2.3.2.3. Un système qui transforme le projet d’Etat en projet local

En réalité, la question de l’appropriation du projet initial de l’Etat par le local pose également celle plus large de la construction de l’identité locale. La recherche de A. Sauvayre et D. Vanoni 283 tente notamment de questionner l’identité des villes nouvelles au travers des représentations et des discours de ceux qui les ont construites, de ceux qui les ont gérées ou les gèrent encore aujourd’hui, et ceux qui les animent via leur investissement associatif. Leur recherche porte essentiellement sur le projet politique qui sous-tend la démarche des élus locaux face à l’entrée des villes nouvelles dans les intercommunalités de « droit commun ». Leur approche se fonde essentiellement sur une hypothèse : celle de la construction et de la reconstruction continue, par l’imaginaire politique d’une part, par le système de pouvoir local d’autre part, du projet des villes nouvelles. Cette hypothèse suppose de revenir sur les modes de constitution et d’actualisation de l’imaginaire collectif qui a fondé l’identité des villes nouvelles et ce, afin de discerner ce qu’elles pourraient être à l’avenir 284 .

La question de l’identité « introuvable » des villes nouvelles se pose notamment depuis leur origine 285 . Pour A. Sauvayre et D. Vanoni, ce qui apparaît manifeste, c’est que le croisement entre le « projet originel des villes nouvelles », la façon dont s’en sont emparés les constructeurs puis les premiers habitants, et les résistances des élus locaux et des « anciens habitants », a fabriqué une histoire spécifique. Or, l’appréhension d’un destin commun passe aujourd’hui par une appropriation collective de cette histoire, encore difficile à réaliser ; l’histoire et la mémoire étant tour à tour instrumentalisées et « mythologisées », dans la recherche d’un sentiment d’identité et d’appartenance qui reste problématique.

Quant aux travaux de P. Estèbe et S. Gonnard 286 , ils portent davantage sur les logiques de « localisation » du projet de l’Etat. Les auteurs démontrent tout d’abord que dans la plupart des villes nouvelles, cette logique de localisation débouche sur la volonté affichée de transformer la ville nouvelle en « vraie » ville, avec un centre et des quartiers, une identité et un sentiment d’appartenance communs, bref une perspective supra communale. Leurs travaux révèlent ensuite que la conjonction d’un statut d’exception (et donc d’un mode de gouvernance territoriale radicalement différent de ce qui se pratique dans le voisinage des villes nouvelles) et de la volonté d’appropriation du projet de l’Etat, qui se traduit par cet affichage de la construction de « vraies » villes, conduit les SAN et les communes à s’intéresser plus à ce qui se passe « au-dedans » qu’à ce qui se passe « au-dehors ». Les années 1980-1990 correspondent ainsi à une forme de repli des villes nouvelles par rapport à leur environnement territorial et institutionnel, et par rapport à la période originelle où elles étaient clairement positionnées comme un instrument de l’aménagement régional. Selon P. Estèbe et S. Gonnard, l’appropriation du projet passerait donc nécessairement par une bonne dose de localisme et ceci à toutes les échelles puisque, au sein des villes nouvelles, sans en renier leur appartenance, les communes protestent avec vigueur, et succès, de leur autonomie et de leur volonté, elles aussi, d’être de « vraies villes » et pas seulement des « quartiers » de la ville nouvelle.

Au-delà de la complexité de ses aspects techniques (mode de calcul de la fiscalité, mode de désignation des représentants des communes et des nouveaux habitants, transfert partiel ou total des compétences, rapports avec l’établissement public d’aménagement et les communes, conduite et appropriation du projet, etc.), dont l’éclairage appartient comme nous l’avons précédemment souligné au droit administratif et à la sociologie, l’intercommunalité en villes nouvelles relève d’une approche politique. La repositionner dans une épaisseur politique, c’est considérer qu’elle est autant une question politique qu’une question institutionnelle, qu’elle mobilise des stratégies partisanes, qu’elle suscite des pratiques, et qu’elle évolue en fonction du rapport de force local.

Notes
283.

VANONI D., SAUVAYRE A. (2003), op. cit.

284.

De quelle ambition ont-elles procédé et de quelles visions résultent-elles au plan social comme au plan politique ? Comment cet héritage va-t-il être géré ?

285.

Voir à cet égard FOURNY M.-C., « Entre rôle imposé, incertitude et entre-deux : l’évolution de la reconnaissance d’un territoire. Aménagement et identification de L’Isle d’Abeau », in CHALAS Y. (dir.),
op. cit., pp. 81-104. S’interrogeant sur la transformation de L’Isle d’Abeau en territoire, cette thématique de recherche fait l’hypothèse d’une construction ressortissant à l’entre-deux, c’est-à-dire d’une figure nouvelle procédant d’une mise en relation de références territoriales différentes et qui de ce fait ne relèverait pas des formes usuelles de la circonscription, de la limite, de la mono-appartenance et de la continuité. Au final, ce n’est pas à partir de deux espaces de référence que L’Isle d’Abeau est définie comme un objet singulier, mais de
deux figures spatiales, celles du territoire et du réseau.

286.

ESTEBE P., GONNARD S. (2005), op. cit.