1.4.1 Un corpus et des idiomes

Deux idiomes sont présents dans le corpus : le français et l’espagnol. Ces idiomes sont, dans la terminologie de Saussure, des langues, c’est-à-dire, des systèmes virtuels de signes par opposition à la parole qui en est son actualisation dans le discours. L’existence d’un discours européen ne peut donc pas avoir lieu sans la possibilité d’une parole européenne ce qui, dans le programme saussurien, demanderait l’existence d’une langue européenne. Mais, comme nous venons de l’indiquer, nous essayons, dans notre conception du discours, de dépasser l’idée d’un objet-discours.

Nous serons confronté, au cours de l’analyse du corpus, à un ensemble de textes qui comportent les traces culturelles propres à chacune des langues dans lesquelles ils ont été écrits. Cela ne saurait évidemment pas suffire à rendre compte de la richesse culturelle de l’Europe, mais cela devrait, au moins, constituer une proposition de méthode en accord avec une réalité socio- politique (l’Europe) dont l’étude ne peut ignorer les particularités culturelles qui la composent. Ces particularités,qui résident dans la diversité de langues présentes en Europe dans son sens le plus large (la langue comme système propre à une culture et différent des autres), comportent toutefois le risque d’un relativisme méthodologique qu’il nous semble également important d’éviter si une idée quelconque d’entité politique supra-nationale devait être considérée comme une possibilité européenne. Il s’agit d’être capable de manier les deux langues du corpus, c’est-à-dire de traduire de l’une à l’autre des notions, des idées, des concepts, des discours, qui demandent des compétences culturelles particulières, tout en essayant de distinguer cette démarche de traduction de la démarche d’analyse de discours.

Nous revendiquons avec cela une posture d’analyse selon laquelle la maîtrise d’une langue, sans laquelle l’analyse d’un discours n’est pas possible, ne doit pas se substituer à, voir devenir elle-même, une méthode d’analyse. Nous éviterons donc dans ce travail de donner des interprétations issues d’une lecture contextualisée du corpus. Les connotations liées à la notion de retour qui, dans le contexte espagnol regroupe aussi bien le retour des troupes de l’Irak, que celui des socialistes au pouvoir, ou encore de ceux qui en avait été expulsés pour cause de corruption, sont consubstantielles à la maîtrise en contexte de la langue espagnole et relèvent en même temps de la connaissance d’un certain nombre de discours en circulation en Espagne.

Cette ambiguïté, contenue en germe dans la définition classique de Saussure de la sémiologie (‘ « on peut concevoir une science qui étudie la vie des signes au sein de la vie sociale ; elle formerait une partie de la psychologie sociale, et par conséquent de la psychologie général ; nous la nommerons sémiologie.  ’») 84 pourrait nous conduire à une démarche faussement herméneutique. Les connotations liées à la maîtrise en contexte d’une langue sont nécessaires pour comprendre le corpus sur lequel est menée l’analyse, mais elles ne doivent pas en être des interprétations discursives aux risques de confondre l’analyse de discours avec le commentaire éclairé. L’hypothèse d’un discours européen est donc fondée non sur un socle culturel commun que l’on pourrait rapprocher de la notion de langue, mais sur l’existence (qu’il s’agira de vérifier) de référents communs sur lesquels porteraient les différentes langues du corpus.

Notes
84.

SAUSSURE, F : Cours de Linguistique Générale, Payot, Paris 1995. 520 P.