Le corpus de la recherche

La bibliographie sur les villes nouvelles françaises publiée dans le numéro spécial de la revue Urbanisme en 1998 174 puis réactualisée par le programme HEVN en 2001 constitue une source exhaustive. Elle comprend un recueil de références générales extraites de la banque de données URBAMET 175 et des ressources documentaires des établissements publics d’aménagement ou des collectivités locales. S’agissant en particulier de L’Isle d’Abeau, les matériaux d’études recensés par l’établissement public d’aménagement de la ville nouvelle de L’Isle d’Abeau (EPIDA) 176 depuis la création de l’OREAM en 1966 constituent un corpus de recherches exhaustif sur la ville nouvelle 177 .

Les réflexions et programmes des concepteurs de L’Isle d’Abeau, les rapports qui ont marqué les phases d’évolution et de relance de la ville nouvelle, la démarche initiée par l’Etat en 1995, L’Isle d’Abeau 2015 178 , et celle pilotée par l’EPIDA pour la réalisation du projet de territoire Nord-Isère 179 , décrivent et analysent non seulement la création et le développement de la ville nouvelle mais aussi, à des degrés divers, ses apports en terme d’innovation urbaine, architecturale et institutionnelle. Ce sont autant de regards et de préoccupations qui se succèdent dans un processus itératif entre le projet et sa réalisation sur le terrain.

Le corpus bibliographique présenté par le programme HEVN et celui constitué par l’EPIDA comptent à eux deux près de deux milles références. Pour faciliter la consultation de cette littérature grise, les références sont classées par thème dont l’un regroupe les travaux de recherche sur « la planification régionale et urbaine ». Cette rubrique repose sur la définition classique de la planification urbaine. Elle recense les études concernant les activités de gestion des aires métropolitaines, de programmation des fonctions urbaines et de composition d’ensemble des partis d’aménagement. Cette grille thématique englobe également les rapports de recherche portant sur les schémas directeurs et leur validation, ainsi que les études « évaluatives » confrontant les réalisations aux intentions d’aménagement.

Deux autres rubriques peuvent compléter cette sélection. Elles rassemblent les matériaux d’études ayant trait à « la mise en œuvre » des villes nouvelles et à « l’urbanisme opérationnel ». La littérature scientifique présentée dans ces deux rubriques porte notamment sur l’évolution des périmètres de planification et sur les schémas de secteurs. Certaines recherches décrivent également les états des lieux successifs de la politique des villes nouvelles.

Ainsi, sur près de deux milles références, ces trois rubriques regroupent une quarantaine de recherches (thèses comprises). Ces travaux sont souvent d’excellente facture au niveau individuel mais leur juxtaposition souligne en creux l’intérêt relatif de la recherche urbaine pour construire les villes nouvelles comme de véritables objets de recherche, tout au moins jusqu’à ce que le programme HEVN ne conduise tout un ensemble d’études à partir de 2001.

Nous limitons par ailleurs le champ temporel de notre panorama scientifique aux recherches réalisées dans les années 1960-1970 ainsi qu’aux recherches conduites dans le cadre du programme HEVN. Elles sont en effet d’une importance capitale tant pour la connaissance des processus de planification ayant trait aux villes nouvelles, d’une part, que pour les pratiques publiques, d’autre part. Entre ces deux bornes, la période des années 1980-1990 apparaît, a posteriori, comme peu fertile en travaux scientifiques 180 . Peut-être simplement parce qu’on réalise les villes nouvelles sans théoriser autant que dans les périodes précédentes. La période 1980-1990 est le temps du réalisme opérationnel et de la mise en œuvre concrète des concepts développés et validés au début des années 1970. C’est également le temps où les expériences françaises ont intégré l’omnipotence du marché comme lieu d’assignation des valeurs, et le retour en force de la modestie et du pragmatisme dans l’action publique.

Quant à la mémoire scientifique, elle a été durablement marquée par les images négatives de certaines villes nouvelles 181  ; images qui les ont très souvent relégué au rang de « bornes témoins des errances de l’aménagement des Trente Glorieuses » 182 . La plupart des travaux de recherche des années 1980-1990 ont en effet poussé au jugement, à la définition du pour et du contre, et à une prise de position envers un projet et le défi qu’il a relevé en terme d’économie, de politique et d’urbanité. Les difficultés sociales des villes nouvelles ont été pointées du doigt, de même que leur esthétique urbaine, leurs dimensions prévues à l’origine, ou encore le surdimensionnement de leurs équipements. Ces analyses sont en réalité des procès d’intention qui réinterprètent leur création en fonction des difficultés rencontrées.

D’où l’erreur de perspective, plus fréquente ici qu’ailleurs, qui consiste à lire l’histoire des villes nouvelles en comparant les chiffres d’aujourd’hui (économiques, démographiques) avec les prévisions d’hier 183 . L’exercice est facile mais illégitime, parce qu’il ne consiste qu’à donner une photographie d’un site à un moment précis de son histoire.

Notes
174.

CENTRE DE DOCUMENTATION DE L’URBANISME, « Villes nouvelles de France, 1968-1998, Bibliographie », Urbanisme, supplément de juillet-août 1998, 194 p.

175.

Voir à cet égard le site internet : www.urbanisme.equipement.gouv.fr/cdu .

176.

Les bibliographies publiées par la revue Urbanisme et le programme HEVN sont en réalité des abstracts
du corpus réuni par l’EPIDA.

177.

Les historiens privilégieront par ailleurs les archives de la mission régionale Rhône-Alpes conservées aux Archives Départementales du Rhône, ainsi que celles de la Mission d’étude et d’aménagement de la
ville nouvelle consultables aux archives départementales de l’Isère.

178.

BUTIKOFER J.-M., « L’Isle d’Abeau 2015 », une grande ambition pour une grande agglomération, Rapport aux Ministres de l’Equipement, des Transports et du Logement, et de l’Aménagement du Territoire et de l’Environnement, Juin 1998, 69 p. + annexes.

179.

SATIN-EPIDA, Projet de territoire Nord-Isère, Version n°10, juin 2004, dactyl., 64 p.

180.

Seulement vingt-cinq thèses ont été soutenues contre près de quarante entre la fin des années 1960 et le début des années 1980, et douze depuis la fin des années 1990. Il est d’ailleurs logique que l’ampleur de la littérature scientifique sur les villes nouvelles varie selon les différentes phases de leur développement. Il en est de même pour les thèmes de recherche. Les processus de planification des villes nouvelles et leur rôle dans les espaces régionaux ont notamment fait l’objet de nombreuses études au début des années 1970. Que ces thèmes de recherche se tarissent par la suite au profit d’études plus opérationnelles n’est pas étonnant, en soi.

181.

Il suffit ici de rappeler, que l’image de certaines villes nouvelles en attente de réussite (comme
Saint-Quentin-en-Yvelines ou Melun-Sénart) était, il y a moins de dix ans, très négative, alors même que chacun s’accorde aujourd’hui à leur tracer un avenir serein. A contrario, des villes nouvelles comme Evry ou
Cergy-Pontoise, dont le lancement fut rapide, souffrent aujourd’hui de difficultés sociales qui pèsent sur leur image. C’est dire que faire le bilan de n’importe quelle ville nouvelle ne saurait se limiter à établir le tableau formel des réussites et des échecs, et a fortiori « le palmarès des grands acteurs et la liste noire des idéologues ». Voir à cet égard, VADELORGE L., « Des villes pour mémoire », Ethnologie Française, janvier-mars 2003,
Vol. 33, n°1, pp. 5-11 ; VADELORGE L., « Des villes sans histoire », Ethnologie Française, janvier-mars 2003, Vol. 33, n°1, pp. 21-31.

182.

VADELORGE L., « Val-de-Reuil, une histoire nécessaire », Etudes Normandes, op. cit., p. 14.

183.

Le programme HEVN recense quarante-six titres concernant le suivi et le bilan des villes nouvelles. Nous écartons dans notre revue de littérature les études réalisées par le Secrétariat général du groupe central des villes nouvelles qui n’établissent pas de bilan comparé entre les intentions et les réalisations. En revanche, nous pouvons citer, MERLIN P., Les villes nouvelles en France, Paris, PUF, Que sais-je ?, 1991 (réed.), 127 p., dont un chapitre présente les résultats de la réalisation des villes nouvelles ; ROBERT J., Bilan de la politique des villes nouvelles en Région Ile-de-France, in Métropolis 84, symposium international des grandes métropoles, Paris, 10-11 octobre 1984, Paris, IAURIF, 1984, pp. 215-225 ; ARCHITECTURE, mensuel du n°5 (mars 1979) au n°23 (mars 1981). Les séries n°7, 8, 9, 11, 12, 13, 15, et 19 portent sur les villes nouvelles. Le ton de la série est particulièrement sceptique. Sur un ton plus élogieux et moins critique, voir BASDEVANT D., CHATIN C., MILLERON P., Les villes nouvelles en Ile-de-France, Paris, Hachette, 1979, 263 p. ; CHATIN C., Neuf villes nouvelles, une expérience française d’urbanisme, Paris, Dunod, 1975, 207 p. Sur la ville nouvelle de
L’Isle d’Abeau, voir notamment CIBERT S., Villes Nouvelles. Intentions-Réalisations, l’exemple de
L’Isle d’Abeau
, Unité pédagogique d’architecture de Lyon, TPTC, 1982, 385 p. Plus récemment, deux études réalisées par le CERTU ont consisté à établir un bilan des villes nouvelles du Vaudreuil et des
Rives de l’Etang-de-Berre en pointant les décalages observables entre la planification annoncée et les réalisations effectives : AMPHOUX N., La ville nouvelle des Rives de l’Etang-de-Berre. Systèmes et
jeux d’acteurs : de la conception du projet à l’achèvement de l’opération
, CETE de Méditerranée, avril 2002, 120 p. ; FRERET P., De la ville nouvelle du Vaudreuil à la commune du Val-de-Reuil. Diagnostic de territoires et stratégies d’acteurs, CETE Normandie Centre, mars 2002, 160 p.