1.3. Le discours comme manière d’appréhender le langage

Ce détour par l’analyse du discours politique nous a permis de revenir aux sources de la notion de discours tel qu’elle fut mise en circulation par Louis Althusser et Michel Foucault. On peu dire, de manière schématique, que ces deux auteurs nous offrent, en effet, deux manières différentes d’appréhender le langage. D’une part, à la suite de la science de l’idéologie mise en place par Althusser avec sa volonté de démythification de la société nous aurions une approche analytique. D’autre part, dans la lignée de L’Archéologie du Savoir de Foucault se dessinerait une approche intégrative de l’analyse du discours 78 .

La première approche serait à son tour divisée en une version faible et une version forte : la version faible situerait les enjeux de l’analyse du discours dans les indices, appelés symptômes, auxquels est attaché tout discours. La version forte postule, en revanche, que ce que dit le discours est très différent de ce qu’il semble dire.

La seconde approche, celle de Foucault, serait caractérisée par la défense d’une analyse discursive qui tient compte des différents paramètres producteurs de sens. Elle serait ainsi redevable de la définition de l’énoncé par Bakhtine selon laquelle celui-ci est ‘ « un enthymème qui, pour être dûment interprété, exige de l’analyste qu’il connaisse la situation de discours » 79 .

Ces deux approches, ou traditions, fondatrices de l’analyse de discours, ont la particularité, essentielle nous semble-t-il, de voir dans l’analyse du discours un outil, archéologique ou critique, mais au bout du compte un outil, permettant de mieux appréhender les langages sociaux. Or, ces langages sociaux ne pouvant pas se restreindre au texte, l’analyse de discours ne peut pas faire l’économie des différents langages employés par les sujets. Autrement dit, si l’on espère atteindre le sujet du langage dans l’analyse il faut être capable d’intégrer dans la notion de discours l’ensemble de réalités qui constituent le langage et ces réalités peuvent être d’ordre sociologique, psychologique, anthropologique, physiologique...

Lorsque nous pensons l’analyse de discours comme une méthode adéquate à notre problématique nous faisons appel à une interdiscipline qui se propose un objectif précis défini par Patrick Charaudeau de la manière suivante :

‘« Voir comment se structurent les échanges sociaux à travers le langage, et, ce faisant, comment s’organisent les relations sociales et s’instaure du lien social. C’est dans la mesure où cela se fait par et à travers le langage comme centre géométrique de l’organisation sociale que l’analyse de discours s’institue en discipline différente d’autres disciplines (sociologie, psychologie sociale, anthropologie, etc.) tout en s’articulant sur celles-ci » 80

Le lien social qui s’instaure au moyen du discours est ce que Ève Seguin appelle créer le monde 81 . Cette conception de l’analyse du discours dans laquelle nous nous plaçons comporte enfin deux conséquences méthodologiques qu’il faut préciser : une approche interdisciplinaire du discours et la mise en cause de « l’objet-discours » 82 .

Notes
78.

Proposition de typologie faite par Dominique Maingueneau (MAINGUENEAU ; D : L’analyse du discours. Introduction aux lectures de l’archive, Hachette, Paris 1994, 268 P.) cité in SARFATI, G-E : Éléments d’analyse du discours, Nathan, Paris 1997, 128 P.

79.

SARFATI, G-E : 1997 op.cit (p.103) Selon le Petit Robert « L’Enthymème est une forme abrégée du syllogisme dans laquelle on sous-entend l’une des deux prémisses ou la conclusion ». Dans le dictionnaire d’analyse du discours dirigé par Dominique Maingueneau et Patrick Charaudeau, Christian Plantin précise, dans l’article Enthymème, qu’on peut le définir comme « un syllogisme fondé sur des prémisses non pas certaines mais seulement probables » ainsi que, dans un sens « qui n’est pas aristotélicien (...) comme un syllogisme où est omise une prémisse ». (CHARAUDEAU, P et MAINGUENEAU, D : 2002, op.cit).

80.

CHARAUDEAU, P : « Un modèle socio-communicationnel du discours (entre situation de communication et stratégies d’individuation) » in Médias et culture (janvier 2006)Discours, outils de communication, pratiques : quelle(s) pragmatique(s) ? (p.20).

81.

Soulignons ici que « dire » désigne un fait social en ce qu’il suppose un certain nombre de normes acquises. En revanche, « avoir l’intention de dire » désigne un fait brut, comme le souligne Searle et enfin, le « dire qui crée le monde », c’est-à-dire qui produit du lien socialest un fait institutionnel. Ainsi, ce qui distingue le langage humain des langages animaux c’est cette possibilité de créer du lien social.

82.

Terme utilisé par Sarfati in SARFATI, G-E : 1997, op.cit (p.96).