1. Les symptômes de la permanence du référentiel entre le SDAU et le projet de territoire, et de la contradiction des échelles dans les récits et les images : le résultat d’une logique de substitution

Si les démarches du SDAU et du projet de territoire divergent sur un point essentiel, celui du résultat, dans la mesure où le schéma définissait avant tout un programme d’investissement à long terme et le projet de territoire l’organisation et la gestion des offres de services, force est de constater qu’ils se rapprochent sur trois autres points : la volonté de maîtriser le futur par la rationalité prévisionnelle ; la volonté de réduire l’incertitude ; et la volonté d’identifier les besoins. Ces intentions de principe acquièrent d’ailleurs pour chacun de ces plans d’action une véritable dimension symbolique.

Les représentations territoriales qui en découlent et qui sont à l’œuvre dans le SDAU et le projet de territoire sont en toute logique pratiquement identiques, alors que les phases de développement de la ville nouvelle et du territoire Nord-Isère sont bien différentes. Les figures et les représentations mises en scène s’appuient notamment sur un certain nombre d’idées, de concepts fondamentaux récurrents au premier rang desquels nous pouvons citer la nécessité d’une maîtrise de la croissance urbaine et celle du renouvellement urbain en présentant l’étalement comme figure repoussoir. Les concepts de « ville-nature », de « ville-verte » et d’« équilibre » sont également repris, de même que ceux de la « cohérence », de l’« équité » et de la « solidarité ».

Il faut signaler ici que ces représentations territoriales à l’œuvre dans le projet de territoire traduisent et expriment encore des choix collectifs qui sont avant tout spatiaux et territoriaux. A contrario, les principes même d’une démarche de projet voudraient que soit privilégiée l’élaboration de programmes sectoriels, multiples et variés, même s’il faut reconnaître qu’ils vont bien souvent de pair avec des considérations spatiales de par leurs conséquences territoriales.

La permanence de ce référentiel d’action entre le SDAU et le projet de territoire est en réalité le résultat d’une logique de substitution : leurs objectifs proviennent dans les deux cas d’orientations qui ont été définies dans des procédures planificatrices qui se situent en amont, et par ailleurs à l’échelle de la métropole lyonnaise : le SDAM a en effet été une ressource pour la ville nouvelle de L’Isle d’Abeau, tout comme l’a été la DTA pour le Nord-Isère ; sans compter qu’il existe aussi de nombreux principes d’action similaires entre ces deux dispositifs de planification qui ont été élaborés par l’Etat, ce qui renforce à l’évidence la continuité des approches.

Cette logique de substitution finit par placer les élus locaux devant un projet conçu selon des principes quasiment indiscutables puisqu’ils correspondent aux orientations fondamentales de l’Etat. Dans les deux cas, il est le producteur des récits sur les priorités sectorielles de l’action publique. Autrement dit, l’Etat ne quitte pas la scène : il structure toujours les énoncés stratégiques et invite ainsi à la convergence les acteurs locaux autour de ses initiatives. Les dispositifs contractuels – et au premier chef le Contrat de plan Etat-Région et le Contrat d’agglomération – sont ensuite instrumentalisés à cet effet. Finalement, par la logique de substitution, les cadres généraux constitutifs des systèmes d’action sont maintenus.

Par ailleurs, si le rapport SDAM - Ville Nouvelle est certes plus puissant que le rapport DTA - territoire Nord-Isère dans la mesure où ce dernier s’est davantage effectué sur un mode à double-sens et non uniquement en partant « d’en haut », il n’empêche que l’articulation des échelles entre ces espaces de régulation différents n’a été traitée ni dans la phase de conception du SDAU ni dans celle du projet de territoire.

Autrement dit, on trouve ici toutes les contradictions d’une situation insoluble : définir un projet de ville nouvelle ou d’agglomération Nord-Isère dont le contenu doit répondre à des besoins endogènes, mais dont la seule légitimation dépend des dimensions et de la complexité d’un programme d’action exogène qui s’applique avant tout à l’aménagement et au développement de la métropole lyonnaise. A l’évidence, la carence de l’articulation entre des échelles différenciées d’espaces de régulation dans la conception du SDAU et du projet de territoire ne peut que poser des problèmes de mise en œuvre, et notamment au niveau de la coordination des systèmes d’acteurs.

  • Premier élément de continuité majeur : la prééminence de l’approche top-down sur l’approche bottom-up

Les deux symptômes que nous venons de révéler démontrent que le projet de territoire n’a pas encore résolu la difficile équation de la combinaison des approches top-down (i.e. dirigée par le centre) et bottom-up (i.e. en provenance du bas, du local). Tout comme le SDAU, il n’est pas déterminé par une demande « avale », ni élaboré par le local. A partir de là, il ne peut pas être véritablement incarné. Le projet de territoire n’est d’ailleurs pas considéré par les acteurs locaux comme un véritable instrument de construction de projets territoriaux. Il demeure un exercice purement formel, de nature essentiellement juridique et technique.

De surcroît, privés de toutes ressources et donc de tout pouvoir d’orienter le projet, les acteurs locaux ont été conduits à faire du projet de territoire une démarche plus précautionneuse que volontariste, ayant peu de prises sur les communes et visant essentiellement à organiser des stratégies communales défensives. Sur ce point, nous avons vu que, contrairement à la théorie qui en fait un outil de négociation, le projet de territoire n’a pas réussi à établir un agenda ni une scène de négociation à l’échelle de l’intercommunalité. Les échanges se sont surtout joués entre communes et ont été davantage des conflits ou des consensus que des coopérations.