Le tableau synoptique précédent souligne à l’évidence combien le référentiel du projet de territoire réitère les figures des schémas de planifications antérieurs (SDAM, SDAU) et actuels (DTA) en les combinant avec des concepts qui sont imposés par la loi SRU. Le cadre d’intelligibilité s’appuie sur un certain nombre d’idées, de concepts fondamentaux récurrents au premier rang desquels nous pouvons citer la nécessité d’une maîtrise de la croissance urbaine et celle du renouvellement urbain en présentant l’étalement comme figure repoussoir. Il reprend aussi les concepts de « ville-nature » et d’équilibre 616 , et introduit fortement ceux de cohérence, de développement durable, d’équité et de solidarité. La polysémie apparente entre le projet de territoire actuel et le SDAU de L’Isle d’Abeau semble jouer en faveur de la continuité des concepts, référentiels et autres valeurs comme celles de l’équilibre et la cohérence.
La figure de l’équilibre trouve son origine dans l’urbanisme de plan et de projection, où penser la ville consiste essentiellement à en projeter une image harmonieuse. L’équilibre suppose l’existence d’une aire de mesure stable, close, sans que les relations avec les territoires situés au delà puissent interférer. La référence à l’équilibre a surtout « une utilité sociale et politique dans la mesure où elle contribue à donner une vision apaisée et sereine de l’aire administrée » 617 .
Quant à la figure de la cohérence, elle idéalise l’image d’un territoire où les effets des frontières internes sont effacés et où le projet d’ensemble se décline au niveau de chaque partie du territoire. Le projet d’un secteur ne concurrence donc pas celui d’un autre et ne crée pas non plus de doublon. La cohérence telle qu’exprimée dans le SDAU de la ville nouvelle et dans le projet de territoire Nord-Isère est donc parée de vertus bienfaitrices, réparatrices, garantes du bien être collectif et de l’unicité du territoire.
Outre le fait que le projet de territoire soit imbibé de modes de raisonnements de la planification dite « traditionnelle », il faut signaler qu’il demeure exclusivement centré sur des préoccupations spatiales. Ces préoccupations ont parfois abouti à un saupoudrage, à des orientations qui peuvent apparaître comme floues ou relever du domaine de l’incantation.En réalité, nous verrons que le projet de territoire ne fait qu’osciller entre la volonté de privilégier les intérêts de « l’agglomération Nord-Isère » (i.e. les intérêts communs) et ceux des communes. Autrement dit, il tente d’éviter deux écueils : les risques de blocage d’une part, et de vidage, d’autre part. Ceci est notamment révélateur de la difficulté de mettre au premier plan les enjeux collectifs, tels que le développement économique, la cohésion sociale ou les rapports entre les villes « neuves » 618 , les villes traditionnelles 619 et les communes rurales 620 .
Au final, l’ensemble de ces observations montre clairement que la permanence du processus de production des représentations entre le SDAU de la ville nouvelle et le projet de territoire Nord-Isère, mais aussi entre ces derniers et les documents de planification d’échelle régionale comme le SDAM Lyon - Saint-Etienne - Grenoble et la DTA de l’aire métropolitaine lyonnaise, consiste à créer les conditions d’une unité d’actions. Sur chacun des concepts utilisés (i.e. l’équilibre, la cohérence, la solidarité, la cohésion, l’équité, etc.), assorti de quelques figures cartographiques ou paysagères, repose un ensemble d’actions et de règles collectives qui paraissent d’autant plus légitimes que ces concepts sont considérés comme naturels et « indiscutables » : pallier les disparités entre les communes en terme de développement économique 621 , corriger la spécialisation spatiale en terme de logements sociaux et rechercher la mixité dans l’offre de logements nouveaux 622 , répartir équitablement les fonctions d’agglomération entre les pôles urbains en les localisant « en partage » 623 , etc. Quelles que soient les valeurs morales que nous accordons à ces figures, leur enjeu est de créer les conditions de la production des formes de l’unité politique, celle de l’action collective 624 .
En définitive, tout se passe comme si, dans la période actuelle de déstabilisation durable ou transitoire qui caractérise la sortie du régime d’exception de L’Isle d’Abeau, le recours à des repères validés et éprouvés devenait encore plus nécessaire. Or cette permanence des figures et des représentations ne pose-t-elle pas question dans un contexte, tant social que scientifique, où l’on prône le renouveau de la planification par le projet ? Comment peut-on promouvoir un changement de mode d’action publique sur des concepts qui semblent être permanents depuis trente ans ? N’y a t-il pas là deux injonctions « contradictoires » ?
5.2.2. La dynamique institutionnelle de l’élaboration du projet de territoire : un jeu encore fermé et monopolistique
Nous rappelons ici que nous abordons la question de la dynamique institutionnelle de l’élaboration du projet de territoire à partir de l’analyse des éléments organisationnels (i.e. les acteurs impliqués dans l’élaboration du projet), procéduraux (i.e. les procédures d’élaboration et d’approbation du projet) et opératoires (i.e. les ressources et les instruments privilégiés pour atteindre les objectifs retenus).
Il est bien entendu que cette grille d’analyse n’est pas conçue comme une grille rigide tant ces éléments sont liés les uns aux autres. Ni prescriptive ni normative, elle nous permet de préciser le contenu du projet de territoire et de révéler des continuités et des ruptures en terme de modes de faire avec le SDAU de 1978.
5.2.2.1. Le système d’acteurs impliqués dans l’élaboration du projet de territoire : des arrangements politico-administratifs « centralisés »
sur lesquels nous ne reviendrons pas. Voir à cet égard le Chapitre 4, Partie 4.2.1.2.
CASTEL J.-C., La SRU, MELT-ENPC, Support du Séminaire planification urbaine 2001-2002, décembre 2001, p. 33.
Villefontaine et L’Isle d’Abeau.
Parmi lesquelles on peut citer Bourgoin-Jallieu et La Verpillière.
Bonnefamille, Domarin, Four, Saint-Alban-de-Roche, Satolas-et-Bonce, Vaulx-Milieu pour ne citer que celles là.
Projet de territoire Nord-Isère (Version n°10), p. 22.
Ibidem, p. 32.
Ibidem, p. 34.
Voir à cet égard, Debarbieux B., Fourny M.-C., Vanier M., « La prospective est représentation »,
in Territoires 2020, 2001, n°3, p. 35.