Si les élus ont été associés à l’élaboration du SDAU, conformément à la Loi Foncière de 1967, ce n’est que pour se prononcer sur un document déjà très élaboré de la Mission d’Etude. Cette procédure revient à placer les élus devant un projet conçu selon des principes et des objectifs indiscutables puisqu’ils correspondent aux directions du SDAM et du Livre blanc approuvé lors du CIAT du 26 mai 1970. Elle les met d’une certaine manière sur le terrain de la rationalité de l’aménagement où, tant que l’on en reste au stade des prévisions, la cohérence logique étayée sur ces mêmes principes et objectifs demeure du domaine de l’incontestable car invérifiable. A titre d’exemple, la présentation des hypothèses et des modèles d’urbanisation par le Livre blanc 473 , le projet de SDAU du 25 mai 1971 474 et le schéma définitivement approuvé en 1978 475 , représente un jeu gratuit, une sorte de discours « scientifique » ; mais la conclusion est contenue d’avance dans les directives nationales 476 . D’ailleurs, la stratégie de démarrage de la ville nouvelle, qui est encore présentée comme une hypothèse aux élus lors des différents groupes de travail de la Commission entre décembre 1971 et mars 1972, est déjà décidée depuis 1970, et ce dès l’élaboration du plan de modernisation et d’équipement. Ce dernier a en effet défini pour la période du VIe Plan (1971-1975) le montant des investissements nécessaires pour engager les aménagements du premier quartier d’habitation de la ville nouvelle (« Centre de Saint-Bonnet » sur la commune de Villefontaine), et de la première zone industrielle (« Chesnes-Tharabie » sur la commune de Saint-Quentin-Fallavier).
De même les considérations sur l’organisation de la structure urbaine apparaissent aussi factices car justifiant des décisions prises à l’échelon national. La taille de la ville, sa capacité démographique, son rôle régional ou national, sont en réalité déterminés au niveau du gouvernement et ensuite intégrés dans les futurs projets. L’exemple des fluctuations de la population de la ville est d’ailleurs caractéristique des changements d’orientations nationales : 100 000 à 150 000 habitants sont prévus au début de la mission de l’OREAM puis 400 000 habitants pour revenir au chiffre de 250 000 habitants, chiffres avancés avant même que des études précises sur le terrain ne soient produites.
Cette rationalité à base « technicienne » a parfois bloqué tout dialogue : jusqu’en 1975 les propositions d’urbanisation sont impérativement liées à la conformité avec l’étude préliminaire d’infrastructures des transports (EPIT), c’est-à-dire aux capacités de circulation. Cela a notamment permis à la MEAVN puis à l’EPIDA de refuser toute modification majeure de « l’édifice » du SDAU.
Le formalisme de cette planification tient aussi au fait qu’elle majore fortement les aspects spatiaux au détriment du fonctionnement des logiques économiques et sociales.
En effet, la hiérarchie des centres urbains n’est établie qu’à partir des seuls critères géographiques
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et d’attraction des équipements publics et commerciaux, tandis que les stratégies d’évolution et de localisation des emplois ou des comportements résidentiels ne font pas l’objet de prévisions très approfondies, y compris lors des mises à jour du document en 1973 et 1975. Ainsi la planification est-elle apparue très réductrice et très formelle dès la parution du Livre blanc.
Pour ces raisons, le rôle des élus face aux propositions des techniciens de la MEAVN et des fonctionnaires de la DDE ou du préfet ne peut être qu’assez formel. Si l’on se reporte aux rapports des cinq groupes de travail de la CLAU approuvés le 29 mars 1972 478 , on s’aperçoit qu’ils ne contestent guère les grands principes d’organisation du développement spatial, qu’il s’agisse du système hiérarchisé des centres, des perspectives de croissance démographique, du classement des zones agricoles, dont les conséquences sur les POS sont pourtant considérables. Plus surprenant encore, la sélection des activités sur le site de la ville nouvelle de même que la localisation des zones industrielles ne sont pas ouvertement contestées dans cette instance, bien qu’elles ne soient pas acceptées par les élus. En réalité, le rapport approuvé par la CLAU 479 reprend l’ensemble des préconisations du Livre blanc 480 tout en rappelant la nécessité de mettre en œuvre rapidement certaines mesures esquissées dans le programme de modernisation et d’équipement pour le VIe Plan 481 .
Le projet de SDAU du 25 mai 1971 établi par la MEAVN est donc approuvé par la CLAU ainsi que par les administrations non membres de la Commission puisque leurs avis ne sont pas de nature à entraîner une révision du projet. En revanche, les travaux du SDAU sont ensuite ralentis le temps de la structuration « politique » du territoire à l’issue de laquelle le syndicat communautaire d’aménagement (SCANIDA) s’est substitué au syndicat à vocation multiple (SIAVNIA) 482 , en application de la loi relative aux agglomérations nouvelles (Loi Boscher). Les élus étaient de fait occupés par la constitution du syndicat intercommunal, la formalisation d’un budget, et les premiers aménagements de la ville nouvelle. Autrement dit, toutes les études engageant la réalisation de la ville nouvelle, conduites par la MEAVN et l’EPIDA, et impulsées par l’Etat, sont lancées avant que les modalités de collaboration entre ces instances et les communes ne soient réglées. Ce décalage laisse donc le champ libre à la Mission d’Etude et à l’établissement public dans la phase de lancement des programmes décisifs.
Propositions. L’Isle d’Abeau, Ville Nouvelle, op. cit., pp. 24-31.
Dans les notes complémentaires aux chapitres 7 et 8 du rapport de présentation du SDAU du 25 mai 1971,
la MEAVN justifie, d’une part, le choix du « parti éclaté » et, d’autre part, la stratégie de démarrage de la
ville nouvelle sur le quartier de Saint-Bonnet à Villefontaine, en comparant divers scénarii (une stratégie « Ouest-Saint-Bonnet » ; une stratégie « Montbernier-L’Isle d’Abeau (éperon Est) » ; et, une stratégie
« Saint-Alban-de-Roche-L’Isle d’Abeau (éperon Est) ». Au final, les résultats de cette étude approuvent et légitiment les choix initiaux de la Mission.
L’Isle d’Abeau, Ville Nouvelle. Schéma Directeur d’Aménagement et d’Urbanisme, op. cit., pp. 70-78 (Chapitre 6).
On peut ainsi lire dans un courrier adressé au directeur de l’EPIDA (J. Morel), le 2 juillet 1975, par l’ingénieur général (E. Krau) de la Mission d’Etude et de Contrôle des Zones d’Urbanisation rattachée à l’inspection générale du ministère de l’Equipement : « La dernière partie du SDAU qui présente les quatre options possibles de développement de la ville nouvelle me paraît
un sérieux retour en arrière
et est
en contradiction complète avec l’option retenue et le démarrage actuel
».
Le rapport de présentation du SDAU souligne que « les « vocations » des diverses parties du site imposant pratiquement un grand zonage, elles définissent à elles seules le schéma d’organisation. Le jeu des capacités et des contraintes géographiques dessinera ensuite les limites de la ville qu’il faudra structurer et faire vivre ». L’Isle d’Abeau, Ville Nouvelle. Schéma Directeur d’Aménagement et d’Urbanisme, op. cit., p. 31
Groupe 1 : Infrastructures ; Groupe 2 : Emplois et zones d’activités ; Groupe 3 : Devenir rural et intégration des urbanisations existantes ; Groupe 4 : « Innovation » ; Groupe 5 : Rôle régional de L’Isle d’Abeau.
CLAU, Rapport des groupes de travail de la CLAU, 1er mars 1972, rapport ronéotypé, 11 p.
Ainsi peut-on lire dans la conclusion du rapport de la CLAU : « Les membres de la commission estiment que
la réussite de la Ville Nouvelle dépend de la composition de sa population ; ceci implique la recherche d’un équilibre des types d’emplois créés sur le site même entre secondaire et tertiaire et dans la zone d’emplois entre emplois sur place et emplois à Satolas ou Lyon. Le parti d’urbanisme doit allier un habitat largement ouvert sur la nature, et un certaine concentration nécessaire à la vie de centres urbains. Enfin, et surtout, une étroite synchronisation entre le nombre d’emplois créés, le nombre de logements terminés, et la masse des équipements réalisés, doit être assurée ».
Telle que la desserte téléphonique de la ville nouvelle, la réalisation d’un équipement hospitalier ou encore
la réalisation du contournement autoroutier Est de l’agglomération lyonnaise (A 46).
Le 26 décembre 1972.