1. L’action

‘« La discussion contemporaine en théorie de l’action aborde quelques-unes des questions les plus centrales des sciences humaines, qu’il s’agisse du statut des réalités décrites par le langage de l’action – attitudes psychologiques, intention, etc. - , de la façon dont un jugement, c’est-à-dire quelque chose qui est du domaine de la raison, peut ou non déclencher une action, c’est-à-dire quelque chose qui est aussi du domaine de la physique, ou encore de la possibilité pour une action d’incorporer certains états cognitifs en l’absence desquels il serait impossible d’imputer l’action à un agent et, par conséquent, de poser le problème de la responsabilité » 29 .’

Louis Quéré, auteur de ces lignes, nous rappelle, depuis la perspective du sociologue, que les recherches en sciences humaines ne peuvent pas faire l’économie des théories de l’action sous peine d’enlever au sujet toute responsabilité dans sa conduite sociale 30 . Ce rappel est particulièrement important dans le domaine de l’analyse du discours lorsque nous situons notre objet d’étude, nous le soulignions dans l’introduction, dans le lieu de médiation entre l’action et la communication. Il est ainsi nécessaire de se demander, dans une recherche sur la communication politique, de quelle manière et par quels moyens, le monde de la polis, de l’homo faber, pour reprendre la distinction d’Hannah Arendt, et le monde des besoins propre à l’animal laborans, se rejoignent dans un espace public démocratique 31 . La tradition ouverte par Arendt dans son essai sur la condition humaine et que Habermas formalisa dans sa thèse sur l’Espace public, permet en effet de replacer la relation entre le discours et l’action au centre de la philosophie politique. C’est donc à la suite de cette réflexion que nous nous insérons dans ce travail.

La formalisation de la notion d’Espace Public que Habermas met en œuvre dans sa thèse est cependant discutable, souligne Louis Quéré, dès lors qu’on examine un certain nombre des résultats qu’il propose 32 . Ainsi, aux normes d’action déterminées et aux affirmations validées qui composent le tiers symbolisant constitutif de la publicité dans la théorie du philosophe allemand, il faudrait ajouter les différents repères qui garantissent le caractère herméneutique de la communication ; ce qui oblige ensuite à rendre compte des différents types d’objectivité recouvrant les normes et les repères. La détermination des normes d’action, souligne encore Louis Quéré, est toujours locale en démocratie et le processus d’objectivation du tiers symbolisant n’est discursif qu’en partie, l’explicitation rationnelle des intérêts universalisables réprimés n’expliquant pas cette objectivation. Nous reprenons cet ensemble de critiques faites au modèle classique de l’Espace Public à notre compte pour examiner la manière dont, nous semble-t-il, Jürgen Habermas les intègre dans sa philosophie politique à partir de sa théorie de l’action rationnelle.

Enfin, Louis Quéré signale également l’importance de la philosophie analytique dans le renouveau des problématiques liées à la théorie de l’action et le rôle des recherches pragmatiques à cet effet. Mais il signale aussi l’articulation nécessaire entre ces deux perspectives ‘ « pour lier l’intentionnalité et la réflexivité de l’action à l’action elle-même, plutôt qu’au sujet pratique, permettant d’avancer dans l’élucidation d’un certain nombre de ces problèmes » 33 . ’ Dès lors, notre approche discursive nous permettra d’aborder la question de l’action, ce que nous ferons à partir de la théorie de Habermas, mais également la question du sujet, que nous insérons dans le monde social à partir des travaux de John R. Searle et que nous retrouverons dans le discours à partir de la notion de responsabilité 34 . Une remarque portée par Habermas lui-même doit être toutefois présente tout au long de cette thèse : ‘ « je tiens à répéter, afin de prévenir les malentendus, que le modèle communicationnel d’action n’assimile pas action et communication » 35 . ’ ‘

Notes
29.

QUÉRÉ, L (dir) : La théorie de l’ac tion. Le sujet pratique en débat, CNRS, Paris 1993. (p.10)

30.

La responsabilité ne renvoie pas ici au domaine moral. Elle désigne la possibilité de considérer un individu comme étant l’auteur du choix qui se trouve à l’origine d’une action.

31.

ARENDT, H : La condición humana, Paidós, Barcelona 1998. 366 P.

32.

QUÉRÉ, L: Des miroirs équivoques: aux origines de la communication moderne, Aubier Montaigne, Paris 1982. 214 P.

33.

QUÉRÉ, L: 1993 (p.19)

34.

Un numéro de la revue Semen (Énonciation et responsabilité dans les médias, Semen nº22, novembre 2006) nous permettra de mieux aborder une notion qui est encore très peu développée dans l’analyse de discours. Certainement parce que comme le soulignent les deux coordinateurs de ce numéro : « Cette notion philosophique liée à la morale (éthique de responsabilité) émerge de la notion juridique (responsabilité pénale puis civile), et il est dangereux d’importer sans précautions des notions qui font sens dans d’autres champs théoriques que celui de la langue et du discours » (RABATEL, A et CHAUVIN-VILENO, A : La question de la responsabilité dans l’écriture de presse in Semen nº22, novembre 2006, p.8).

35.

HABERMAS, J : 1987 vol.1 (p.117).