Les approches de la planification urbaine dite « stratégique » en termes de contrat et de gouvernance ont renouvelé en partie les questionnements théoriques. Elles ont notamment mis l’accent sur l’évolution des enjeux et des contraintes locales et extra-locales jouant sur l’élaboration et la mise en œuvre des outils de la planification urbaine. Elles interrogent les choix opérés et les stratégies privilégiées par un nombre restreint d’acteurs en explicitant les facteurs contextuels de l’action publique locale. Ce contexte nous intéresse particulièrement pour saisir les ruptures et les continuités entre la planification et le projet.
L’apport des recherches de J.-G. Padioleau et R. Demesteere se situe par ailleurs au niveau de l’analyse des formes de coordination verticales et horizontales entre les acteurs impliqués dans les processus de planification urbaine. Leur analyse s’appuie sur une dialectique fragmentation des acteurs / coordination des actions. Ces processus de coordination permettent la mise en commun, la rationalisation des ressources et des objectifs des différents acteurs. Ils décrivent des mécanismes alternatifs de négociation entre différents groupes, réseaux, sous-systèmes, susceptibles de rendre possible l’action publique.
En revanche, ces recherches ont abordé les outils de la planification urbaine principalement en fonction d’orientations thématiques concernant soit le perfectionnement des techniques de planification, soit la dynamique des formations sociales locales.Elles n’évoquent pas les enjeux des différents groupes sociaux et des différents acteurs économiques vis à vis de la planification et au regard des modalités de développement ou de transformation des agglomérations 146 .
Ces travaux scientifiques n’intègrent pas, sur ce point précis, les acquis des recherches marxistes des années 1970 qui avaient montré que la planification, son contenu, ses usages et ses effets éventuels n’étaient compréhensibles que si les intérêts et les actions des différents groupes sociaux et professionnels étaient pris en compte. C’est dans ce contexte que « la planification urbaine était au moins autant un lieu de négociation et de légitimation qu’un instrument d’orientation urbaine » 147 .
La plupart des travaux scientifiques semblent ainsi prendre la planification urbaine au pied de la lettre (dans ses objectifs et dans ses documents). Ils insistent sur le renouvellement des outils, en l’expliquant par le contexte économique et institutionnel, mais comme si « les précédents outils de la planification avaient été ce qu’ils prétendaient être, c’est-à-dire des outils techniques, et donc comme si les nouveaux outils étaient d’abord, voire seulement, des instruments de planification » 148 .
Par ailleurs,les diverses recherches portant sur les schémas directeurs se limitent pour la plupart d’entre elles à l’analyse de leurs enjeux et difficultés « visibles ». Ainsi sont étudiés successivement les problèmes de périmètre des schémas directeurs et les conflits éventuels entre les collectivités locales et l’Etat ; les problèmes d’institutions et la complexité des relations entre les établissements publics, les syndicats intercommunaux et les districts, les agences d’urbanisme, les collectivités locales, les DDE et quelques autres « partenaires » ; les problèmes d’intercommunalité et en particulier entre la commune centre, les communes de banlieue et les communes néo-rurales (ou néo-urbaines) de la périphérie un peu lointaine.
Les clivages politiques sont également rarement analysés, de même qu’il n’est jamais fait référence à des groupes socio-professionnels et aux intérêts éventuellement divergents des différents secteurs d’activité économique. Les grands choix urbains, la définition et la localisation des principaux équipements, ne sont pas davantage considérés comme des objets d’étude et référencés à des intérêts spécifiques de telle ou telle partie de la population, de tels ou tels acteurs. Seules la « métropolisation » et « l’internationalisation » des agglomérations sont identifiées de manière générale comme des objets de recherche.
Enfin,les travaux de recherche des années 1990 portant sur le renouvellement des outils de la planification ne comportent quasiment pas d’études comparatives en dehors du contexte national 149 . Cette dernière remarque nous interroge en particulier sur la capacité des recherches urbaines à prendre de la distance à l’égard d’un débat franco-français nécessairement réducteur. A notre connaissance, seules les recherches dirigées par P. Newman, A. Thornley 150 (1996) et P. Healey 151 (1997) ouvrent sur une série de questionnements touchant la nature des procédures et processus de planification urbaine, malgré les différences considérables entre les systèmes institutionnels des pays étudiés.
Ces travaux sur l’évaluation de la planification urbaine nous intéressent particulièrement car ils abordent les différentes stratégies territoriales des villes comme des modalités de gouvernance. Ils insistent notamment sur l’évolution du rôle et des missions du secteur public : l’Etat comme les collectivités locales interviennent de moins en moins en tant que producteurs directs de l’espace urbain, et se contentent de plus en plus de créer les conditions à respecter par les acteurs privés ou para-publics qui produisent cet espace.
Au lieu de « réguler » le développement urbain, le secteur public essaye de plus en plus de le « stimuler » 152 . Cela conduit les collectivités locales, notamment les villes, à développer des stratégies de développement territorial. Cela conduit en même temps à un type de planification qui a été désigné comme project-led (fondée sur des projets) ; la planification classique étant quant à elle qualifiée de plan-led.
Seuls quelques jeux d’acteurs sont étudiés et surtout des jeux entre communes, entre les différents types de collectivités territoriales, et entre ces collectivités et l’Etat. Une analyse de leurs enjeux et de leurs intérêts aurait pourtant permis d’appréhender les systèmes d’acteurs dans leur globalité.
CASTELLS M., GODARD F. (1974), op. cit., pp. 410-412.
ASCHER F. (1995), op. cit., p. 46.
Les premiers travaux d’A. Faludi, qui privilégient par ailleurs la dynamique de planification et les modes de prises de décision sur la production de documents datent en effet de plus de dix ans (FALUDI A., Critical Rationalism and Planning Methodology, Londres, Pion Limited, 1986 ; FALUDI A., A decision centered and planning methodology, Oxford, Pergamon Press). Les chercheurs français se sont en effet peu intéressés à la planification urbaine, ou même aux plans d’urbanisme, à l’aménagement et à l’urbanisme opérationnel, puisque sous sa forme schéma directeur, la planification était au ralenti. Dans ce contexte, ils n’ont guère participé à des programmes de recherche internationaux.
NEWMAN P., THORNLEY A., Urban Planning in Europe : International Competition, National System and Planning Projects, London, Routledge, 1996.
HEALEY P., KHAKEE A., MOTTE A., NEEDHAM B., Making strategic spatial plans : Innovation in Europe, London, UCL Press, 1997, 307 p.
HEALEY P., « The revival of strategic spatial planning in Europe », in HEALEY P. (et alii), op. cit., p. 18.; HEALEY P., Collaborative planning. Shaping Places in Fragmented Societies, ed. MAC Millan, 1997, 338 p.; SALET W., FALUDI A. (ed.), The Revival of Strategic Spatial Planning, Amsterdam, Royal Netherlands Academy of Arts and Science, 2000, 300 p.; FRIEND J.-K., « Operational Choices and Strategic Spatial Planning », in SALET W, FALUDI A. (ed.), op. cit., pp. 191-203 ; ALBRECHTS L., HEALEY P., KUNZMANN K, « Strategic Spatial Planning and Regional Governance in Europe », Journal of the American Planning Association, Spring, 2003, vol. 69, n°2, pp. 113-129 ; SALET W., THORNLEY A, KREUKELS A (ed.), Metropolitan Governance and Spatial Planning. Comparative case studies of European City-Regions, London, Spon Press, 2003, 336 p ; ALBRECHT L., « Spatial (Strategic) planning reexamined », in Environment and Planning B: Planning and Design, 2004, volume 31, pp. 743-758.