Les instruments (économiques) incitatifs : les aides à l’investissement

Dans le cadre des mesures (i.e. les actions ou opérations au sens de l’article L 300-1 du Code de l’urbanisme) mises en œuvre pour atteindre les objectifs prévus dans le SDAU de la ville nouvelle, nous avons souligné que les instruments incitatifs utilisés s’appuyaient essentiellement sur les dotations et les subventions directement attribuées par l’Etat 718 , même si ces dernières n’ont pas cessé de s’étioler depuis la création de la ville nouvelle. Suite à la décentralisation, cet interventionnisme « autoritaire » s’accompagne notamment d’un interventionnisme « partenarial » sous la forme de conventions triennales de développement (Art. L. 5311-1 du code général des collectivités territoriales). Mais la formalisation de ces conventions est très légère : elles ne concernent que des objectifs de développement, sans prise en compte des problèmes de gestion 719 .

Dans le cadre du projet de territoire, les aides financières pour la réalisation des actions structurantes sont quant à elles uniquement délivrées sous forme de subventions à l’investissement qui sont préalablement discutées, négociées et arrêtées dans un contrat d’agglomération 720 . Prévu par l’article 26 de la Loi Voynet, le contrat d’agglomération traduit la formalisation d’engagements réciproques entre l’Etat, la Région, le Département et l’EPCI en application du Contrat de Plan Etat-Région 2000-2006. Il précise notamment les axes prioritaires d’intervention des différents signataires et les moyens financiers qu’ils s’engagent à y consacrer 721 .

Dans le cas d’une ville nouvelle, ce dispositif est complété après le retrait de l’Etat par un contrat de développement 722 dans lequel l’Etat s’engage à financer sur une période de cinq ans des actions de développement, dans la limite d’une participation de 30% du montant total hors taxes de chaque projet cofinancé et d’une enveloppe financière prédéterminée.

Si le retrait de l’Etat en matière d’aides spécifiques - qu’elles soient ou non financières 723 - constitue indéniablement une rupture entre les mesures mises en œuvre pour atteindre les objectifs du SDAU de la ville nouvelle et celles mises en œuvre dans le cadre du projet de territoire, nous constatons en revanche que le dispositif actuel des procédures contractuelles demeure très semblable au système des conventions triennales de développement et des aides spécifiques de l’Etat, en particulier en matière d’engagement de comportement.

En effet, en contrepartie d’avantages financiers, le contrat d’agglomération et le contrat de développement obligent toujours les structures locales (i.e. le SAN et le SATIN) à exercer leurs compétences dans un certain sens. La souplesse dans les modalités d’attribution et de gestion que revêt ces instruments incitatifs leur confère notamment un caractère important d’outil de négociation, que l’Etat et dans une moindre mesure l’EPIDA exploitent à des fins coercitives.

En ce sens, la possibilité de signer une convention de développement ou un contrat d’agglomération a été conçue comme un instrument à la fois d’incitation à la structuration institutionnelle 724 et de subordination des enjeux locaux aux objectifs et orientations stratégiques de l’Etat. Sur ce point, la circulaire du 26 décembre 2000 relative aux priorités et modalités de contractualisation pour les contrats territoriaux dans les domaines relevant du ministère de l’Equipement précise que « l’engagement de l’Etat dans le contrat suppose la prise en compte par le projet de territoire des enjeux locaux de l’Etat ; c’est la condition fondamentale à la mobilisation des crédits du ministère dans les contrats territoriaux ». Le non respect des objectifs de l’Etat 725 peut donc être un motif légitime de refus de signer un contrat d’agglomération. La conclusion des conventions triennales de développement relevait notamment du même principe : en contrepartie d’avantages financiers, le SAN devait prendre en compte les orientations stratégiques de l’Etat, en particulier en matière de programmation de logements, d’équipements et d’emploi 726 .

Nous soulignons ici que ces modalités de contractualisation conditionnent encore fortement les négociations portant sur la mise en oeuvre d’une convention de sortie de l’OIN 727 et d’un contrat de développement – deux procédures actuellement en cours de négociation entre l’Etat et les collectivités locales – : elles seront en effet signées après que les conditions de création de la nouvelle intercommunalité autour du SAN de L’Isle d’Abeau et de Bourgoin-Jallieu seront réunies 728 , et que les enjeux locaux de l’Etat en terme de poursuite du développement de l’« ex-ville nouvelle » seront pris en compte dans le projet d’agglomération.

Il faut signaler par ailleurs que le contrat d’agglomération et le futur contrat de développement doivent tous deux s’articuler avec le contrat de plan Etat-Région 729 , à l’image des conventions triennales et pluriannuelles de développement mises en œuvre dans le cadre du SDAU de la ville nouvelle. La permanence de ce cadre matériel et temporel pour tout engagement financier de l’Etat renforce à l’évidence la stabilité des comportements des différents signataires impliqués dans ce type de procédure contractuelle (EPCI, région, département, communes, etc.).

Il faut également faire remarquer que les processus d’élaboration et de négociation des conventions de développement de la ville nouvelle et des contrats d’agglomération et de développement de l’agglomération Nord-Isère ont été conduits par le même médiateur, en l’occurrence l’EPIDA. Dans les deux cas de figure, il a été assisté dans cette tâche par le Secrétariat général du groupe central des grandes opérations d’urbanisme (ex-villes nouvelles) qui a coordonné les discussions entre l’Etat et les collectivités locales. Chacune de ces procédures a ensuite été discutée avec les autres partenaires (Région et Département).

Notons enfin qu’en l’absence de structure intercommunale pérenne au moment de la signature du contrat d’agglomération en 2005 730 , c’est l’EPIDA qui a été chargé de l’élaboration et du suivi du contrat, de la même manière qu’il avait déjà assuré l’élaboration et le suivi des conventions de développement de la ville nouvelle 731 . Il maintient de fait la bonne application de ces procédures contractuelles et la synchronisation de l’ensemble des projets. Il se trouve en retour inévitablement justifié et confirmé dans son rôle d’expert et de médiateur.

En définitive, il faut souligner ici à la fois la stabilité des instruments d’intervention utilisés successivement pour atteindre les objectifs du SDAU de la ville nouvelle et du projet de territoire, même si les instruments « persuasifs » ont été privilégiés dans le cadre du projet de territoire, et l’invariabilité des acteurs qui en disposent et les combinent ; ce qui, d’une certaine façon, maintient les caractéristiques du « réseau d’acteurs » (H. Bressers, 1995 732 ).

Notes
718.

Les aides qui, pour partie au moins, présentent un caractère particulier aux villes nouvelles et s'éloignent donc du droit commun, peuvent être classées en deux catégories : les dotations aux collectivités supports des villes nouvelles et les interventions directes de l'Etat. A ces dotations s’ajoutent également les aides aux EPA. Les aides à l’investissement recouvrent le différé d’amortissement des emprunts (aide versée sous forme d'avances remboursables à long terme), la dotation globale d’équipement (financement des équipements dans les domaines scolaire, premier et second degré, sportif, socio-éducatif, sanitaire, administratif, culturel, assainissement et eau),
les moyens d’équilibre (dotations en capital de l'Etat, notamment pour alléger la charge de la dette et, le cas échéant pour faire face aux dépenses exceptionnelles liées à la rapidité de la croissance de ces agglomérations),
les subventions des infrastructures de transport, des transports internes à la ville nouvelle, des logements locatifs sociaux (par des dotations de crédits PLA individualisées), la dotation globale de fonctionnement spécifique,
le soutien au développement économique (dispense de l’agrément, remboursement du versement transport).

719.

Dans le cadre de la convention triennale de développement, l'Etat, la Région et le Département s'engagent à apporter un certain nombre d'aides spécifiques et à réaliser un certain nombre d'infrastructures, négociées pour la plupart au niveau du Contrat de plan Etat-Région. Les conventions de développement définissent notamment des objectifs quantitatifs en termes de construction de logements, en incluant une programmation indicative par type et par opération de construction de m² de bureaux et de commerces, et de nombre d'hectares d'activités. Elles fixent les besoins en termes d'équipements d'accompagnement nécessaires aux nouvelles opérations. Elles peuvent également mentionner les grands équipements de superstructures envisagés sur la période.

720.

Le contrat d’agglomération doit porter principalement sur les « mesures », c’est-à-dire les actions ou opérations au sens de l’article L. 300-1 du Code de l’Urbanisme permettant d’atteindre les objectifs prévus dans le projet de territoire. Il en est à la fois la phase opérationnelle et la tranche d’exécution à moyen terme (en principe la durée du Contrat de Plan Etat-Région).

721.

Décret du 21 décembre 2000. Les textes évoquent donc de véritables engagements qui, si nous en croyons la jurisprudence relative aux CPER, ne sont pas sans effets juridiques.

722.

Annexé à la convention de sortie de l’OIN, le contrat de développement précise les orientations prioritaires en matière de développement économique, de créations d’emplois, de développement universitaire et de recherche, de diversification de l’habitat, de renouvellement urbain et de développement durable. Il définit les grandes options d’aménagement et de développement des territoires, ainsi que les moyens à mettre en place,
en particulier ceux de l’Etat. La participation financière de ce dernier prend la forme de subventions attribuées à la structure intercommunale sur présentation de projets. Les crédits inscrits constituent des autorisations
de programme à engager avant la fin du contrat.

723.

En application de l’article L. 5334-21, à la date fixée par le décret d’achèvement, les mécanismes de financement propres à l’agglomération nouvelle sont supprimés. Sous réserve des mesures d’accompagnement prises par l’Etat, les conséquences budgétaires sont principalement les suivantes. S’agissant de l’attribution de subventions de l’Etat soumises à un seuil démographique, et notamment pour le calcul de la DGF, il n’est plus ajouté à la population de chaque commune une population fictive. L’agglomération nouvelle ne bénéficie plus des aides spécifiques de l’Etat. En particulier, le différé d’amortissement, qui constitue une aide à l’investissement des collectivités locales sous forme d’avances remboursables à long terme, est supprimé. Les élus ne peuvent plus attendre de l’Etat les moyens d’équilibre destinés à financer les dépenses exceptionnelles liées à la rapidité de la croissance des agglomérations. Ces dotations sont notamment versées au SAN de L’Isle d’Abeau qui est dans l’incapacité d’assumer ses dépenses de gestion, en raison de l’insuffisance du produit de la taxe professionnelle, du montant élevé de la dette et de la dotation de coopération versée aux communes qui représente une dépense obligatoire de son budget de fonctionnement. A la date d’achèvement, le SAN n’est plus habilité par ailleurs à recevoir la garantie de l’Etat et des collectivités publiques pour les opérations engageant sa propre responsabilité vis-à-vis
des établissements publics de crédit.

724.

La circulaire du 8 juin 2000 relative au suivi des politiques territoriales de l’Etat rappelle en effet que « l’objectif recherché est la structuration des territoires autour de projets locaux de développement et de cohésion sociale grâce à la constitution d’intercommunalités intégrées aptes à porter et à gérer ces projets ». En ce sens, le contrat d’agglomération apparaît d’abord comme l’un des accompagnements procéduraux des objectifs de la
Loi Chevènement.

725.

La circulaire du 26 décembre 2000 précise notamment les grands principes de positionnement de l’Etat :

« traduire sur la période du contrat des options stratégiques de long terme (15 ans) pour l’agglomération concernée, telles qu’elles sont exprimées dans le projet d’agglomération d’un côté et dans les objectifs de l’Etat pour l’agglomération de l’autre ;

contribuer à l’intégration locale des logiques de développement économique et de solidarité ainsi que la prise en compte du développement durable ;

transposer ces projets en financements pluriannuels précis engageant chacun des partenaires signataires du contrat ».

726.

L'article 33 de la loi du 18 juillet 1983 portant modification du statut des agglomérations nouvelles, stipule que « la communauté, le syndicat d'agglomération nouvelle ou la commune créée en application des 1° et 2° de l'article 6 bénéficient de dotations en capital de l'Etat, notamment pour alléger la charge de la dette et, le cas échéant, pour faire face aux dépenses exceptionnelles liées à la rapidité de croissance de ces agglomérations, sous réserve qu'une convention avec l'Etat fixe les conditions d'octroi de ces dotations, notamment en ce qui concerne les engagements respectifs des parties signataires de cette convention en matière de programmes de logements, d'équipements et d'emploi ».

727.

Signée par l’Etat, l’établissement public d’aménagement, le SAN et les collectivités territoriales concernées, cette convention d’achèvement porte essentiellement sur le calendrier et les principes de transferts des équipements publics et des responsabilités de l’Etat au SAN en matière d’aménagement. Les conditions du retrait de l’Etat du processus d’aménagement opérationnel doivent garantir la poursuite par les élus des opérations qui ont été initiées.Pour caractériser les modalités d’achèvement de la ville nouvelle, nous pourrions parler ici d’un certain changement dans la continuité. Voir à cet égard, LALUQUE L., « Vers la fin des villes nouvelles », AJDA, 3 mai 2004, pp. 915-923.

728.

Le Plan d’action de l’Etat sur l’avenir de la ville nouvelle de L’Isle d’Abeau et du territoire
Nord-Isère
du 23 octobre 2003 le stipule très clairement : « L'Etat est prêt à accompagner la sortie de l'opération d'intérêt national, dès lors qu'une structure intercommunale adaptée d'un périmètre suffisant aura été mise en place. Par cet accompagnement l'Etat montrera son soutien à la poursuite du développement du territoire ».
Le contrat de développement proposé par l’Etat à la future communauté d’agglomération est notamment assorti :

– d’une remise de dette de 10 millions d’euros sur le différé d’amortissement (soit le quart de la dette actuelle du SAN de L’Isle d’Abeau). L’Etat propose par ailleurs un rééchelonnement des échéances de remboursement.
Sur ce point, les élus de la communauté d’agglomération devront choisir entre deux hypothèses :

Pas de modification de la durée (23 ans). La Communauté d’agglomération remboursera dès lors
1,2 millions d’euros tous les ans ;

ou un million d’euros tous les ans en prorogeant l’échéance de 7 ans.

– et d’une aide à la réalisation de projets d’intérêt communautaire sur cinq ans dans la limite d’une participation de 30% du montant total hors taxes de chaque projet et d’une enveloppe financière de 10 millions d’euros.

729.

L’articulation avec les contrats de plan Etat-Région est bien précisée tant par la loi du 29 juillet 1982 que par le décret du 21 décembre 2000. L’article 11 alinéa 4 de la loi du 29 juillet 1982 modifié par l’article 11 de la loi
n°85-1376 du 27 décembre 1985 dispose en effet que « Le contrat de plan conclu entre l’Etat et la région définit les actions que l’Etat et la région s’engagent à mener conjointement par voie contractuelle pendant la durée du plan (cette référence est devenue sans objet, le plan étant en voie d’extinction). Il précise les conditions de conclusion ultérieure de ces contrats » et ajoute que « Des contrats particuliers fixent les moyens de mise en œuvre des actions définies dans le contrat de plan ». L’article 4 du décret n°2000-1248 du 21 décembre 2000 dispose d’autre part que « pris en application du contrat de plan Etat-régions, le contrat particulier est conclu pour la durée restant à courir de ce contrat de plan ». Il apparaît assez nettement au regard de ces deux textes :

que les contrats d’agglomération doivent a priori s’analyser comme une des catégories des contrats particuliers pris en application des contrats de plan Etat-régions ;

que, dès lors, le contrat de plan Etat-régions constitue le cadre matériel et temporel des engagements que l’Etat et la région peuvent inscrire dans les contrats d’agglomération comme dans d’autres contrats particuliers tels que les conventions.

La circulaire du Premier Ministre du 31 juillet 1999 précise d’ailleurs cette articulation en stipulant « que pour les contrats de plan 2000-2006 ceux-ci comprennent 1°) un volet régional présentant les différents projets qui concourent au développement de l’espace régional pris dans son ensemble ou qui ont un intérêt régional et les financement de l’Etat, de la région et des autres partenaires qui s’y rapportent 2°) un volet territorial présentant « les modèles d’action qui concourent au développement local et à une meilleure organisation du territoire » et elle ajoute que ce volet territorial « constituera le cadre des engagements de l’Etat et de la région pour les futurs contrats d’agglomération et de pays… Il indiquera les financements réservés par l’Etat et la région à la contractualisation avec les pays et les agglomérations ».

730.

Cette situation est notamment envisagée par l’article 26 de la Loi Voynet. Il prévoit en effet une période transitoire 2000-2006 : toutes les communes et structures intercommunales (même celles qui n’ont pas opté pour la TPU)
qui s’associent volontairement pour élaborer un projet d’agglomération peuvent être signataires d’un contrat d’agglomération et assurer sa maîtrise d’ouvrage. Ce faisant, elles s’engagent à se constituer en EPCI à TPU avant l’échéance du contrat, et en tout état de cause avant le 31 décembre 2006 : si cet engagement n’est pas respecté, seules les communes organisées en EPCI à TPU sont habilitées à participer au renouvellement du contrat.

731.

Le suivi de ces conventions était fait dans le cadre du vote du budget des conseils d'administration de l’EPIDA. Le suivi était donc assuré indirectement, mais en temps réel.

732.

Selon cet auteur, les instruments choisis sont fonction des caractéristiques du « réseau d’acteurs » (policy network) responsable de la politique publique tant pour la formulation que pour la mise en œuvre. Pour lui, un tel réseau a deux caractéristiques principales : le niveau des interactions (intensité de leurs relations) entre ses membres et son propre degré de cohésion (degré de compatibilité entre leurs objectifs). H. Bressers développe notamment l’idée que les instruments les plus souvent choisis seront ceux permettant de maintenir les caractéristiques du réseau d’acteurs.