Conclusion : Les caractéristiques du réseau d’acteurs impliqués dans la conception du SDAU : des arrangements politico-administratifs centralisés et fermés aux acteurs sociaux

Nous caractérisons ici le réseau d’acteurs chargés de la conception du SDAU de la ville nouvelle au moyen de trois critères principaux : le degré d’intégration ou de fragmentation des arrangements politico-administratifs (i.e. le degré de coordination horizontale et verticale des arrangements impliqués) ; le degré de centralité des acteurs-clés ; et le degré d’ouverture aux acteurs sociaux.

Des arrangements fortement intégrés et centralisés

Peu nombreux, les acteurs impliqués dans la conception du SDAU de la ville nouvelle sont également fortement intégrés. La coordination (horizontale) substantielle s’appuie sur des règles de procédure et sur la volonté des acteurs-clés, en l’occurrence l’Administration et ses outils techniques que sont la MEAVN et l’EPIDA, d’établir des stratégies explicites de coopération pour atteindre les objectifs fixés. Cela n’empêche pas bien entendu des divergences de valeurs, de fonctions et d’intérêts entre l’Administration et les collectivités locales, mais celles-ci sont soit « gommées » par l’Administration qui a le pouvoir de décider, soit prises en compte à condition qu’elles ne remettent pas en cause l’économie générale du schéma.

Les parties précédentes font ressortir le poids - l’influence et le pouvoir - de la MEAVN et de l’EPIDA dans la conception du SDAU de la ville nouvelle. La position centrale de ces acteurs monopolistes se traduit notamment par la possibilité d’intervenir contre la volonté des autres acteurs impliqués - en premier lieu les représentants des collectivités locales - et d’imposer unilatéralement leurs objectifs.

Les arrangements spécifiques en action lors de la conception du SDAU ont par ailleurs un degré de coordination horizontale et verticale relativement élevé car la MEAVN et l’EPIDA, qui ont le leadership avec l’Etat, centralisent à la fois la réalisation et la gestion du schéma. Ces outils techniques sont des acteurs intermédiaires par lesquels tout passe et qui, de fait, s’avèrent ensuite incontournables dans la mise en œuvre du SDAU.

Pour cela, nous avons souligné qu’ils étaient principalement dotés des ressources juridiques, humaines, financières et cognitives. Elles leur permettent d’asseoir leur pouvoir et de forger leurs actions. Ces ressources sont par ailleurs inégalement réparties entre ces organismes techniques et les acteurs locaux (qu’ils soient publics ou sociaux) : ces derniers ont peu de ressources disponibles pour faire valoir leurs valeurs et défendre leurs intérêts, et surtout celles qu’ils pourraient mobiliser sont difficilement accessibles (en particulier les ressources juridiques, humaines et financières).

Des arrangements fermés aux acteurs sociaux

Le degré d’ouverture (ou de fermeture) de la MEAVN et de l’EPIDA à ses interlocuteurs, la mesure dans laquelle ils informent, sollicitent et tiennent compte des avis extérieurs, soulèvent le problème du contrôle et en définitive du pouvoir que la société locale peut exercer sur les activités de ces organismes techniques. Dans la conception du SDAU, le pouvoir de la société locale est faible. La conception est ici principalement organisée autour de la figure d’un acteur-décideur hégémonique - l’administration technicienne - porteur d’un intérêt général abstrait. La participation de la société locale n’intervenant qu’en fin de processus est réduite à la consultation presque exclusive des représentants des collectivités locales et des services administratifs. Cette configuration est en réalité très proche du « régime de commandement » tel que le décrit M. Blanc (1994) ou P. Brachet (1995) à partir de l’analyse de S.-R. Arnstein (1969).

Dans ce régime, la rationalité du porteur de projet prend corps dans le découpage du processus de conception en séquences d’études qui ordonnent une avancée non réversible du projet vers sa réalisation, les arbitrages de l’Administration faisant de chaque étape un nouveau cliquet se rapprochant du résultat. Leur organisation séquentielle construit l’intérêt général à travers un « prisme scalaire » qui fait un zoom progressif sur un but dont les enjeux sont définis à une échelle découplée de l’inscription territoriale du projet.

Ce régime décrit ainsi un modèle « techniciste » 513 autour duquel s’ordonnent les normes et les valeurs de l’Administration. La priorité dans ce modèle va à la solution rationnelle, cohérente, élaborée par le technicien en tenant compte des données de tous ordres : démographiques, économiques, sociales, technologiques et même psychologiques. La référence aux critères techniques, ou bien l’appel à « l’intérêt général » et au bien-être des générations futures sur les désirs des populations actuelles, servent ici de rationalisation à la volonté de tenir à l’écart des interlocuteurs jugés « irrationnels » ou non légitimes, en fait gênants pour la MEAVN et l’EPIDA, ou pour maintenir un bas degré d’association de certains groupes à la réalisation des objectifs du SDAU de la ville nouvelle.

En revanche, la complexité du projet de ville nouvelle oblige l’EPIDA à ne pas être complètement « fermé sur lui-même ». Mais s’il y a ouverture, elle ne doit pas dépasser un certain seuil ; elle doit strictement permettre aux groupes extérieurs, à la population, de fournir et de constituer des éléments d’information servant au travail du technicien. L’environnement social est une variable parmi d’autres. Par ailleurs, la mise en œuvre du projet dépend, en partie, de la volonté des pouvoirs locaux. Il faut alors admettre que les représentants élus et les centres de décisions privés soient « informés », « consultés », « associés » à son élaboration, mais dans des limites bien précises. L’initiative et la conduite à terme du projet doivent demeurer dans les mains de l’EPIDA et de l’Etat.

Toutes les catégories sociales, économiques, et professionnelles n’ont pas collaboré à la conception du SDAU et donc à ses objectifs. La consultation et les débats au cours de la phase préparatoire ont en effet impliqué essentiellement des élus, des techniciens, certains représentants du monde économique et social, ou un public averti. Les milieux économiques eux-mêmes n’ont été représentés que par des médiateurs (chambres consulaires) dont on n’est pas assuré qu’ils soient représentatifs de tous les intérêts en jeu. Les syndicats professionnels et ceux des salariés ainsi que tous les corps intermédiaires de la société ont été par ailleurs absents. Or pour que le SDAU ait une certaine légitimité garante de son efficacité, il est indispensable que sa conception soit ouverte au plus grand nombre d’acteurs publics ou privés susceptibles d’adhérer à ses objectifs et d’entrer dans une démarche partenariale.

Cette insuffisance peut certainement fragiliser sa mise en œuvre dans la mesure où une part importante des intérêts n’y sont pas représentés ou associés. C’est précisément lors de la phase de mise œuvre que nous verrons apparaître les principales difficultés inhérentes au faible degré d’ouverture du processus de conception.

Notes
513.

Voir à cet égard THOENIG J.-C., DANSEREAU F., La société locale face à une institution nouvelle d’aménagement du territoire. Le cas de la métropole d’équilibre lorraine, Paris, Copedith, Groupe de sociologie des organisations, 1968, pp. 45-55.