1.3.4. La période récente ou les prémices d’une approche transversale et compréhensive de la planification urbaine

Depuis le début des années 2000, une nouvelle période semble s’esquisser. Elle est notamment marquée par un intense renouvellement des rôles et des modes de faire de la planification urbaine aux niveaux nationaux et locaux. Dans certains pays européens (France, Italie, Grande-Bretagne, Pays-Bas), ce renouvellement a pu se traduire par l’application de nouvelles lois et la mise en œuvre de nouveaux outils de planification 153 .

En France, la conjonction de la loi SRU et de certains dispositifs contenus dans les lois Voynet et Chevènement a placé la pratique de la planification urbaine à la croisée des démarches de développement stratégique, de la mobilisation collective des acteurs publics et privés et de la structuration de nouvelles autorités d’agglomération. Dans le même temps, les collectivités locales doivent se conformer aux impératifs de cohérence dictés par la loi SRU, mais aussi mobiliser les acteurs privés et publics locaux afin de faire émerger et de mettre en œuvre un projet de territoire partagé. Les programmes de recherche lancés récemment s’inscrivent dans ce contexte. Ils interrogent l’évolution de la planification urbaine sous l’angle à la fois du renouvellement des modes de faire, et des articulations entre la planification spatiale classique, les démarches stratégiques des villes, et la transformation des modes de gouvernement urbain.

D’une certaine manière, les recherches actuelles renouvellent les approches théoriques de la planification urbaine. En effet, pour comprendre ce qui se construit à travers la mise en œuvre des nouvelles lois sur la planification, et plus généralement les tendances d’évolution de la planification, les recherches ne se contentent plus d’analyser séparément les processus locaux de décision et la transformation des dispositifs légaux. Elles analysent à la fois les stratégies choisies par les acteurs pour se mettre en conformité avec les nouveaux dispositifs de planification urbaine,leurs rapports au cours des processus de planification, et les évolutions des systèmes d’acteurs locaux. Notre thèse elle-même s’inscrit directement dans ce champ de recherches tout en tentant d’apporter un éclairage nouveau en pointant les ruptures et les continuités entre la planification « classique » et le projet.

Parmi les programmes de recherches lancés récemment, trois d’entre eux analysent conjointement la mise en œuvre des nouvelles lois et les processus locaux de décision. Bien entendu, leur cadre théorique n’est pas totalement identique. Certains insistent davantage sur le renouvellement des modalités de structuration des territoires, tandis que d’autres privilégient les processus de planification et les actions de gouvernement qu’ils impliquent. Le premier programme de recherche que nous étudierons a été conduit par des chercheurs français et italiens. Les résultats ont d’ailleurs été publiés en 2003 sous le titre « Plan et Projet. L’Urbanisme en France et en Italie » 154 . Les deux autres programmes sont pilotés par l’Institut d’Urbanisme de Lyon, dont un en partenariat avec l’Institut d’Urbanisme de Grenoble 155 .

Nous avons retenu ces trois programmes de recherche car leurs approches de la planification urbaine nous paraissent particulièrement riches de sens pour notre objet d’analyse. Elles présentent en effet une valeur analytique reposant sur l’élaboration d’un cadre conceptuel éclairant les tendances d’évolution de la planification. Ce cadre théorique est sous-tendu par des positions épistémologiques susceptibles d’appréhender l’ensemble des variables expliquant la transformation des processus locaux de décision et des dispositifs légaux.

Notes
153.

Voir notamment MOTTE A., La notion de Planification Stratégique Spatialisée (Strategic Spatial Planning) en Europe (1995-2005), Recherche pour le Ministère de l’Equipement (PUCA), juillet 2004, 73 p. A partir du début des années 2000, plusieurs dispositifs législatifs conduisent au renouvellement des outils de planification. C’est le cas notamment de la France avec la mise en oeuvre de la loi SRU qui intègre la démarche de projet dans les outils de planification (plan local d’urbanisme, schémas de cohérence territoriale). Nous pouvons également citer l’exemple de nombreuses régions italiennes (Toscane, Ligurie et dans une moindre mesure Piémont) dont les législations cherchent à dissocier, à l’intérieur même du plan d’urbanisme, piano strutturale et piano operativo. L’Angleterre cherche également à fixer un cadre territorial de référence pour les plans locaux grâce à la production à l’échelle régionale de guides, qui peuvent avoir un caractère sectoriel ou territorial (voir à cet égard l’ouvrage coordonné par BOOTH P., BREUILLARD M., FRASER C., PARIS D., Spatial Planning Systems of Britain and France. A comparative analysis, Routledge, mars 2007). Nous assistons par ailleurs à la recherche de nouvelles articulations entre documents de programmation sectorielle (plans de déplacements urbains, programmes locaux pour l’habitat, schémas de développement et d’équipement commercial en France, guides de nature diverse en Angleterre, plans de mobilités ou plans paysagers en Italie) et plans territoriaux. Ces articulations ne peuvent plus être fondées uniquement sur des règles juridiques de compatibilité. Elles doivent en effet s’ouvrir aux négociations entre acteurs publics et privés et favoriser un enrichissement progressif de ce que les italiens appellent le processus de planification (piano processo).

154.

NOVARINA G. (dir.), Plan et Projet, L’urbanisme en France et en Italie, Paris, Economica, 2003, 233 p.
Le programme de recherche associait des chercheurs des Instituts d’Urbanisme de Grenoble et de Lyon, du Dipartimento di Architettura e Pianificazione du Politecnico di Milano et du Dipartimento Interateneo Scienze del Territorio du Politecnico et de l’Università di Torino.

155.

Un premier programme de recherche pour le compte de la Région Rhône-Alpes, intitulé « Nouveaux dispositifs de planification territoriale et gouvernements urbains en Rhône-Alpes » (2003-2006) a porté sur l’évaluation de la mise en place des nouveaux outils de la planification territoriale initiés par la loi SRU, et leur appropriation par les gouvernement locaux. Ce projet qui comporte déjà un volet de comparaison internationale sous l’angle notamment de la méthodologie de la planification est complété par un projet de recherche de l’UMR 5600 (2004-2006) financé par le PUCA, dans le cadre de l’appel d’offre « prospective européenne » intitulé « La planification spatiale entre stratégies territoriales et politiques urbaines : quelles évolutions pour la planification urbaine en Europe ? », démarche comparative portant sur l’Italie, l’Allemagne, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et la France, en partenariat avec l’équipe Territoire du laboratoire PACTE de Grenoble.