La variable de situation : une variable peu explicative des ruptures et des continuités

Il est important de souligner ici que le contexte spécifique de ville nouvelle n’est pas en lui même explicatif des ruptures et des continuités que nous avons précédemment mises en lumière. La sortie du dispositif d’opération d’intérêt national de la ville nouvelle ne fait en réalité qu’éclairer ce qui a pu se passer ailleurs, et notamment dans les territoires qui ont bénéficié des réformes de la décentralisation à partir de 1982 : l’entrée dans le « droit commun » de la ville nouvelle a clairement placé les élus et les responsables locaux en capacité d’arbitrage sur le projet de territoire comme l’ont été bien avant eux leurs homologues suite aux lois de décentralisation.

Autrement dit, nous n’avons ici qu’un « temps de retard » au regard des autres collectivités locales qui ont acquis à partir de 1982 une certaine autonomie d’action en matière de planification territoriale et de définition de l’action publique urbaine. Comme le SDAU de la ville nouvelle, les premiers SDAU réalisés en France étaient des SDAU « d’Etat » ; et comme tout autre projet de territoire ou d’agglomération, le projet de territoire Nord-Isère est clairement revendiqué comme une démarche de projet consacrant la (re-)prise en main par les acteurs locaux (publics et sociaux) de compétences en matière de conception et de définition de politiques publiques.

D’aucuns pourront par ailleurs objecter que l’existence spécifique d’un établissement public d’aménagement au sein du système local de l’aménagement contribue à pérenniser les formes de définition et de conduite de l’action urbaine. Certes, mais dans le contexte du projet de territoire Nord-Isère, il assure une mission de « stratège urbain » non plus au nom de l’Etat mais au nom des collectivités locales regroupées en syndicat d’études. Force est de constater que ce rôle d’expert dans la conception et le pilotage du projet de territoire est très souvent endossé en d’autres lieux par des structures type agences d’urbanisme.

Au final, la variable de situation n’explique pas fondamentalement les ruptures et les continuités entre le SDAU et le projet de territoire : elle tend simplement à les exacerber dans la mesure où elle donne à voir le passage d’un modèle de planification idéal-type piloté par l’Etat et ordonnant dans le même temps la règle et l’action, à un modèle de planification par projet, piloté par les collectivités locales et tendant à réintroduire une certaine linéarité dans les processus de conception et de mise en œuvre de l’action publique urbaine.

Il faut en revanche signaler que le recours à la variable de situation peut nous être utile pour expliquer la permanence du design institutionnel. Les règles d’exception liées au statut juridique spécifique de la ville nouvelle ont pu en effet contribuer plus qu’ailleurs à stabiliser à la fois l’organisation des structures institutionnelles ou administratives, les configurations d’acteurs et les processus d’interactions fondés sur des valeurs collectives profondément ancrées dans chaque milieu. Cette variable joue un rôle qui est pour nous déterminant, car elle crée des dépendances, et donc une certaine inertie organisationnelle qui a tendance à fixer (et à figer) les systèmes d’action ; d’où les difficultés pour l’ensemble des acteurs impliqués dans le projet ville nouvelle de sortir du dispositif d’exception d’OIN tant il a généré une forte proximité institutionnelle entre ces derniers et produit des externalités d’appartenance 781 .

Notes
781.

Voir à cet égard, RABILLOUD S., « L’Isle d’Abeau ou le blocage de la construction politique de l’agglomération », in VADELORGE L., Gouverner les villes nouvelles. Le rôle de l’Etat et des collectivités locales (1960-2005), Paris, éd. Manuscrit Université, 2005, pp. 339-358 ; et RABILLOUD S., SCHERRER F., « L’Isle d’Abeau : la difficile naissance politique de l’agglomération », Pouvoirs Locaux, 2004, n°60, Vol. 1,
pp. 52-58.