Des arrangements fortement intégrés et centralisés

Nous constatons tout d’abord que l’élaboration du projet de territoire n’a pas fait l’objet d’une activité plus ouverte à d’autres acteurs publics, privés, voire sociaux, que celle du SDAU de la ville nouvelle. Le nombre d’acteurs impliqués est notamment toujours relativement restreint :l’élaboration résulte en effet de l’intervention simultanée d’un acteur monopolistique, l’EPIDA, de deux niveaux territoriaux (Etat - SGGOU - et collectivitéslocales) et du fait que plusieurs administrations déconcentrées et décentralisées sont compétentes pour chacun de ces niveaux (DDE, DDAF, DDAS, etc.). Les collectivités territoriales régionale et départementale sont notamment absentes de l’élaboration du projet de territoire, bien qu’elles participent ensuite à la mise en œuvre des mesures permettant d’atteindre les objectifs prévus. Il faut également souligner ici que les acteurs sociaux sont écartés de l’élaboration du projet de territoire et certains sont encore absents : nous pensons ici aux milieux économiques eux-mêmes (et non pas ceux qui les représentent) et aux corps intermédiaires de la société.

Peu nombreux, ces acteurs sont par ailleurs fortement intégrés : la coordination horizontale substantielle s’appuie à la fois sur des règles de procédure - même si ces dernières se révèlent être plus « souples » que celles du SDAU de la ville nouvelle 733 - et sur le pouvoir et la volonté des acteurs clés (i.e. l’Administration et l’EPIDA) d’établir la coordination nécessaire pour atteindre les objectifs prévus. Le leadership dans leur propre domaine de compétences est pour cela maintenu, voire renforcé comme nous avons pu le relever pour les capacités d’expertises de l’EPIDA.

Ce dernier a notamment tendance à se concentrer sur la substance ; il accentue par conséquent le caractère « intellectuel » de sa mission. Comme médiation de son rapport avec les collectivités locales, il choisit une politique de diffusion d’idées et un rôle pédagogique, une stratégie visant à transformer les mentalités. Sa légitimité se fonde dès lors sur un besoin rationnel qu’il « martèle » auprès du plus grand nombre d’acteurs possibles. Cette stratégie renforce notamment la distanciation des acteurs sociaux (et parfois des élus locaux), et maintient la participation dans la recherche de consensus, dont l’issue demeure l’acceptation par le milieu local des valeurs, des visées et des projets de l’Administration.

Cette position centrale, qui se fonde ici sur la maîtrise de la ressource cognitive, se traduit également par la tenue sous contrôle des ressources juridiques, financières et patrimoniales. Elles permettent à l’Etat et à l’EPIDA de « rattraper » ce qui aurait pu être éventuellement perdu lors de la définition du projet de territoire. Sur ce point, la mise en œuvre d’un contrat d’agglomération en est l’illustration parfaite. Il permet en effet le retour de l’Etat (et indirectement de l’EPIDA en tant qu’expert) dans le jeu : l’article 3 du décret du 21 décembre 2000 stipule que « le contrat particulier… est élaboré conjointement avec l’Etat et la région ainsi que, le cas échéant, le département ». Les termes ont leur importance car si nous faisons le parallèle avec la législation d’urbanisme, nous parlons ici d’élaboration conjointe et non pas d’élaboration associée : autrement dit, chaque partie est mise sur un pied d’égalité pour l’élaboration du contrat. L’Etat peut donc logiquement refuser de le signer tant qu’il mettra en œuvre des objectifs non conformes à ses propres orientations…

En définitive, les ressources demeurent encore inégalement réparties entre les acteurs impliqués dans la conception du projet de territoire : les élus locaux de même que la « société civile » ont peu de ressources disponibles pour faire valoir leurs valeurs et défendre leurs intérêts, et surtout celles qu’ils pourraient mobiliser restent difficilement accessibles (en particulier les ressources juridiques, humaines et financières).

Quant à l’EPIDA, il s’avère qu’il est toujours cet acteur intermédiaire, ce médiateur, par lequel tout passe et qui, de fait, peut contrôler le comportement des autres acteurs impliqués dans la conception du projet de territoire et se rendre indispensable dans sa mise en œuvre.

Notes
733.

Le contenu du projet de territoire est en effet défini de façon très large par l’article 26 de la Loi Voynet et inclut également la mise en œuvre des engagements internationaux issus du sommet de Rio de Janeiro. D’après le document-guide élaboré par la DATAR (Contrats d’agglomération, mode d’emploi, septembre 2001), « le projet d’agglomération est à la fois un document stratégique de référence et un processus de négociation, donc de définition d’un portage politique et juridique ». Ce document mêle en effet ces différents objectifs, ce qui explique sa formulation généralement très proche des déclarations d’intention. G. Marcou (Annuaire GRIDAUH, 2000, p. 74 et sv.) en conclut que le projet d’agglomération n’est qu’un programme d’action qui est en tant que tel dépourvu de toute valeur normative. Toutefois, un tel projet encadre le contrat d’agglomération : il pourrait donc théoriquement être déféré par le préfet devant le juge administratif s’il contient des dispositions manifestement illégales.