2. La communication

Nous avons introduit, avec le concept de médiation, l’élément théorique qui permet d’inscrire les discours dans des processus de communication. Nous devons maintenant élaborerune théorie de la communication qui puisse prendre en compte les pratiques discursives qui en découlent. La communication est ainsi abordée dans cette thèse, en suivant Patrick Charaudeau, comme un double processus de transformation et de transaction entre deux instances : une instance communicante et une instance interprétante. Le premier rapport est mis en oeuvre entre le réel et le monde symbolique, le deuxième inscrit les participants dans le processus par un contrat de communication. On peut représenter ce processus social par le schéma suivant 117  :

Patrick Charaudeau ajoute à ces deux processus un troisième processus : celui de l’interprétation. Il nous semble qu’il est du même ordre que le processus de transformation, en ce qu’il s’agit de produire un monde propre à partir d’un monde décrit, c’est pourquoi on n’en tiendra pas compte par la suite. Avant d’entrer dans le détail de ce processus de communication, il semble important de noter l’absence de linéarité qu’il désigne, ainsi que le dynamisme dont il fait preuve : d’une part, les deux instances de la communication se retrouvent autour d’un monde décrit, de telle sorte que celui-ci n’est plus concevable seulement comme un produit dirigé depuis un émetteur vers un récepteur. D’autre part la production d’un monde interprété peut donner lieu à une action quelconque qui devient à son tour un monde à commenter et ainsi de suite. Ce schéma remplit donc deux conditions qui semblent essentielles à toute approche de la communication : l’absence de fonctionnalité et l’impossibilité de distinguer une source première dans la production des messages. Avant de l’aborder plus en détail, nous voudrions revenir sur une discussion que nous avons introduite rapidementdans le chapitre précédent : le rapport au sens dans les processus de communication.

La communication est iciconsidérée comme un processus par lequel les discours produisent du sens. Dès lors, un discours ne peut pas avoir de sens tant qu’il n’est pas assumé par deux instances participant à un processus de communication. Cela place la problématique du sens, et donc de la communication, au centre des questions liées à l’énonciation, ce que Bernard Lamizet exprime de manière très claire :

‘« ... le problème majeur de la communication n’est sans doute pas celui du réel, mais plutôt celui de ses partenaires. En ce sens, l’essentiel y est plutôt de marquer ce que représentent, pour chacun d’eux, le champ du réel et celui du langage, et ce que représente, pour eux, la distinction entre ces deux champs » 118

Dans ce rapport entre discours et communication, il est question d’une distinction entre l’énonciateur et ce qui est énoncé, distinction du même ordre que celle qui se produit, dans la théorie de l’action développée ci-dessus à partir de Habermas, entre le sujet agissant et le monde sur lequel le sujet agit. Elle est du même ordre en ce qu’elle désigne la distance fondatrice de la communication qui s’instaure avec ce que Lacan appel le stade du miroir :

‘« Le stade du miroir a été établi par Lacan comme le moment fondateur de la dimension symbolique de la personnalité, car c’est par lui que la conscience de ma propre existence cesse d’être une affaire individuelle que j’éprouve dans mon expérience, pour passer par la médiation de ce que je sais de l’autre et de ce que je sais représenter pour lui » 119 .’

Cette médiation symbolique instaurée par la découverte de l’autre est le fondement de l’identité singulière (sans intersubjectivité, il n’y a pas de reconnaissance de soi) mais également du lien social (conséquence de la découverte de l’autre comme instance fondatrice de soi). C’est pourquoi l’approche communicationnelle des phénomènes sociaux ne part pas de l’analyse de ce qui est commun, mais au contraire, de ce qui instaure la distance entre les instances communicantes et c’est pourquoi, la théorie de la rationalité de Habermas fait appel à la notion de communication pour désigner ce processus par lequel un individu devient sujet de l’action au lieu d’être l’acteur d’une conduite.

Le concept qui permet de désigner, dans notre perspective d’analyse sémiodiscursive, cette distance fondatrice de l’identité (singulière et sociale) est celui d’intentionnalité. Nous en proposons, avant d’aborder cette notion de manière plus précise à partir du travail de John R. Searle, la définition suivante : l’intentionnalité désigne la distance, nécessaire à la mise en œuvre de tout processus de signification, entre un objet signifiant et un objet signifié. L’importance heuristique de ce concept réside dans le fait qu’il nous permet de rendre compte de la distinction entre le processus de signification (la relation entre deux objets) et le processus de communication (l’ancrage de cette relation intentionnelle dans l’intersubjectivité fondatrice de l’identité). C’est pourquoi nous développerons un travail d’analyse visant à rendre compte, à la suite de l’approche des processus de communication de Patrick Charaudeau, de la place des sujets dans le langage. Nous aurons ainsi établi les bases d’une approche discursive de l’espace public, ce qui nous permettra d’analyser ensuite le caractère institutionnel de la réalité sociale à la lumière de la théorie des faits institutionnels de Searle.

Notes
117.

CHARAUDEAU, P: Les médias et l’information. L’impossible transparence du discours, De Boeck, Bruxelles 2005 (p.31).

118.

LAMIZET, B: 1992, op.cit. (p. 22)

119.

LAMIZET, B: 1998, op.cit. (p.111)