Au seuil des années 1980, les recherches sur la planification urbaine marquent le pas. Les pouvoirs publics la remettent généralement en cause, préférant des procédures de « navigation à vue ». Dès lors, la recherche urbaine n’en fait plus un sujet de recherche à part entière. Des critiques assez vives sont par ailleurs formulées à l’encontre de la sociologie urbaine marxiste et de la sociologie des organisations, et renouvellent d’une certaine manière les interrogations sur l’Etat. Enfin, quelques rares interprétations rétrospectives se partagent entre la nostalgie d’une exceptionnalité française et l’annonce d’une recomposition prometteuse 96 .
Pour C. Topalov (1989), chercheur issu de l’école française de sociologie urbaine, la critique de la planification est épuisée et disparaît devant le retour de l’acteur et la vague sociologique de « l’infinie description de faits déconnectés ». Pour F. Lautier (1983), moins marqué par quelque paradigme, la fixation territoriale des conflits identitaires (la question des banlieues ou des tensions entre villes dominantes et dominées dans le monde) fournit matière à un ensemble d’approches localisées et non dogmatiques à la confluence de plusieurs disciplines : l’économie, la sociologie et la géographie ; celles-ci poseraient la question d’un programme inédit d’anthropologie de l’espace contemporain.
D’autres auteurs 97 expliquent cette phase critique ou de transition par un faisceau convergent de facteurs. Tout d’abord, la récession économique qui affecte depuis la moitié des années 1970 l’urbanisme de masse et le rôle central de l’Etat en matière d’aménagement, et déplace les questions de recherche vers d’autres domaines que celui de la ville (le redéploiement industriel, la protection sociale, la privatisation des services). Ensuite, les vicissitudes de la société programmée ou planifiée qui minent les théories holistiques du changement social, renforcent le crédit des savoirs non critiques et opératoires (le système des sondages d’opinion émerge alors). Enfin, le net recul des crédits de recherche urbaine dès 1975 s’est soldé par l’intégration de multiples chercheurs hors-statut au CNRS où l’organisation en disciplines traditionnelles ne reconnaît pas l’urbain comme domaine pertinent de recherche. Les prestataires se diversifient en conséquence entre la recherche-action locale et la collaboration ponctuelle des pôles d’excellence.
La recomposition de la recherche urbaine qui s’ensuit donne à voir l’interaction entre les schémas de raisonnement disciplinaires et leurs conditions institutionnelles d’actualisation, de dépassement ou d’hybridation. Cette période est d’ailleurs généralement considérée comme étant celle de la transition entre un moment conceptuel et institutionnel que l’on délaisse à la nostalgie ou à l’oubli et un nouveau cours plus éclectique dominé par l’hybridation disciplinaire (notamment avec l’anthropologie, l’ethnologie, l’histoire, la sciencepolitique). Les utilisateurs s’élargissent notamment aux multiples métiers de la communication dans la ville.
TOPALOV C. (1989), op. cit.; LAUTIER F., « La sociologie urbaine », La sociologie en France, Paris,
La Découverte, 1983.
Voir notamment LASSAVE P., op. cit., p. 28 ; ASCHER F. (1995), op. cit., pp. 11-13 ; AMIOT M., Contre l’Etat, les sociologues, Eléments pour une histoire de la sociologie urbaine en France (1900-1980), Paris, ed. de l’EHESS, 1986, 304 p. ; GAUDIN J.-P., BARRAQUE B., Un bilan des recherches sur la planification urbaine, mai 1980, 49 p.