Les analyses récentes de la ville nouvelle de L’Isle d’Abeau

Dans le cadre du programme HEVN, plusieurs études ont été publiées sur la ville nouvelle de L’Isle d’Abeau 243 . Celle de M. Bédarida (2002) est intéressante car elle dépasse le stade de la description des formes urbaines. L’auteur restitue notamment l’épaisseur des débats urbanistiques de l’époque en inscrivant les choix doctrinaux en matière d’urbanisation dans l’histoire urbaine, politique et administrative du vingtième siècle. Il dévoile pour cela les débats théoriques, bien souvent masqués ou implicites, qui ont présidé aux options retenues, et il resitue le rôle des différents partenaires dans l’évolution des projets d’aménagement de la ville nouvelle.

L’ouvrage de M. Bédarida tente par ailleurs de redonner un sens à l’aménagement de la ville nouvelle en insistant sur la dimension stratégique de la redéfinition du rôle de L’Isle d’Abeau dans l’espace régional. L’auteur décrit notamment cinq concepts urbains fondateurs dont les références ont laissé une trace pérenne dans l’organisation du territoire. Il évoque successivement la « ville-territoire », la « ville-nature », la « ville en morceaux », la « ville-paysage » et la « ville-archipel ». Pour M. Bédarida, ces concepts forgent l’identité même du Nord-Isère : « les atouts initiaux, liés à la splendeur de ce territoire Nord-Isère, ont été non seulement habilement exploités, mais restent, et pour longtemps, un gage d’avenir » 244 . Cette conclusion en forme de panégyrique a notamment fourni à l’EPIDA, commanditaire de l’étude, le moyen de « façonner » une généalogie appropriée à son propos. A travers cette étude, son objectif était en effet de réhabiliter son action en décrivant une organisation urbaine mûrement réfléchie, pas forcément faite de collages successifs. Pour cela l’exercice a consisté à (r)établir la filiation entre les théories urbaines et les différents aménagements réalisés en ville nouvelle afin de démontrer que le projet a toujours correspondu à des débats scientifiques. Le manque de cohérence dans l’organisation urbaine, qui est d’ailleurs constamment dénoncé par la plupart des élus locaux et la communauté des urbanistes, devenait ainsi une vertu, au motif qu’il introduisait une certaine dose de souplesse dans les aménagements futurs et qu’il préservait les capacités de développement de la ville nouvelle.

La recherche dirigée par Y. Chalas 245 présente les origines, les évolutions et les perspectives de développement de la ville nouvelle de L’Isle d’Abeau. Elle constitue une base solide d’informations, car la réalité urbaine de L’Isle d’Abeau est appréhendée selon une pluralité d’angles d’observation : l’historique bien entendu ; mais aussi ses acteurs passés, présents et l’évolution de leurs référents d’action urbanistique ; ses habitants, leur mémoire urbaine et leurs pratiques d’appropriation de l’espace construit en rapport avec leur identité territoriale, leur sentiment d’appartenance ; son attractivité, ou l’inverse, passée et présente en relation avec ses équipements collectifs, ses formes architecturales, son esthétique, son site ; son dynamisme économique en rapport avec le contexte local et régional ; son intercommunalité problématique ; sa politique sociale du logement ; etc.

Les thèmes abordés peuvent être énoncés sous forme de sept questions principales 246 . Qu’est-ce qui s’est initialement projeté ou conçu et qu’est-ce qui s’est réellement passé ? Comment s’est produite cette évolution et pourquoi ? Qu’est-ce qui a été voulu et qu’est-ce qui a été subi ? Quelles ont été les erreurs, les redites, mais aussi quelles ont été les innovations réelles ? Quel bilan et quels enseignements en tirer ? Quelles différences et quels points communs entre la ville nouvelle de L’Isle d’Abeau et les autres formes d’urbanisation ? Où en sommes-nous aujourd’hui et quelles perspectives d’avenir pour cette ville nouvelle dans un contexte d’urbanisation de plus en plus marqué par les phénomènes dits de métropolisation, métapolisation, ville émergente, etc. ?

Les articles concernant la « fabrication » de la ville nouvelle 247 relèvent de l’approche historique de courte et moyenne durée. Les auteurs insistent notamment sur les heurts entre la rationalité planificatrice de l’Etat central et les spécificités locales pour expliquer les difficultés à mettre en oeuvre localement la ville nouvelle. Bien que cette approche ait déjà fait l’objet d’une abondante littérature, l’analyse historique de R. Favier porte un éclairage nouveau sur les origines de la ville nouvelle 248 . En revanche, l’approche de F. Belmessous nous pose quelques problèmes, car elle présente deux lacunes importantes. Elle fait à la fois l’impasse sur les nouvelles formes de la politique urbaine française entre 1950 et 1970 249 , et sur le rôle clé qu’a joué le PADOG dans la formulation de solutions urbanistiques, et notamment dans le lancement de la ville nouvelle 250 .

Quant à l’analyse des références urbanistiques qui ont présidé à la conception de L’Isle d’Abeau 251 , elle s’inscrit dans le sillage des travaux de M. Bédarida (2002). Les quelques variations de terminologie entre les concepts identifiés par G. Novarina et M. Galland-Seux et ceux définis par M. Bédarida ne font pas apparaître de divergence fondamentale. Tout comme M. Bédarida, les auteurs présentent cinq figures : « la ville satellite », « la ville à la campagne », « la ville polynucléaire », « la ville des courtes distances », et « la ville complexe ». La conclusion qui se dégage de leur article recoupe également celle de M. Bédarida : la ville nouvelle ne relèverait pas d’une rupture, à proprement parler, dans l’ordre des modèles et des références urbanistiques, mais, à l’instar des autres villes nouvelles françaises ou européennes, d’un prolongement et à la fois d’un enrichissement de l’urbanisme moderne.

Un des apports majeurs des approches géographiques est d’avoir établi des chroniques locales des réalisations des villes nouvelles. Nous les réutiliserons dans notre recherche dès lors que nous aborderons les processus volontaristes de l’Etat et les difficultés à mettre en œuvre localement ses décisions. Les travaux de géographie analysent par ailleurs les acteurs impliqués dans l’aménagement des villes nouvelles, et notamment ceux de l’Administration centrale. Ces travaux nous permettront de clarifier leurs référents d’action urbanistique et certains jeux de pouvoir.

Quant aux analyses de la sociologie urbaine et de la science administrative, elles portent davantage sur les macro-structures des villes nouvelles. Par macro-structures, nous entendons les cadres de l’action publique, les structures administratives, et l’ensemble des mécanismes juridiques, institutionnels, et réglementaires organisant les villes nouvelles.

Notes
243.

Voir notamment, BEDARIDA M. (2002), op. cit. ; CHALAS Y (dir.) (2005), op. cit.

244.

BEDARIDA M., op. cit., p. 119.

245.

CHALAS Y (dir.) (2005), op. cit.

246.

Ibidem, p. 8.

247.

FAVIER R., « Aux origines de L’Isle d’Abeau », in CHALAS Y. (dir.), op. cit., pp. 13-19 ; BELMESSOUS F., « La fabrication de la ville nouvelle de L’Isle d’Abeau : une aventure réaliste ? », in CHALAS Y. (dir.), op. cit., pp. 21-43.

248.

L’Isle d’Abeau plongerait ainsi ses racines jusque dans la France prérévolutionnaire.

249.

Voir à cet égard, MEILLERAND M.-C., La région lyonnaise, cadre d'une nouvelle politique d'aménagement du territoire dans les années soixante, Université Lumière Lyon 2, DEA d'histoire contemporaine, juin 2003, 180 p. ; MEILLERAND M.-C., « La genèse de l’idée de ville nouvelle dans la région lyonnaise »,
in VADELORGE L. (dir.), op. cit., 2004, pp. 115-130.

250.

Le Plan d’Aménagement et d’Organisation Générale est instauré en 1962. Il porte sur 913 communes.
La question de l’aménagement d’une grande région lyonnaise dans laquelle prenait place la ville nouvelle de L’Isle d’Abeau est en réalité étroitement dépendante du prisme rhodanien.

251.

GALLAND-SEUX M., NOVARINA G., « Fragments de modernité en Bas-Dauphiné », in CHALAS Y. (dir.), op. cit., pp. 45-80.