5.1.1.2. Une élaboration pilotée par l’Etat et l’EPIDA

Les grandes orientations du rapport « L’Isle d’Abeau 2015 » sont en définitive celles de l’Etat et de l’EPIDA : les collectivités locales et en particulier les communes concernées par « l’agglomération élargie » n’ayant guère été consultées et encore moins associées à l’élaboration du rapport 570 . La composition du comité de pilotage de la démarche, co-présidé par le Préfet de Région et le Préfet de l’Isère, reflète à l’évidence le faible degré de participation des élus locaux puisqu’ils ne sont que quatorze sur quarante-cinq.

L’élaboration a en outre été marquée par l’intervention croissante des architectes-urbanistes qui ont formalisé toute une série de cartes et de schémas (vingt-neuf au total), donnant au rapport un aspect très « technique » mais privilégiant en l’occurrence l’approche spatiale. Ce corpus cartographique met en lumière les faiblesses et les atouts sur lesquels va se construire la stratégie territoriale à venir. Nous identifions notamment quatre ensembles de cartes qui prennent sens en tant qu’étapes d’une argumentation visant à justifier de la « bonne » figure territoriale finale.

Le premier ensemble évoque le temps des origines de la ville nouvelle. Les urbanistes rappellent pour ce faire la carte de l’OREAM de 1970 qui marque son acte de naissance (carte n°11, page suivante). Il s’agit bien ici d’indiquer un moment originel, plutôt que d’expliquer un contexte, et d’imposer par le vide la nécessité d’exister. Un jeu de cartes procède à un second niveau d’identification, par une localisation en zoom, de l’échelle européenne à l’échelle locale. Le procédé relevant des modes d’identification classiques de la géographie permet de repérer le territoire en le plaçant en cœur de cible. Les urbanistes font alors appel à la rhétorique du centre (carte n°12 et 13, page suivante). Si la figure est éculée tant elle a été utilisée, elle n’en contredit pas moins la position initiale de satellite ou de périphérie de la ville nouvelle, devenue « charnière ». A grande échelle, la centralité est évoquée par la disposition respective des sites, le pôle lyonnais étant relégué en bordure de carte

Carte n°11 : Le temps des origines
Carte n°11 : Le temps des origines

Source : SDAM, 1970

Cartes n 12 et n°13 : La localisation, une situation charnière en Europe
Cartes n 12 et n°13 : La localisation, une situation charnière en Europe

Source : Rapport « L’Isle d’Abeau 2015 »

Une troisième série de cartes complète cette identification en conférant un statut régional à la ville nouvelle (carte n°14, page suivante). L’Isle d’Abeau acquiert là une valeur stratégique lui permettant de passer de la position de centre à celle de pôle structurant. Tous les objets thématiques des analyses de la géographie régionale et de l’aménagement sont convoqués : démographie, infrastructures, réseau de villes, sites à « enjeux », l’accumulation validant en soi l’importance du site.

Enfin, c’est dans la dernière série que se définit l’objet de la prospective. La carte de la « ville-territoire » (carte n°15, page suivante) met ainsi en scène l’ensemble des principes du projet urbain : la nature est mise à contribution pour faire apparaître la « ville verte » et les territoires de plateaux figurent les décors d’une « ville-nature », la campagne entre dans la ville pour devenir parc, les centralités fragmentées s’associent pour une « vocation métropolitaine » 571 . Insidieusement, l’aire a changé en se recalant sur celle du SDAU dont on rappelle qu’il englobe trente-trois communes dont Bourgoin-Jallieu : l’île devenue archipel fait disparaître la singularité de la ville nouvelle, et la dénomination de L’Isle d’Abeau englobe Bourgoin-Jallieu et se propose d’étendre son dynamisme jusqu’à La-Tour-du-Pin. La ville nouvelle a trouvé un statut, des limites et une identité, comme si elle avait trouvé là une « nature propre » que le raisonnement zonal et planificateur aurait révélé.

Les grandes orientations de ce rapport ont été approuvées par l’Etat 572 lors d’une réunion interministérielle qui s’est tenue le 26 novembre 1998. Il réaffirme tout d’abord la vocation de pôle structurant régional de la ville nouvelle. Dans cette perspective, il souhaite que l’objectif d’un meilleur équilibre des fonctions et d’une plus grande diversité de l’habitat soit poursuivi 573 . Il convie ensuite les collectivités locales à mettre en place une nouvelle « structure de coopération et de solidarité intercommunale sur un périmètre élargi ».

L’Etat pose ici les premiers jalons d’une stratégie de désengagement du processus « ville nouvelle ». Ceci a pour conséquence la transformation à terme de l’EPIDA en une structure assurant aux diverses collectivités territoriales une place de plus en plus décisive, tant en matière de responsabilités que de financements. Les négociations envisagées par l’Etat doivent notamment conduire à faire évoluer les missions de l’Etablissement public vers celles d’agence d’urbanisme, d’agence de développement et d’opérateur aménageur.

Carte n°14 : La vocation régionale de la ville nouvelle
Carte n°14 : La vocation régionale de la ville nouvelle

Source : Rapport « L’Isle d’Abeau 2015 »

Carte n°15 : La « ville-territoire », ou la réminiscence des objectifs du SDAU de la ville nouvelle
Carte n°15 : La « ville-territoire », ou la réminiscence des objectifs du SDAU de la ville nouvelle

Source : Rapport « L’Isle d’Abeau 2015 »

Le rapport « L’Isle d’Abeau 2015 » se présente en définitive comme une « feuille de route » pour l’Etat et les collectivités locales. Ses orientations majeures sont à cet égard prises en compte dans les démarches de planification à l’échelle nationale : schémas de services collectifs et DTA de l’aire urbaine de Lyon (conformément aux décisions des CIADT du 10 avril 1997 et du 15 décembre 1997).

Parallèlement, l’élaboration d’un projet de territoire à l’échelle de l’« agglomération élargie » a pour objet essentiel de donner une portée locale effective aux enjeux formulés dans le rapport. Pour le pilotage de ce projet, l’Etat préconise la mise en place d’une instance de concertation, type « conférence des Maires » 574 , sur un périmètre approprié s’apparentant à celui du SDAU. Cette instance bénéficie par ailleurs du concours technique de l’EPIDA et des services de l’Etat. Nous verrons que cette procédure organisationnelle n’est pas sans rappeler le dispositif mis en œuvre par l’Etat et la MEAVN pour élaborer le SDAU de la ville nouvelle, dans lequel un « Club des Maires » faisait office d’instance de concertation durant les années 1970 et 1971.

Notes
570.

Voir à cet égard la note du Maire de Bourgoin-Jallieu du 22 novembre 1996 annexée au rapport
« L’Isle d’Abeau 2015 » : « Même si nous n’avons pas participé à son élaboration, la lecture de ce rapport nous amène à exprimer un réel sentiment de satisfaction […]. Il doit cependant se continuer par une réflexion sur l’aire urbaine “Satolas-Est de Bourgoin-Jallieu” ». Quant au Président du District de L’Isle Crémieu, il s’exprime en ces termes : « Il est tout à fait inconvenant de présenter un rapport au plus haut niveau de l’Etat, sans en avoir fait par avant aux collectivités et aux populations concernées. Cette démarche témoigne d’un jacobinisme difficilement acceptable. Les collectivités voisines auraient dû être destinataires du rapport, ou au minimum, d’une information circonstanciée. Il ne suffit pas de réunir dans un groupe de travail des représentants de l’Etat et des personnalités politiques pour générer des propositions acceptables par les collectivités voisines qui n’ont pas été consultées ».(lettre adressée au Directeur général de l’EPIDA le 11 mars 1997).

571.

Les termes entre guillemets reprennent les intitulés des cartes de plus petit format, figurant en regard de la carte principale de la ville-territoire et en déclinant les composantes.

572.

Lors d’un Comité Interministériel tenu le 26 novembre 1998.

573.

Relevé de décisions de la réunion interministérielle tenue le jeudi 26 novembre 1998 (diffusé le 8 janvier 1999), p. 1.

574.

Relevé de décisions de la réunion interministérielle tenue le jeudi 26 novembre 1998 (diffusé le 8 janvier 1999), pp. 4-5 : « Le Préfet de l’Isère recherchera avec les élus concernés le dispositif le plus adapté pour piloter l’élaboration d’un projet territorial renouvelé pouvant déboucher sur l’actualisation du schéma directeur dans l’esprit des propositions du rapport « L’Isle d’Abeau 2015 ». Ceci implique la mise en place d’une instance de concertation sur les projets, sur un périmètre approprié s’apparentant à celui du SDAU de L’Isle d’Abeau
en vigueur. Celle-ci pourra prendre la forme d’une conférence des maires ou de toute forme de coopération, associant d’autres partenaires comme le Conseil Général de l’Isère.