Les enjeux des collectivités locales

L’enjeu pour le SATIN est de faire reconnaître et conforter le positionnement du territoire Nord-Isère dans les logiques régionales et nationales d’aménagement du territoire et de promouvoir la logique d’intercommunalité auprès des communes membres afin qu’elles forment ensemble une communauté d’agglomération. Nous pouvons à cet égard signaler que les textes juridiques font abstraction des communes qui, en toute logique, ne peuvent pas être signataires des contrats d’agglomération. Or nous relevons pas moins de deux actions dans le Contrat d’agglomération Nord-Isère – sans compter celles qui sont classées dans la catégorie d’actions « susceptibles d’être financées uniquement par les collectivités territoriales » – dont la maîtrise d’ouvrage est communale 761 . Or les communes concernées ne sont pas forcément compétentes pour agir, et ce même si elles sont maîtres d’ouvrages délégués. Cela limite à l’évidence la portée de ces actions.

Mais au-delà de la question purement juridique, cette disposition révèle que les actions définies dans le Contrat d’agglomération Nord-Isère demeurent éminemment spatialisées et rattachées à la commune. Les projets à vocation collective, qui théoriquement devraient avoir la priorité, n’ont aucune maîtrise d’ouvrage affichée ni même de clés de financement. La plupart de ces projets ont dès lors une portée essentiellement politique et déclarative : aucun ne pourra en effet déboucher dans le temps imparti sur des engagements contractuels et des dispositions d’ordre technique 762 . Lors de l’élaboration du contrat d’agglomération, les communes ont en réalité plutôt défendu un point de vue normatif relatif à leur avenir. Partant, le processus d’élaboration est devenu progressivement moins une tâche d’intégration d’une gamme de considérations en une stratégie logique, qu’une collecte d’éléments disparates qui résultent de compromis établis pour résoudre des conflits d’intérêts.

La méthode employée par l’EPIDA pour élaborer le contenu du contrat d’agglomération est à cet égard révélatrice. Les collectivités locales se sont en réalité prononcées sur un « catalogue d’actions structurantes » que l’EPIDA a constitué à partir de leurs propres demandes et des orientations de la DTA de l’aire métropolitaine lyonnaise et du projet de territoire 763 . La plupart des actions proposées par l’EPIDA s’inscrivent surtout dans une stratégie de partage égalitaire des fonctions d’agglomération entre les pôles urbains du SATIN, et ce afin de réduire les conflits d’intérêts entre les communes, en particulier entre le SAN et les communes périphériques 764 .

Les collectivités locales ont par la suite hiérarchisé l’ensemble des actions proposées par l’EPIDA selon des critères de sélection qu’il a lui-même préalablement défini 765 . Cette « grille de lecture » lui permet ainsi de persuader les élus locaux d’inscrire dans le contrat d’agglomération telle action plutôt qu’une autre. Il faut rappeler ici que l’EPIDA est aussi le garant des projets de l’Etat dans la mesure où il est chargé par le préfet de l’Isère de veiller à ce qu’ils soient bien inscrits dans le contrat. L’EPIDA détient de fait les deux pôles de production du discours : celui des collectivités locales et celui de l’Etat.

Il faut par ailleurs signaler que le contenu du contrat est à l’image de la configuration du comité de pilotage du SATIN chargé de son élaboration, dans lequel les communes rurales sont sous-représentées 766  : pratiquement toutes les actions portent en effet sur les communes urbaines (Bourgoin-Jallieu, Villefontaine et L’Isle d’Abeau),c’est-à-dire sur les trois centralités désignées dans le projet de territoire pour accueillir prioritairement les fonctions d’agglomération 767 .

A l’évidence, la localisation des actions ne correspond pas à la juste « répartition » que les communes du SATIN attendent de la future communauté d’agglomération, ce qui a tendance à déstabiliser les négociations relatives à la structuration institutionnelle du territoire. Il n’est d’ailleurs pas étonnant que le quorum n’ait pas été atteint au sein du comité syndical du SATIN du 27 mai 2004 pour valider le projet de contrat d’agglomération. C’est tout à fait représentatif des dissensions internes au SATIN entre communes urbaines et communes rurales d’une part, mais aussi entre communes de la ville nouvelle et communes hors ville nouvelle d’autre part 768 .

Nous signalons à cet égard que trois communes de la ville nouvelle (Four, Vaulx-Milieu et L’Isle d’Abeau) ont engagé le 3 mars 2004 un recours auprès du Tribunal administratif contre l’arrêté du 30 janvier 2004 par lequel le préfet de l’Isère a modifié les statuts du SATIN pour qu’il puisse être reconduit jusqu’à l’avènement de l’agglomération. Ce recours fait apparaître que ce sont autant les mesures et les actions inscrites dans le contrat d’agglomération qui sont désavouées, que le principe même de communauté d’agglomération que l’Etat cherche à imposer aux collectivités locales. Ce recours rappelle à l’évidence ceux que nous avons analysés lors de la mise en œuvre du SDAU 769  : nous constatons que derrière l’utilisation de la procédure du droit de recours, c’est surtout la méthode d’élaboration du projet et du contrat qui est principalement en cause.

Notes
761.

Dans le cadre de l’action « Pôle Matériaux », développement de la « Plateforme METIS » par Bourgoin-Jallieu (plateforme de recherche et développement dans le domaine des textiles et du papier devant favoriser les transferts de technologie). Dans le cadre de l’action « Politique de la ville », développement de l’hébergement d’urgence sur la partie Ouest de l’agglomération. La maîtrise d’ouvrage incomberait au SAN ou à « d’autres communes ».

762.

A titre d’exemple, nous pouvons citer plusieurs actions : celles relatives à la création des pôles d’excellence matériaux et logistique et au développement des formations post-baccalauréat et de l’hébergement d’urgence ;
ou encore celles concernant la mise en œuvre d’un agenda 21 et l’aménagement de la vallée de la Bourbre.

763.

Contrat d’agglomération Nord-Isère, Compte rendu du Comité de pilotage du SATIN du 2 avril 2004, p. 2.

764.

Cet égalitarisme ira jusqu’à rajouter dans le contrat d’agglomération une action relative au développement d’un pôle culturel dont la tête de réseau serait localisée sur Villefontaine, car cette commune totalisait moins de projets que les autres pôles urbains. Or la question de la culture n’a jamais été débattue au sein du SATIN de même qu’il n’existe aucun projet culturel d’agglomération.

765.

Les critères retenus sont : l’identification du maître d’ouvrage, le degré de maturité, la définition du projet,
la nature de l’action proposée (étude de définition, APS, travaux…), le calendrier de réalisation, l’intérêt communautaire et le caractère structurant pour l’agglomération. Contrat d’agglomération Nord-Isère,
Compte rendu du Comité de pilotage du SATIN du 15 avril 2004,
p. 1.

766.

Sur vingt-deux membres que compte le comité de pilotage, sept seulement sont des représentants des communes rurales. Villefontaine et Bourgoin-Jallieu sont les communes qui ont désigné le plus grand nombre de délégués : six chacune.

767.

Projet de territoire Nord-Isère (Version n°10), juin 2004, pp. 34-37. « Bourgoin-Jallieu pour l’accueil du pôle médical d’agglomération, des services de sécurité (tribunal, pompiers, gendarmerie), de la formation et des équipements pour le sport de haut niveau, du commerce traditionnel de centre-ville ; L’Isle d’Abeau pour l’accueil du pôle de formation supérieure et des services d’accompagnement (hébergement, services aux étudiants et aux enseignants, offre sportive et culturelle…), d’une grande salle sports-spectacles, du commerce de grande distribution, des services administratifs ; Villefontaine pour l’accueil du complexe culturel du Vellein, de projets associant investissements publics et privés dans le domaine de la culture (dans la continuité des parcs urbains de Villefontaine et du golf de L’Isle d’Abeau, pourrait ici se décliner la dimension ville-nature du projet de territoire : golf, parcs à thèmes, maison du patrimoine du marais, etc. ».

768.

Voir notamment RABILLOUD S., « L’Isle d’Abeau ou le blocage de la construction politique de l’agglomération », in VADELORGE L., Gouverner les villes nouvelles. Le rôle de l’Etat et des collectivités locales (1960-2005), Paris, éd. Manuscrit Université, 2005, pp. 339-358.

769.

Voir la partie 4.3.1. La mobilisation des droits de recours par les collectivités locales : la stratégie de l’affrontement.