Nous rappelons ici que nous utilisons la notion de domaine scientifique dans son acception classique. Le domaine scientifique recouvre pour nous le lieu de production de l’ensemble des savoirs et des connaissances scientifiques relatifs à la planification urbaine.
Il est tout d’abord logique que la coalition singulière dans les années 1970 entre les chercheurs en sciences sociales et les planificateurs ait constitué la planification urbaine comme undomaine scientifique relativement autonome au sein de la recherche urbaine. Mais la démarche n’est pas quelconque car « elle est celle d’un commanditaire qui détient le pouvoir de financement et qui a sa propre représentation de la société et de ce qu’il attend des sciences sociales » 25 . Les réponses sont en réalité fortement orientées et les grilles de lecture proposées sont désormais périmées pour interroger le sens et la portée du renouveau actuel de la planification urbaine.
La planification s’inscrit ensuite dans la recherche urbaine comme un domaine scientifique incertain tant les sciences sociales n’en font plus un sujet de recherche à part entière. Il faut attendre le début des années 2000 pour voir s’esquisser les prémices d’une approche transversale et compréhensive de la planification urbaine. Ces travaux peuvent certainement (re-)constituer la planification comme un domaine scientifiquerelativement autonome au sein de la recherche urbaine. Notre thèse elle-même participe de cette ambition.
En revanche, si la plupart des travaux de recherche abordent désormais de nombreux aspects de la planification urbaine, nous verrons qu’ils demeurentlacunaires sur deux dimensions essentielles. Les recherches actuelles ne portent quasiment pas surl’articulation entre la phase de conception et la phase de mise en œuvrede la planification urbaine, de même qu’elles négligent très souvent l’analyse de la dualité entre ses aspects substantiels (i.e. le contenu) et ses aspects institutionnels 26 (i.e. les modes de faire).
Or, ces deux dimensions ne sauraient être occultées. Si l’on suit la leçon de J.-G. Padioleau 27 , les aspects substantiels (ou les « problèmes-objets ») et les aspects institutionnels (ou les « problèmes d’action et de praxis publique ») de la planification sont de fait des phénomènes couplés ; ils appellent de concert des « solutions », des réponses, mais aussi des « règlements ». Par ailleurs, les problèmes de « praxis publique » (i.e. les questions déclenchées par l’entrée en jeu de l’agir collectif ou par son absence) apparaissent sans cesse, tant lors des processus de mise en œuvre qu’à l’occasion de la conception et de la mise en forme des problèmes.
Notre analyse de la planification urbaine portera donc sur ces deux dimensions nécessaires à l’appréhension des ruptures et des continuités entre la figure « classique » de la planification reposant essentiellement sur la procédure de schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme, et celle privilégiant la démarche de projet.
AMIOT M., Contre l’Etat, les sociologues, Eléments pour une histoire de la sociologie urbaine en France (1900-1980), Paris, Éd. de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, 1986, p. 52.
Dans les termes de l’analyse des politiques publiques, le contenu substantiel recouvre essentiellement les enjeux liés à la manière de résoudre le problème reconnu comme public. La dimension institutionnelle englobe les modalités procédurales et organisationnelles de la formulation et de la mise en œuvre de l’action publique (« Quels acteurs vont intervenir, avec quelles ressources et selon quelles règles de jeu institutionnelles ? »).
PADIOLEAU J.-G., op. cit., 2000, pp. 115-116.