Après avoir évoqué ces trois lieux de la communication, nous sommes en mesure de proposer une première approche des processus communicationnels dans lesquels s’insèrent les journaux d’information quotidienne. Cela nous permettra, dans le deuxième chapitre, d’étendre cette forme de médiation à l’ensemble des pratiques communicationnelles médiatées à partir de la description des processus de communication proposée par Patrick Charaudeau. Les journaux d’information font donc partie d’un processus de médiation entre le monde (réel) et le lecteur du journal (réel aussi) qui se produit en deux temps à partir des trois lieux de la communication que nous venons d’examiner. Nous présentons ce processus dans la figure suivante :
Nous avons appelé « occasion de communiquer » tout fait réel susceptible d’être transformé en information : lorsque cette « occasion de communiquer » devient une information nous l’appelons événement. Nous assistons entre l’un et l’autre à une première médiation. D’un point de vue sociologique, cette médiation correspond au stade de la production : les contraintes, relations de pouvoir et rapports institutionnels qui définissent les critères selon lesquels les médias choisissent, au moment de produire une information, entre plusieurs « occasions de communiquer ». En sociologie des médias, on parle, on l’a vu tout à l’heure, des contraintes de production, tandis que dans le domaine des SIC nous pouvons l’aborder sous l’angle de la pertinence. Dès lors, nous insérons avec cela l’institution journalistique dans la réalité par une relation pragmatique, telle que Sperber et Wilson l’évoquent, relation selon laquelle il n’y a de la communication que lorsque ce que je vais dire peut faire changer la situation cognitive qui était au départ celle de mon interlocuteur.
Cette relation pragmatique a un sens lorsqu’elle est appliquée à la communication médiatée du fait que l’objet médiatique est en effet un matériau dont la forme est modifiée par l’information qu’il contient (dans certains cas, comme pour les attentats du 11 septembre 2001, un journal peut aller jusqu'à changer la distribution de sa maquette). Elle ne peut en revanche désigner le processus de communication dans son ensemble si celui-ci doit être envisagé autrement que comme un simple transfert de donnés.
En rester au domaine pragmatique serait donc oublier le sens de l’information. Ce n’est qu’au moment où on lui donne un sens que l’événement devient un objet symbolique. Nous abordons alors la médiation entre l’événement et le lecteur : le moment sémiotique. Cela nous oblige à opérer un premier choix méthodologique : considérer cet objet symbolique comme l’interprétation de l’occasion de communiquer ou bien comme la représentation de celle-ci. La perspective théorique de cette thèse, dans laquelle nous adoptons une conception réaliste du langage nous emmène à choisir la deuxième option. L’objet symbolique est une représentation, et ce, aussi bien des résultats de la première médiation que de toutes les médiations précédentes, (toutes les fois que la même « occasion de communiquer » a été saisie par le journal, toutes les fois qu’une « occasion de communiquer » semblable a été mise en forme par le journal, toutes les fois que cette « occasion de communiquer » a été abordée par d’autres médias, par des individus ayant un rapport direct avec le média, ou bien par le journaliste qui va lui donner une forme...).
Nous en arrivons enfin à la réception, qui correspond à nouveau à un moment sociologique où l’on peut analyser les différentes façons d’écouter une radio, de voir une émission de télévision, de lire un journal, où l’on peut établir des catégories, définir des publics... La perspective communicationnelle se heurte en revanche aux caractéristiques de ce que l’on a appelé une « réalité 2 ». Le récepteur, en tant qu’acteur réel, implique l’existence d’autant d’interprétations que d’individus, même si le caractère social de tout « récepteur » le pousse à produire des interprétations en relation avec son entourage social. Afin d’atteindre l’élément communicationnel de la réception, il faut donc pouvoir faire attention aux formes que ces interprétations vont prendre, ce qui revient à considérer le sujet de la réception comme un sujet signifiant dont les interprétations, aussi différentes soient-elles, deviennent de nouvelles occasions de communiquer. Du point de vue méthodologique nous avons alors le choix entre deux options : a) l’option phénoménologique, consistant à imaginer quelles peuvent être ces nouvelles occasionset b) l’option sociologique qui consiste à attendre qu’elles aient lieu pour en comprendre les caractéristiques. Nous n’allons nous servir ni de l’une ni de l’autre.Nous défendons précisément la pertinence de l’évacuation, dans une recherche sémio discursive des formes de communication, de la question de la réception.
Cette justification tient à l’existence de la ligne de médiation qui aurait lieu entre la « réalité1 » et la « réalité 2 » : il s’agit de ce que Bernard Lamizet appelle la ligne du manque 113 et qui désigne cette réalité dont le partage ne peut se faire que par la médiation symbolique. La réalité est à la fois le désir du partage et l’impossibilité de celui-ci. Cet impossible partage désigné par la ligne du manque implique l’existence des institutions médiatrices,justifiant de ce fait l’existence et même le rôle prépondérant des médias d’information dans un contexte social. Autrement dit, elle justifie le principe sémiotique selon lequel tout processus d’énonciation, mettant en relation la langue, la parole et le discours, attribue aux énoncés qui le composent une valeur de reconnaissance. Ils deviennent un objet dans lequel peuvent se reconnaître les instances de la communication dans leur désir. Cet objet, objet de la communication, peut dès lors être considéré comme un objet intentionnel porteur du sens de l’action rationnelle habermassienne.
La ligne du manque désigne, enfin, l’arrière-plan constitutif des conditions d’existence des institutions et elle nous indique que l’analyse des formes de médiation présentes dans des contextes sociaux nous permettra d’accéder aux rapports communicationnels qui ont lieu au sein des sociétés.
LAMIZET, B: 1992 (op.cit)