2.3.3.2. L’imbrication des territoires politiques

Comme nous l’avons souligné précédemment, la plupart des études sur l’intercommunalité en villes nouvelles ont focalisé sur la question des périmètres. Le rapport de M. Ciavatti, B. Pouyet et M. Vanier 292 adopte un nouveau regard en resituant L’Isle d’Abeau dans ses rapports avec les territoires mitoyens et les collectivités territoriales dont les projets peuvent interagir avec les siens à court ou moyen terme 293 . La problématique est ici éminemment « géographique ». Elle porte en effet sur la dialectique socio-spatiale du projet « ville nouvelle », c’est-à-dire sur l’interaction entre les enjeux spatiaux et les rapports sociaux. Cette approche investit la « culture » des territoires, accumule des observations concrètes constituant autant de références variées, et appréhende les réalités à partir de leur dimension spatiale et multiscalaire.

Ce rapport dévoile par ailleurs les stratégies d’acteurs à différentes échelles et précise leurs positions vis-à-vis du projet territorial de la ville nouvelle. Il donne à voir tout un ensemble de représentations qui indiquent quel rôle et quelle place ils assignent à la ville nouvelle par rapport à leurs propres intérêts et stratégies, mais aussi comment ils la regardent. Ce positionnement épistémologique nous intéresse particulièrement car il permet d’appréhender les ressources mobilisées par ces acteurs pour faire valoir leurs intérêts et/ou défendre leurs positions.

Plusieurs travaux insistent par ailleurs sur la situation d’isolement des villes nouvelles par rapport à leur environnement régional 294 , et ce d’autant plus qu’elles jouissent d’un rapport et d’un accès privilégié à l’Etat. Ces analyses montrent comment les SAN, les EPA, et le Groupe central des villes nouvelles fonctionnent comme un « club » de privilégiés peu relié à l’environnement politique et qui n’investit pas dans le système politique territorial. Selon J.-P. Brouant et J.-P. Lebreton, cette situation ne facilite pas l’intégration territoriale des villes nouvelles dans un cadre intercommunal élargi et les oblige à inventer des systèmes d’alliances afin d’être intégrées dans des territoires de projet plus vastes.

Quant à P. Estèbe et S. Gonnard, ils insistent dans leur rapport sur le fait que les villes nouvelles doivent surtout s’adapter à un véritable changement de culture suite à la fin de leur statut spécifique d’OIN. D’une part parce que le projet de territoire a changé de nature : il ne s’agit plus d’aménager la ville, mais de se positionner à l’échelle du département et de la région en termes de fonctions, de vocations et de stratégies de développement. D’autre part parce que la question n’est plus tant de faire fonctionner l’intercommunalité que de nouer des alliances, sortir de son périmètre pour construire des projets avec d’autres.

Au final, un des apports majeurs des recherches sur le sens politique de l’intercommunalité des villes nouvelles est de révéler les configurations politiques locales, départementales et régionales. Ces travaux s’avèrent surtout indispensables pour bien saisir les intérêts, les idées, les droits et les comportements des acteurs impliqués à divers titres dans la construction politique du territoire de la ville nouvelle.

Selon nous, l’apport heuristique des recherches portant sur l’intercommunalité des villes nouvelles se situe essentiellement au niveau des trois concepts (les acteurs, les institutions et indirectement les ressources) qui constituent les objets principaux à partir desquels nous analysons les phases de conception et de mise en oeuvre du SDAU de la ville nouvelle et du projet de territoire Nord-Isère. Les recherches sur l’intercommunalité nous permettent en effet d’identifier les arènes d’acteurs, de saisir leurs stratégies et modalités d’interactions, d’appréhender les règles institutionnelles en vigueur qui pré-structurent leurs rapports, et de préciser une partie des ressources qu’ils mobilisent pour défendre leurs positions et intérêts (i.e. les ressources cognitives). Comprendre ces interactions dans leur ensemble est indispensable, car elles influencent directement le contenu substantiel du schéma directeur et du projet de territoire comme les modalités procédurales et organisationnelles de leur formulation et de leur mise en œuvre.

Notes
292.

CIAVATTI M., POUYET B., VANIER M., Comment inscrire L’Isle d’Abeau dans la planification métropolitaine et la prospective territoriale régionale ?, INUDEL, 1998, 30 p. + annexes. A l’issue de la phase d’enquête de 1998, l’EPIDA a souhaité prolonger ce travail par une seconde mission. Il s’agissait de réaliser une seconde vague d’entretiens auprès de huit maires de l’« agglomération élargie » afin d’identifier leur positionnement et leurs besoins par rapport au projet d’agglomération. INUDEL, Comment inscrire
L’Isle d’Abeau dans la planification métropolitaine et la prospective territoriale ?, Note complémentaire
au rapport de septembre 1998
, INUDEL, 1999, 11 p. + annexes.

293.

Les relations de la ville nouvelle avec les territoires contigus comme le Parc Industriel de la Plaine de l’Ain,
le Syndicat mixte de l’Est lyonnais, et la Communauté urbaine de Lyon, mais aussi avec les collectivités territoriales telles que les départements du Rhône, de l’Isère, et la Région Rhône-Alpes sont abordées successivement. Une introspection locale porte également sur certaines communes de la ville nouvelle et
du SDAU.

294.

ESTEBE P., GONNARD S., 2005, op. cit. ; BROUANT J.-P., LEBRETON J.-P., 2005, op. cit.