L’intérêt des travaux de J.-G. Padioleau et R. Demesteere réside pour nous dans leur approche de la planification urbaine qu’ils analysent comme une action publique. Nous reprendrons en partie la pertinence heuristique de leur approche pour construire notre propre cadre théorique.
Le recours à la notion d’action publique permet tout d’abord de décomposer la planification urbaine en différentes étapes. Cette grille de lecture déstructure ce qui apparaît comme trop cristallisé sous le terme de planification urbaine et rend plus aisée la conduite d’une analyse diachronique du processus de planification. Les deux auteurs distinguent notamment plusieurs phases dans les processus de planification : l’organisation de la démarche stratégique, la radiographie de l’environnement, la sélection des problèmes clés, la formulation des missions, l’analyse interne et externe, les définitions des objectifs et des stratégies, le plan d’action 137 , la mise en œuvre, et le contrôle-évaluation 138 .
Ensuite, le modèle de l’action publique définit les acteurs comme des individus et des groupes pluriels agissants. Il postule que le contenu et les caractéristiques institutionnelles de toutes actions publiques résultent d’interactions entre les autorités publiques et les groupes sociaux qui supportent et/ou qui causent le problème collectif à résoudre. Ces acteurs enregistrent, élaborent et transforment sans cesse les données présentes dans un contexte d’action ; des rationalités multiples et hétérogènes orientent leur conduite.
Par ailleurs, J.-G. Padioleau et R. Demesteere observent que les consensus entre les partenaires de l'action publique ne sont pas donnés mais à faire, en activant les solidarités d'intérêts et de sentiments (valeurs, idéologies, etc.). Si dans le modèle classique de la planification, les solutions s'imposent par la force irrésistible de l'évidence, « le rapport social fondamental sur lequel repose le modèle interactionniste est celui de l'influence ». Une telle problématique nécessite de créer des situations d'échange et d'apprentissage favorables à la mise au point de positions communes. Les stratégies ne s’apparentent donc pas à des plans d’action précis, mais définissent des configurations globales agençant les missions, les objectifs et les ressources.
Selon le concept d’action publique, la planification stratégique propose « des marchés et des contrats » comme modes de coordination des politiques urbaines, alors que la planification classique privilégiait l'action hiérarchique et la direction publique de l'action urbaine à l'aide de plans, de documents, de règlements et de crédits. La planification stratégique sélectionne quant à elle des objectifs et des projets sur lesquels il s’agit de faire converger des financements d’origine publique ou privée. Elle promeut ainsi l’idée de partenariat public-privé. Du reste, la théorisation du partenariat se développe en mettant en valeur les bénéfices réciproques.
Cette mobilisation implique également des alliances entre la société civile et les pouvoirs publics. Les recherches de J.-G. Padioleau et R. Demesteere reflètent bien l’ensemble des transformations des systèmes de gestion publique et de régulation. Elles proposent en effet une vision plus « managériale » du pouvoir local et présentent la planification urbaine comme une scène de négociation restreinte à un groupe de décideurs afin de rendre l’action publique encore plus efficace. Le système d’action collective est dès lors plus proche des « régimes des développement » dans lesquels les coalitions de gouvernement regroupent un petit nombre d’acteurs autour du maire, que des « régimes de participation populaire » qui cherchent une association du plan grand nombre 139 .
Selon ce modèle d’action publique, la planification « stratégique » correspond à une rhétorique pratique visant à rendre acceptables de nouvelles modalités de l'action publique urbaine. « D'ordinaire, l'action publique doit satisfaire au critère d'autorité. De fait, le décideur d'une action publique doit montrer qu'il jouit d'une autorité légale et qu'il respecte des règles formelles. Selon le schéma de la planification stratégique, tout à la fois le processus de délibération et les accords deviennent des critères d'autorité ». La démarche « stratégique » permet aussi de justifier un traitement différencié des acteurs sociaux (critère de justice) et d’introduire de la flexibilité dans le système de planification. « Elle relativise le critère d’efficacité de l’action publique quand elle le circonscrit au ressources accessibles et, plus particulièrement, à celles aux mains des principaux partenaires de la démarche ».
Dans un tel contexte, selon J.-G. Padioleau et R. Demesteere, l’efficacité de la planification stratégique réside sans doute moins dans des performances immédiates et des résultats tangibles que « dans des efforts de façonnage et de retouche de modalités essentielles de l’action publique urbaine ». Tout se passe comme si la planification stratégique rendait concevables, acceptables de nouvelles formes de planification urbaine.
Ce plan concrétise et détaille les options stratégiques retenues en allouant les ressources nécessaires (personnels, budget). La mise en œuvre d’une planification stratégique lie étroitement celles-ci avec le cycle budgétaire.
Cette palette d’actions suppose l’identification de quelques « territoires-clefs de l’agglomération » qui sont en priorité concernés par l’action des collectivités locales. La détermination des objectifs, des programmes d’action et des projets est fondée sur des critères de faisabilité. C’est en effet autour de ces critères plutôt que ceux d’équité territoriale ou de justice qu’il est possible de « mobiliser un système d’action collective », et de construire
une coalition de gouvernement.
STONE C.-N., « Urban regimes and the capacity to govern. A political economy approach », Journal of Urban Affairs, volume 15, n°1, 1993, pp. 1-28.