1.4.3 Un objet analysé

L’analyse de l’Espace Public européen a été donc problématisée à l’aide d’un objet que nous avons appelé « les discours européens ». Nous avons défini ces discours comme étant composés d’éléments signifiants renvoyant directement à l’institution européenne, par opposition à un discours sur l’Europe qui serait constitué d’éléments signifiants renvoyant indirectement à l’institution politique Union Européenne. Nous nous bornons pour le moment à désigner, par le terme « institution », l’ensemble d’actions légitimes, de procédures et d’espaces de pouvoir, de prises de décisions, de délibération et de représentation constitutif de l’UE. « Institution » sera repris plus tard, dans son acception discursive à partir de la théorie des faits institutionnels de John R. Searle. La formule « éléments signifiants » et les notions de rapport direct et indirect doivent être comprises comme suit :

Les éléments signifiants concernent l’ensemble des signifiants linguistiques, plastiques ou iconiques 87 présents dans le corpus. Importants pour le travail de repérage du corpus, ces signifiants ont été délimités de manière précise :

- Des unités lexicales pour les signifiants linguistiques présents dans les titres des journaux, une recherche dans l’ensemble de numéros ayant été hors de portée de nos moyens. Le choix des articles du corpus s’est fait après la définition d’un certain nombre de mots clés (Europe, Union Européenne, élections européennes, Bruxelles, les Quinze, les vingt Cinq, les pays membres, européens, le continent) 88 .

- Les signifiants plastiques concernent moins le travail de repérage et de construction du corpus que son analyse. Nous y trouvons les angles de prise de vue, les cadrages, les couleurs, les lignes… (pour les affiches électorales). Mais il s’agit aussi de la succession temporelle des titres et des rubriques dans les journaux. On considère en effet que la succession d’une rubrique dans le temps ou la densité de titres renvoyant à un même événement pendant une période donnée comporte une forme de signification semblable à celle des signifiants plastiques définis par Martine Joly. La succession temporelle de rubriques est un élément signifiant si l’on fait l’hypothèse d’une accumulation d’expériences perceptives de la part du lecteur 89 . C’est sur cette hypothèse, qui fait par ailleurs appel à la construction plus au moins consciente d’idéologies à partir des informations 90 , que la succession d’événements médiatiques a un sens. Ce rapport au sens est, nous semble-t-il, du même ordre que celui qui s’opère entre les signifiants plastiques d’une image et le message global qui en ressort avec l’articulation des signifiants iconiques et linguistiques.

- Les signifiants iconiques font référence aux images reconnaissables au sein d’un univers socioculturel. Dons notre corpus ils sont incarnés dans les photos de presse, dans les portraits des candidats, les symboles des partis ou les images utilisées dans les affiches électorales.

Nous avons donc constitué un corpus formé de 859 articles d’information (117 ABC, 156 El Mundo, 232 El PAIS, 141 Le Figaro, 87 Le Monde et 121 Libération) téléchargés en ligne entre le 9 mai et le 14 juin 2004 91 . Nous avons également obtenu les images d’une affiche électorale pour chacun des partis retenus.

Il reste la question du rapport direct ou indirect. Ce travail portant sur l’espace public européen, il était nécessaire de constituer un corpus qui pourrait inclure des éventuelles références à l’Union Européenne en dehors du contexte électoral. Nous avons toutefois pris la décision d’exclure, afin de rester dans un cadre discursif politique, les rubriques consacrées à l’économie et au sport. Cette précision s’avère importante en ce qu’il s’agit des deux domaines où l’Europe est le plus visible. Il s’agit toutefois de deux domainesdont les jeux de langagesont très spécifiques 92  : leur inclusion aurait pu « contaminer » l’ensemble du corpus. Nous regrettons quand même ne pas avoir eu ni le temps ni les moyens de mener une analyse parallèle de ces deux domaines que l’on aurait pu mettre en rapport avec le travail mené.

Le moyen choisi alors pour maintenir le corpus ouvert a été de ne pas mettre en place une liste fermée de mots et d’images clés, mais de considérer au contraire comme pertinent tout signifiant pouvant être rattaché à l’Union Européenne. D’où est apparue la notion quelque peu ambiguë de rapport direct et rapport indirect.

On qualifiera de direct le rapport qui s’établit lorsqu’un titre, ou une image, se réfèrent de manière explicite (par l’expression d’une fonction politique, l’image d’un drapeau ou d’un bâtiment officiel…) à l’institution européenne. On qualifiera en revanche d’indirect le rapport qui s’établit lorsqu’un titre, ou une image, font référence à un personnage politique, à un événement, à une déclaration… qui se réfère à un personnage européen, qui se produit dans un des pays de l’Union Européenne, qui concerne l’Union Européenne, mais pas de manière explicite, permettant ainsi que cela puisse être lu aussi bien comme le signe d’un discours politique européen que comme le signe d’un discours politique sur l’Europe ou en Europe.

Notes
87.

Pour cette distinction : JOLY, M: L’image et les signes, Nathan, Tours 1994, 191 P.

88.

Il faut ajouter à cette liste de mots clés, les références ponctuelles à des institutions européennes (comme la BCE) ainsi qu’à des hommes politiques. Les hommes politiques occupant une fonction au sein de l’UE (Romano Prodi en tant que président de la commission par exemple) ont été automatiquement considérés comme significatifs. Pour les leaders politiques européens (tous étant susceptibles de faire l’objet d’une information sur l’Europe), c’est le contexte de l’article qui nous a guidé dans la décision.

89.

Nous désignons avec « expériences perceptives » tout ce qui relève d’une relation de reconnaissance entre un objet (le journal) et un sujet (son lecteur). L’avantage de ce terme, qui s’insère dans la lignée des travaux de Searle, est de nous permettre de désigner les différents types de lecture possible d’un journal.

90.

VAN DIJK, T.A : La notícia como discurso. Comprensión, estructura y producción de la información, Paidós, Barcelona 1990 (VAN DIJK, T.A : News as Discourse, Hillsdale, NJ: Erlbaum, 1988) et VAN DIJK, T.A: Ideología y discurso, Ariel, Barcelona 2003 (VAN DIJK, T.A.: Ideology and discourse. A Multidisciplinary Introduction en ligne sur : www.discourses.org)..

91.

La version électronique des articles peut parfois changer par rapport à la version papier. Elle facilite en revanche le traitement quantitatif ultérieur. Les modifications qui pourraient être apportées à ces articles ne nous semblent pas être à même de modifier le discours du journal. Nous avons par ailleurs essayé de respecter un même horaire de repérage pendant la récolte du corpus afin de rester le plus près possible d’une même version. Précisons toutefois que l’identification entre le contenu en ligne d’un journal et son contenu papier est de moins en moins évidente, tant les quotidiens tendent à rendre indépendantes leurs rédactions papier et électronique. Notre travail ne portant pas sur le discours global des journaux, cela ne nous semble pas poser un problème méthodologique majeur pour notre recherche.

92.

Pour une application de la notion de cadre à l’analyse des médias d’information et, plus particulièrement de la presse écrite, voir : ESQUENAZI, J-P: L’écriture de l’actualité. Pour une sociologie du discours médiatique, PUG, Grenoble 2002, 183 P.