1.1.2.1. Délimitation de la recherche aux projets de territoire

Les recherches de P. Ingallina (2003), V. Claude (2000) et R. Prost (2003) nous permettent de clarifier la notion de projets urbains en fonction de leur échelle d’intervention 50 . Trois grands types de projet peuvent être distingués : le projet de territoire, le projet urbain complexe, et le projet d’édifice.

Le premier type regroupe les projets dits « de territoire », « de ville », « d’agglomération », ou « de développement ». C’est la notion la plus récente de « projet urbain ». Il couvre tout le territoire communal ou intercommunal. Son objet est de définir une ambition pour la ville et les orientations stratégiques de développement pour le moyen ou le long terme. A titre d’exemples : asseoir la position internationale de Lyon et de son agglomération, devenir le troisième pôle de l’aire métropolitaine lyonnaise pour le territoire Nord-Isère.

Il comprend généralement, selon des pondérations variables, quatre grands volets 51  : un volet économique qui exprime les axes et les objectifs prioritaires en termes de développement économique, d’attractivité, d’emploi… ; un volet social affichant des objectifs en termes de solidarité, de lutte contre les ségrégations socio-spatiales, de construction d’une identité collective… ; un volet spatial pouvant, par exemple, retenir des localisations pour l’implantation d’entreprises, requalifier des zones dévalorisées, créer de nouvelles centralités urbaines, désengorger le centre ancien… ; un volet environnemental fixant les orientations de l’agglomération en matière de protection de l’environnement et de gestion des ressources.

L’article 26 de la loi Voynet du 25 juin 1999, dite Loi d’Orientation pour l’Aménagement et le Développement Durable du Territoire (LOADDT), définit notamment les orientations du projet de territoire en déclinant ces mêmes volets 52 . Surtout,l’idée clé est qu’il doit être évolutif, souple, réactif, ni figé, ni fini pour être en mesure de s’adapter aux évolutions et aux incertitudes. Il est donc pensé pour être réversible, sans limites temporelles 53 et pour servir de guide à l’action 54 . Il est nécessairement initié (a minima) par les pouvoirs publics locaux. Il a dès lors la particularité d’être inséparable du pouvoir politique, même s’il ne s’y réduit pas comme il est inséparable des opérateurs chargés de le mettre en œuvre.

Le second type renvoie aux projets d’aménagement urbain que l’on retrouve aussi sous l’appellation « projets urbains complexes » ou « grandes opérations d’urbanisme ». Contrairement aux projets de territoire, ils se traduisent par une transformation concrète de l’espace et sont bornés dans le temps, sur des périodes longues, rarement moins de dix ans et pouvant aller jusqu’à vingt-cinq ans. L’objet porte ici sur les choix d’urbanisation et de transformation de l’espace et de ses usages. Ils sont, en quelque sorte, intermédiaires entre les projets de territoire et les projets d’édifice. Les projets de territoire constituent le cadre stratégique global dans lequel ils s’inscrivent tandis que les projets d’édifice en sont des « sous-produits » ou des « sous-projets » comme ils peuvent en être totalement indépendants. Théoriquement, les choix d’aménagement sont la traduction et le vecteur opérationnels des orientations de développement urbain à long terme.

Enfin, le troisième type englobe les projets dits « d’édifice », de « construction », de « bâtiment » ou encore dits « projets architecturaux ». C’est l’acception la plus traditionnelle de la notion même de projet dans le champ urbain. L’objet est de concevoir et de construire un bâtiment sur un espace micro-localisé, dans le cadre de bornes temporelles fermées et généralement courtes (moins de cinq ans en moyenne). Il est adossé à un cadre juridique qui distingue deux figures centrales, le maître d’ouvrage et le maître d’œuvre. La dimension formelle (architecturale) occupe, traditionnellement, une place majeure. Ce sont également les projets les mieux connus. En effet, ils font, depuis plusieurs décennies, l’objet de nombreuses recherches. Habituellement centrées sur la relation maîtrise d’ouvrage/maîtrise d’œuvre, sur le processus de conception architecturale et, plus largement, sur les concepteurs de la forme urbaine, elles connaissent aujourd’hui un certain renouvellement. D’une part, autour des entreprises de BTP qui cherchent à intervenir plus en amont et, d’autre part, autour de réflexions relatives à la dynamique des compétences, aux processus d’apprentissage et modes de capitalisation des savoirs.

Selon cette catégorisation, le projet étudié dans notre thèse appartient donc exclusivement au premier type : celui des projets de territoire. De par son statut de « grande opération d’urbanisme », la ville nouvelle aurait pu être analysée uniquement sous l’angle du projet d’aménagement urbain. Mais les choix d’urbanisation et de transformation de l’espace et de ses usages constituent déjà un pan important des réflexions actuelles 55 sans qu’il soit nécessaire d’y revenir. Néanmoins, en accordant la priorité aux processus de conception et de mise en œuvre du projet de territoire de la ville nouvelle, ils pourront être partiellement abordés dans cette thèse en tant qu’ils participent à décrire ou à comprendre le projet de territoire, mais pas en tant qu’objets de recherche. Par ailleurs, la problématique des projets d’édifice ne fait aucunement partie de notre champ de recherche.

Si la variable « échelle d’intervention » permet de clarifier la notion de projet urbain, cette classification n’apporte en revanche aucun éclairage particulier sur les catégories de penser et d’agir qui lui sont généralement associées. Une manière d’appréhender la notion consiste alors à identifier les grandes lignes directrices qui marquent sa genèse et son succès. Dans cette perspective, il est possible d’ordonner la polysémie du terme autour de trois lignées auxquelles se rattachent, de manière plus ou moins privilégiée ou plus ou moins combinatoire, les principales acceptions rencontrées. Outre une clarification des sens sous-tendus par la notion de projet, ce procédé a pour intérêt de montrer que ces lignées ont en commun de l’opposer à la planification « classique » reposant essentiellement sur le principe du schéma.

Notes
50.

Voir notamment, INGALLINA P., Le projet urbain, Paris, PUF, coll. Que Sais-je ?, 2003, 127 p. ;
CLAUDE V, « Le projet urbain, un "ici et maintenant" ou un nouvel "ailleurs"? » in HAYOT A., Le projet urbain. Enjeux, expérimentations et professions, Paris, éd. de La Villette, 2000, pp. 61-77 ; PROST R., Projets architecturaux et urbains : mutation des savoirs dans la phase amont, Paris, PUCA, 2003. Entre ces trois auteurs, les variations tiennent davantage aux appellations des « types » qu’à une différence de fond. Ainsi, ce que P. Ingallina nomme le « projet urbain global » se retrouve chez V. Claude sous la dénomination « projet de territoire » et, chez R. Prost, sous le terme de « planification stratégique ».

51.

BOUINOT J., BERMILS B., La gestion stratégique des villes : entre compétition et coopération, Paris,
A. Colin, 1995, 207 p.

52.

Selon l’article 26 de la loi Voynet, « toute aire urbaine comptant au moins 50000 habitants, et dont une ou plusieurs communes centre comptent plus de 15000 habitants […], peut élaborer un projet d’agglomération.
Ce projet détermine, d’une part, les orientations que se fixe l’agglomération en matière de développement économique et de cohésion sociale, d’aménagement et d’urbanisme, de transport et de logement, de politique de la ville, de politique de l’environnement et de gestion des ressources selon les recommandations inscrites dans les agendas locaux du programme « Actions 21 » qui sont la traduction locale des engagements internationaux finalisés lors du sommet de Rio de Janeiro des 1er et 15 juin 1992 et, d’autre part, les mesures permettant de mettre en œuvre ces orientations ». Chaque agglomération peut ensuite signer un contrat particulier avec l’Etat, la Région, et le cas échéant le Département, pour mettre en œuvre le projet. Le contrat traduit les priorités communes des différents signataires pour le développement de l’agglomération, telles qu’elles ressortent notamment du contrat de plan
Etat-Région et du projet d’agglomération. La définition technique présentée par la loi Voynet se double en réalité de la volonté de la loi Solidarité et Renouvellement Urbains (SRU) d’intégrer la démarche de projet dans les outils de planification (PLU, Schémas de Cohérence Territoriale - SCOT -).

53.

Les textes ne fixent pas en effet de délai maximal ou minimal. L’article 4 du décret du 21 décembre 2000 prévoit simplement qu’« avant chaque renouvellement du contrat particulier, le projet d’agglomération est confirmé ou révisé selon les mêmes modalités que celles prévues pour son élaboration ».

54.

D’après le document-guide élaboré par la DATAR (Contrats d’agglomération, mode d’emploi, septembre 2001), « le projet d’agglomération est à la fois un document stratégique de référence et un processus de négociation donc de définition d’un portage politique et juridique ».

55.

Voir notamment, BEDARIDA M., L’Isle d’Abeau. Territoire entre Rhône et Isère, Hartmann Editions - EPIDA, 2002, 125 p. ; CHALAS Y. (dir.), L’Isle d’Abeau, de la ville nouvelle à la ville contemporaine, Paris,
La Documentation Française, 2005, 239 p.