1.3.3.2. La planification urbaine, un mode public de gestion des conflits

En essayant d’orienter plus directement les recherches sur la question du gouvernement des villes et sur l’intervention de la puissance publique dans les processus de production urbaine, l’ouvrage dirigé par A. Motte 140 ouvre probablement des pistes pour relancer une démarche systématique de recherche sur la planification urbaine 141 . Une douzaine de schémas est étudiée et notamment trois d’entre eux dont le caractère innovant consiste en une tentative de rénovation de l’instrument traditionnel et de renforcement de l’intercommunalité : Lyon (M. Bonneville), Rennes (A. Huet) et Lille (F. Ampe et J.-C. Le Francois).

Ces approches proposent d’analyser le renouveau des instruments de la planification urbaine en abordant à la fois la transformation des modes de faire et la recomposition des différents systèmes d’acteurs impliqués. Ces recherches sont particulièrement riches de sens pour notre analyse des ruptures et des continuités entre la schéma et le projet. En effet, l’observation des politiques à l’échelon central montre que les SDAU sont en fait « représentés » par des institutions qui répondent chaque fois non seulement à des enjeux sociétaux spécifiques mais également à des groupes sociaux bénéficiaires potentiels des politiques. « Dans la mesure où le même type de phénomène est observable à l’échelon des communes ou des agglomérations, la complexité des choix a dès lors considérablement augmenté ».

La manière d’analyser les instruments de planification urbaine ne diverge pas fondamentalement du point de vue de J.-G. Padioleau et R. Demesteere. Elle s’inscrit dans les nouvelles conceptions de la gestion publique, et notamment les conceptions dites « stratégiques » issues du domaine de la gestion des entreprises et transposées au domaine du local et de l’urbain 142 . Ces conceptions aboutissent in fine à remettre en cause les instruments de la planification urbaine comme le schéma directeur au profit de la notion de projet 143 . Ce dernier est généralement considéré comme une action opérationnelle au mieux à moyen terme, et ayant une orientation « stratégique », c’est-à-dire se focalisant sur un aspect précis de la ville. Il réduit d’une certaine manière la complexité de l’urbain à une dimension.

Parmi les analyses des outils de la planification, celle de M. Bonneville souligne que le « modèle » lyonnais (notion sur laquelle il s’interroge par ailleurs) consiste à élaborer le schéma directeur en commençant par la définition d’un projet d’agglomération 144 . Il est un processus institutionnel et non une procédure juridique, qui comporte une vision stratégique, et qui se situe à l’échelle de l’agglomération. A Rennes, l’élaboration du projet par le district fait émerger l’impératif d’agglomération, autour de la mise en place d’une stratégie spatialisée 145 . Ces deux approches considèrent que la planification urbaine est avant tout un compromis entre acteurs en conflit : le consensus retrouvé permet aux autorités locales de poser explicitement les politiques « qui tentent de trouver des solutions à la contradiction fondamentale que doivent assumer les collectivités locales depuis la décentralisation : rendre compatibles une modernisation économique locale et la réduction du développement des inégalités sociales ».

Notes
140.

Cet ouvrage est rédigé à partir des actes du colloque organisé par l’APERAU à Aix-en-Provence en
décembre 1994.

141.

ASCHER F. (1995), op. cit., p. 48.

142.

Le « stratégique » permettrait d’apporter de la globalité dans l’action publique locale tout autant que le spatialisé. Son intérêt principal est de tenter de dépasser la fragmentation des enjeux localisés qui sous-tendent la planification spatialisée. Les consensus seraient dès lors plus faciles à atteindre par le politique puisqu’il ne traite pas frontalement les conflits liés aux affectations de sols.

143.

PADIOLEAU J.-G., DEMESTEERE R. (1989), op. cit., pp. 9-22.

144.

BONNEVILLE M., « Le renouvellement du schéma directeur par le projet d’agglomération : réflexions à partir de l’exemple de Lyon », in MOTTE A. (dir), op. cit., pp. 47-66.

145.

HUET A., « Rennes : quête identitaire, redéfinition de la cité et recherche d’un nouvel ordre social »,
in MOTTE A. (dir), op. cit., pp. 183-206.