Regards sur la planification urbaine

Le débat scientifique sur la planification urbaine s’ouvre réellement suite à la conjonction de deux événements qui font se rencontrer et collaborer les planificateurs et les chercheurs en sciences sociales 21 . Le premier, qui s’inscrit dans le mouvement de la planification, consiste dans un ensemble de mesures, d’ordre institutionnel et législatif, par lesquelles l’Etat se dote de moyens nécessaires à la maîtrise globale de l’urbanisation : création d’un ministère de l’Equipement en 1966, issu de la fusion et de la réorganisation de deux administrations jusque là séparées, et préparation de la loi d’orientation foncière de 1967, accompagnée d’un foisonnement de réflexions et d’innovations organisationnelle sans précédent.

Le second consiste dans le séisme social de mai 1968, qui fragilise profondément les certitudes idéologiques des technocrates urbanistes et fait émerger de nouvelles formes de luttes de classes. Les pouvoirs publics cherchent dès lors à comprendre les raisons des résistances populaires aux changements de vaste envergure mis en chantier par les planificateurs, et suscitent la recherche en un grand nombre de lieux.

Le Centre d’études des groupes sociaux dirigé par P.-H. Chombart de Lauwe, devenu le Centre de sociologie urbaine, investit, à ce moment là, ce qui était en quelque sorte le point aveugle de la théorie ethno-psychosociologique des besoins développée jusque là. En passant d’une sociologie pour planificateurs, à une sociologie des planificateurs et de la planification, les chercheurs se donnent les moyens de comprendre, de façon critique, le comportement des pouvoirs publics. Ils étudient ainsi l’intégralité du processus d’un changement planifié 22 , les acteurs du changement autant que les récepteurs.

Le début des années 1970 constitue une période assez exceptionnelle de recherches surles SDAU et la planification urbaine. Elle est marquée par de grandes ambitions étatiques (comme la création des villes nouvelles) et une problématiquepartagée entre chercheurs etresponsables étatiques, mettant l’Etat,la politique urbaine et les classes sociales au cœur des réflexions.

Le rapprochement entre l’univers de la recherche contractuelle et les planificateurs culmine en 1974 lors du colloque de Dieppe intitulé « Politiques urbaines et planification des villes ». Il célèbre en quelque sorte « l’étonnant mariage entre une science contemptrice du pouvoir et une technocratie en mal de certitudes » 23 .

Cette effervescence des années 1970 contraste fortement avec l’évanescence de la période suivante qui s’achève au début des années 1990. Les recherches portent en effet davantage sur les logiques de pouvoir et d’équipement, sur la transformation des rapports Etat-collectivités territoriales, et surtout sur l’analyse de l’évolution des modes de vie et des pratiques individuelles et sociales dans la ville. La période de la décentralisation est ensuite marquée par l’immersion des collectivités locales dans les problématiques du développement économique et de la compétition urbaine, et par la montée du côté de l’Etat de la préoccupation du développement social. Les thèmes de recherche s’orientent dès lors principalement sur le développement économique, le développement social, la métropolisation, le management urbain, les services urbains et les espaces publics.

Il faut attendre le début des années 1990 pour voir s’esquisser un retour des questionnements de la recherche sur la planification urbaine. Bien qu’ils ne témoignent pas d’un renouvellement problématique et théorique particulier, ils insistent sur l’émergence de la planification urbaine dite « stratégique ». Plus proche d’un management public urbain, elle essaie de faire partager aux acteurs locaux un projet d’avenir commun en privilégiant des méthodes de décision et de gestion largement empruntées au management des entreprises, et des modes de réalisation associant de façon approfondie et en partie renouvelée des acteurs publics et privés. Cette nouvelle approche prépare en réalité le référentiel actuel de la recherche urbaine qui porte essentiellement sur le renouvellement des outils et des méthodes de la planification à travers la transformation des dispositifs légaux.

La plupart des programmes de recherche urbaine lancés à l’heure actuelle 24 font une place significative à la planification urbaine en la replaçant dans un mouvement plus général de territorialisation des politiques publiques et d’émergence des communautés d’agglomération ou urbaine. Ils observent ainsi l’évolution des pratiques publiques sous-jacentes à l’application de nouveaux dispositifs de planification essentiellement mis en œuvre par la loi solidarité et renouvellement urbains (SRU). Certaines investigations accordent par ailleurs une attention particulière aux ressources mobilisées par les acteurs pour faire valoir leurs valeurs et leurs intérêts dans la formulation des projets d’agglomération ou de territoire. D’autres encore examinent comment la planification urbaine, associée à la construction des intercommunalités, peut produire de nouveaux territoires.

Notes
21.

Le dialogue entre acteurs et chercheurs s’inscrit globalement dans une tradition, instituée par la Délégation Générale à la Recherche Scientifique et Technique (DGRST) au milieu des années 1960. Voir à cet égard, DGRST-DAFU, Réflexions et Questions. Les aménageurs s’adressent aux chercheurs, Programme pour le
VIIe Plan de la recherche urbaine
, Paris, 1977.

22.

Voir à cet égard, CENTRE DE SOCIOLOGIE URBAINE, La gestion par objectifs dans la planification urbaine, Paris, CSU, 1972, 191 p.

23.

LASSAVE P., Les sociologues et la recherche urbaine dans la France contemporaine, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 1997, p. 47.

24.

Le PUCA et la DATAR ont notamment lancé en 2002 un programme de recherche intitulé « Planifier aujourd’hui ». Il s’inscrit comme l’un des éléments de programme finalisé du PUCA « Organiser les territoires ». Nous pouvons également citer deux projets de recherche : celui intitulé « Nouveaux dispositifs de planification territoriale et gouvernements urbains » fait partie du programme de recherche « Thématiques Prioritaires
2003-2005 » de la région Rhône-Alpes. Il est conduit par l’Institut d’Urbanisme de Lyon, en collaboration avec le laboratoire « Territoires » de Grenoble ainsi que le réseau régional des Agences d’Urbanisme. Celui intitulé « Entre stratégies territoriales et gouvernements urbains : quelle évolution pour la planification urbaine en Europe ? », et qui a été lancé en 2005, est conduit conjointement par les Instituts d’Urbanisme de Lyon et de Grenoble pour le compte du PUCA et du ministère de l’Equipement.