Un rapport asymétrique entre causalité et intentionnalité

Ce processus de signification intentionnelle doit encore surmonter un deuxième problème : celui de la causalité. La causalité est la caractéristique du réel selon laquelle un fait en entraîne un autre. Dans le processus intentionnel de signification, il ne faut pas confondre la mise en place d’une relation permettant l’attribution de sens par des processus de communication avec un rapport de causalité entre cette relation instaurée et le sens produit. L’intentionnalité, en tant que distance permettant la signification, est de ce fait le mécanisme par lequel toute forme de signification s’insère dans la réalité au moyen de la causalité : qu’il s’agisse de la perception ou de l’action, il y a toujours, dans la signification, la mise en place d’un rapport de causalité du monde vers l’esprit (perception) ou bien de l’esprit vers le monde (action) :

‘« Dans les deux cas (l’action et la perception), il y a un état ou un événement Intentionnel sui-référentiel : la forme de la sui-référence est qu’il appartient au contenu de l’état ou de l’événement Intentionnel que - pour l’action - les conditions de satisfaction (au sens d’exigence) exigent qu’il cause l’ensemble de ses conditions de satisfaction (au sens de chose exigée), ou que - pour la perception - l’ensemble de ses conditions de satisfaction soit cause de l’état ou de l’événement même (...) La direction d’ajustement et la direction de causalité sont asymétriques. » 135  ’

Le sens produit par le processus de signification se trouve dans les « conditions de satisfaction » qui guident l’intentionnalité de l’action et de la perception. Aucun rapport de causalité nes’établit entre ces conditions de satisfaction et l’action ou la perception. En revanche, la possibilité d’évaluer tout rapport de causalité à la lumière de ces conditions de satisfaction est une caractéristique de la production de sens :

‘« Pour être compris et utilisé dans la perspective philosophique du XXème siècle, le concept d’intentionnalité doit d’abord se détacher des quatre causes aristotéliciennes. Bien que, tel que le reprend Brentano, le concept d’intentionnalité réfère au rapport entre l’esprit et le monde, cela n’implique aucune relation téléologique, il s’agit en revanche d’une forme de relation représentationnelle. C’est ainsi que nous devons l’inscrire dans une philosophie de l’esprit héritière de Descartes en ce que le philosophe de la raison a 1) énoncé les principes du mécanisme de toute explication scientifique du monde physique 2) donné lieu à la tradition épistémologique et 3) énoncé les principes du dualisme ontologique entre l’esprit et le corps » 136

Ainsi, lorsque nous parlons d’intentionnalité, nous semblons obligés de choisir entre la tradition rationaliste inaugurée par Descartes et formalisée par Kant et la tradition empiriste qui s’étend de Locke à Russell. Nous sommes tenus d’assumer comme filiation philosophique une sorte d’empirisme classique mais nous devons aussi rappeler qu’il ne s’agit pas ici de développer un travail philosophique et que le choix du concept d’intentionnalité ne répond pas à une volonté d’éclaircissement de celui-ci mais à une volonté d’opérationnalisation du concept de « monde » utilisé dans cette thèse. C’est ainsi que nous suivons les pas de Searle lorsqu’il contourne la question épistémologique par un développement de son objet d’étude à partir de la prémisse réaliste qui soutient sa pensée : l’intentionnalité existe ; la réalité aussi 137 . Tel est notre postulat de départ qui nous situe, si il faut choisir, du côté empiriste. Mais l’intentionnalité ne donne lieu à rien, elle n’a pas de sens en elle-même, de même que la réalité n’est guère intéressante si elle n’est pas médiatisée, c’est-à-dire représentée. C’est ce qui nous permet de voir dans la position de Searle une approche originelle des problématiques de la médiation. Cette approche tient au rapport d’interdépendance entre réalité et représentation désigné dans sa théorie et dont le sujet langagier en est le contenant.

Notes
135.

SEARLE, J.R : 1985 op.cit. (p.151).

136.

JACOB, P: L’intentionnalité. Problèmes de philosophie de l’esprit, Odile Jacob, Paris 2004 (p.28)

137.

Searle commence son ouvrage avec l’avertissement suivant : « Des mouvements philosophiques entiers se sont constitués autour de théories de l’Intentionnalité. Quel pari adopter en présence de tous ces précédents illustres ? J’ai choisi tout simplement de les passer sous silence, en partie par ignorance de la plupart des œuvres consacrées à l’Intentionnalité, en partie par conviction que le seul espoir de résoudre les difficultés génératrices de cette étude résidait au premier chef dans la poursuite indéclinable de mes propres recherches » (SEARLE, J.R : 1985 op.cit.(p.12)).