1.3.1.2. La planification urbaine entendue comme un processus de mise en œuvre de différents rapports de force

Les deux articles de A. Cottereau 105 et celui de M. Castells 106 publiés dans la revue Sociologie du travail (1969-1970) ont joué un rôle important dans la formulation des questionnements. Ils dépassent en effet l’optique d’une planification qui engendrerait seule le devenir urbain, et son symétrique critique qui en fait soit le « produit » du rapport des intérêts économiques à un moment donné, soit la réponse à des conflits qui seraient ainsi régulés.

Les deux auteurs analysent la planification urbaine à la fois comme développement de l’intervention municipale et comme anticipation sur la croissance économique par la programmation de logements et de zones industrielles. Ceci conduit à remettre en cause une double hypothèse de départ considérant le pouvoir local comme dominé par l’Etat central et l’organisation spatiale comme conséquence du développement des forces productives.

Pour A. Cottereau,la planification urbaine est clairement l’intervention de l’instance politique sur l’instance économique, pour faire face aux contradictions de l’urbanisation capitaliste. Mais il ne s’agit pas de n’importe quelle intervention. « Un premier type est possible, et a toujours été présent dans le stade capitaliste libéral, qui consiste seulement à assurer la reproduction du système économique en surdéterminant la prééminence directe des agents capitalistes dans les situations contradictoires. Par planification urbaine, on entend une intervention de l’instance politique sur l’instance économique en vue de dépasser certaines contradictions de l’urbanisation capitaliste, au moyen d’une collectivisation des objets-média urbains ». Il s’agissait de « former des effets utiles d’agglomération et de collectiviser leur répartition ».

Dans la période étudiée, A. Cottereau note que les contradictions des structures urbaines en tant que telles opposent, avant tout, des éléments de classes dominantes 107 . Il souligne dès lors : « d’un côté les agents dominants, en tant qu’acteurs urbains, ont des intérêts économiques immédiats contradictoires. D’un autre côté, en tant que classes dominantes, ils ont intérêt à un dépassement des contradictions de l’urbanisation pour mieux assurer la reproduction globale du système économique. Dès lors, poser la question des conditions de la planification urbaine, c’est se demander comment des agents économiques dominants qui tirent concurremment parti des structures économiques de la ville, peuvent cependant provoquer ou tout au moins permettre un changement de ces structures urbaines. C’est du même coup spécifier le rôle de l’instance politique ». Aussi, pour que la planification urbaine soit possible, « l’instance politique doit intervenir comme facteur d’organisation d’agents dominants […]. La planification suppose des centres réels de pouvoir local […]. Elle est facilitée par des mouvements sociaux urbains (on entend par là des mouvements qui articulent des contradictions urbaines avec des contradictions plus fondamentales de la formation sociale) ».

Les définitions de la planification urbaine que donnent M. Castells ne sont pas fondées sur les mêmes postulats. Son objectif de recherche est d’analyserla planification urbaine comme processus social, afin de dévoiler son efficacité sociale, de la relier à son efficacité technique, et de rendre compte, par là, de la logique propre de l’intervention de l’Etat sur les problèmes urbains. Pour lui, la planification est avant tout déterminée par les nécessités d’organisation des consommations collectives. Il note également que si sa fonction technique est souvent faible, elle continue néanmoins à se développer. Elle accomplit en effet une autre fonction sociale, étroitement liée aux intérêts sociaux et politiques qui sous-tendent les enjeux urbains.

Notes
105.

COTTEREAU A., « L’apparition de l’urbanisme comme action collective : l’agglomération parisienne au début du siècle », Sociologie du travail, n°4, 1969 ; et, surtout COTTEREAU A., « Les débuts de la planification urbaine dans l’agglomération parisienne : le mouvement municipal parisien », Sociologie du travail, n°4 et n°5, 1970, pp. 361-392.

106.

CASTELLS M., « Vers une théorie sociologique de la planification urbaine », Sociologie du travail, n°4, 1969, pp. 130-143.

107.

C. Topalov développera par la suite une analyse voisine sur les rapports entre logement et foncier.
TOPALOV C., « La politique foncière est-elle monopoliste ? », La Nouvelle Critique, n°78b, 1974.