1.4.4 Un corpus et des langages

Notre corpus d’analyse comporte trois types de langage : celui de la presse écrite espagnole et française, celui des affiches électorales et celui du champ politique. Ce dernier type de langage renvoie aux territoires du politique, c’est-à-dire à l’ensemble des règles, normes et repères linguistiques qui guident l’action langagière des personnes s’exprimant publiquement sur des sujets politiques. La nature du corpus (formé par des discours qui se trouvent dans les arènes du politique) ne nous permet pas de produire une analyse discursive de ces territoires. Il s’agit cependant d’un choix méthodologique : notre démarche dans cette thèse possède un caractère normatif qui concerne précisément ce que l’on appellera le « langage politique européen ». Nous avons décidé, de ce fait, de confronter notre analyse des arènes du politique à un type idéal de territoire politique qui s’accorderait avec la théorie républicaine développée par Philip Pettit 93 . Cette démarche visant, en dernière instance, la formulation d’une conclusion évaluative autour du caractère républicain de la réalité institutionnelle représentée dans le corpus d’analyse.

Afin que le corpus soit traité de manière équilibrée il est nécessaire que la méthode utilisée puisse aborder ces trois types de langage sans que l’un d’eux ne « colonise »les autres. Nous espérons éviter ainsi l’un des pièges les plus courants en analyse de discours, piège qui consiste à considérer qu’un langage (le format publicitaire par exemple) se substitue à un autre (le langage politique) confondant ainsi la forme du premier avec le fond du deuxième; cela pourrait être une hypothèse de travail, mais aucunement un postulat de départ. Lorsque l’on parle de langage politique, publicitaire ou journalistique, nous désignons, en effet, comme nous le signalions un peu plus haut, une notion proche du concept saussurien de langue.

Ce système sémiotique est cependant sociologiquement plus complexe que la « langue » à laquelle s’intéressait Saussure, de telle sorte que l’analyse des actes de parole s’y produisant devra être à même de s’y adapter 94 . Patrick Charaudeau propose trois lieux de pertinence pour l’étude d’un acte de parole : le lieu de la production, le lieu de construction du texte et le lieu de la réception 95 . Les trois types de langage que nous avons dans le corpus se distinguent entre eux en ce qu’ils constituent un système sémiotique spécifique, notre objet d’analyse, par l’articulation de ces trois lieux de pertinence.

Ces trois lieux de pertinence définissent également l’interdisciplinarité dans laquelle s’insère l’étude des discours, ils doivent donc être articulés autour d’un « centre géométrique », si on suit Patrick Charaudeau (cf.I.1.3.1), afin que cette interdiscipline ne soit pas simplement un moyen de s’éloigner subjectivement de l’objet d’étude. C’est autour de la distinction primaire entre langue et parole que s’articule ce centre géométrique qu’est l’analyse du discours. Lorsque nous définissons les langages de notre corpus nous décrivons les situations de communication qui s’y déploient. Lorsque nous voudrons voir les prises de parole qui s’y déroulent, nous toucherons aux situations d’énonciation. Les premières se divisent en trois lieux : le lieu de la production, le lieu de la construction du texte et le lieu de la réception. Ces trois lieux désignent ainsi les trois situations de communication auxquelles sont rattachées les différentes situations d’énonciation. Dans la démarche d’analyse sémiodiscursive, le repérage des positions énonciatives permet de rendre compte de ces lieux de la communication.

Notes
93.

PETTIT, PH : Républicanisme. Une théorie de la liberté et du gouvernement, Gallimard, Paris 2004, 444 P.

94.

Dans notre approche sémiodiscursive, l’usage de «  langage » nous semble mieux adapté que celui, qui pourrait recouper une problématique semblable, de « cadre » ou de « jeu de langage ». Il nous semble que notre choix nous permet d’insister sur la distinction entre les enjeux communicationnels et les enjeux sociologiques d’une même problématique. Cela, nous tenons à le répéter, ne suppose en aucun cas un désintérêt pour les enjeux sociologiques de la communication, il s’agit simplement de bien cerner l’objet d’étude de la thèse afin de pouvoir y répondre de la manière la plus précise possible.

95.

Nous considérons ces lieux comme étant les composantes du système sémiotique auquel on faisait référence en parlant de langue. Ainsi, c’est par l’articulation de ces trois lieux que l’exercice de la parole est possible. Un acte de parole n’est donc pas encore un acte de langage, il le devient lorsqu’il est effectivement intégré dans un échange communicationnel.