, les villes nouvelles ont utilisé un cadre technique et politique différent des autres nouveaux ensembles urbains produits à la fin des
Trente Glorieuses. Elles constituent en cela une « enclave » dans les processus de planification territoriale
et d’urbanisation en cours. Surtout, la conception globale des villes nouvelles repose totalement sur une visée téléologique qui les légitime en retour : ici la « fin » est l’image de villes achevées, répondant à la planification des besoins puis de la réponse technique qu’on pouvait leur apporter.