2.2.1. Le destinateur des journaux d’information

« ABC » est un nom constitué par trois lettres noires accompagnées de la mention « Fundado en 1903 por Don Torcuato Luca de Tena » . Ce nom est centré, situé en en tête de page et il est flanqué de deux colonnes d’une largeur supérieure à celle des colonnes de texte (une fois et demie environ). La colonne de gauche contient les repères spatio-temporels : date et lieu d’édition. La colonne de droite contient les repères bibliographiques : année et numéro de la publication, prix et caractéristiques particulières. Le sous-titre rejoint enfin ces deux colonnes insérant le titre dans ce que l’on pourrait désigner comme un tiroir graphique.

Le nom-de-journal « El PAIS » est composé d’un article défini (el) et d’un nom commun (país) dont la forme correcte est accentuée. La grammaire espagnole n’autorise pas la non-accentuation de lettres capitales. En effet, le nom du journal, qui se décline dans plusieurs endroits de chaque numéro, est toujours accentué sauf dans l’énoncé de la première page. Il s’agit donc d’un énoncé composé de deux mots en capitales qui assume le rôle d’une marque 163 . Il est placé au-dessus de la page et il repose sur deux lignes de texte à caractères différents. Une première ligne est constituée de trois énoncés : la date à gauche, le sous-titre du journal « Diario independiente de la mañana » au centre et le type d’édition à droite 164 indiquent l’ancrage spatio-temporel du journal. Une deuxième ligne de texte, à la même police de caractères que le corps des articles, contient les informations bibliographiques du journal : numéro, site internet et prix, dans cet ordre.

« El MUNDO » est composé d’un article et d’un nom commun, séparés par un signe de couleur verte qui représente la sphère de la terre et sous-titrés par un complément de nom : « del siglo XXI ». L’énoncé qui compose le nom-de-journal est donc sémantiquement constitué du nom et du sous-tire. Un aphorisme, différent chaque jour, délimite le nom par le haut, en forme de chapô. En sous-titre, trois colonnes, avec trois polices de caractère différentes donnent une épaisseur particulière à cette partie du nom. D’abord, à gauche et à droite, deux colonnes hiérarchisées : elles sont composées de deux énoncés dont le premier informe de la date (à gauche) et du type de l’édition (à droite) tandis que le deuxième, dans une police plus petite, contient les informations bibliographiques du numéro. Au centre se trouve le complément de nom du nom-de-journal.

Cette description succincte nous offre déjà quelques éléments de distinction entre ces trois journaux : le nom ayant la place et les caractéristiques sémiotiques d’une marque dans El PAIS, étant inséré dans la structure sémiotique de la page dans ABC et composant un univers sémantique dans El MUNDO.

« LE FIGARO » est constitué d’un article et d’un nom propre. Cet énoncé se situe en tête de page et en position centrale. La citation de Beaumarchais sert de sous-titre : « Sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur ». À droite du nom, trois lignes indiquent la date, le numéro et le prix, ainsi que les coordonnées du site internet. Plus à droite encore, dans une police plus grande que le nom du journal et en rouge, le chiffre 1 avec le symbole (euro) indique le prix du journal. On peut noter ainsi le phénomène phonétique introduit par cette disposition : « Le Figaro un euro » 165 . Le prix du journal acquérant dès lors un rôle identitaire comparable à celui du nom.

« Le Monde », énoncé formé d’un article et d’un nom commun, se trouve centré en tête de page. Il est composé d’une police particulière et facilement reconnaissable et ne fait pas usage des capitales. Ce nom est en outre isolé du reste de la page : seule l’adresse du site Internet accompagne le nom dans sa position en tête de page. Les références spatio-temporelles et bibliographiques n’apparaissent, dans la Une du Monde, qu’en-dessous du bandeau. L’encadré à droite est un espace autonome qui annonce les suppléments contenus dans le journal.

« Libération » est composé de lettres minuscules blanches sur fond rouge et ombre noire. Le fond en forme de losange a plus une fonction d’ancrage, comme un post-it, que de cadre. Cette composition est mobile et n’a pas de place fixe dans la structure de la Une. Même si elle est dans la plupart des cas dans la moitié supérieure de la page, elle peut parfois quitter ce lieu privilégié.

Nous retrouvons dans le nom-de-journal « Le Monde » le même type de rapport à l’espace, isolé du contenu discursif du journal que dans El PAIS. L’identité visuelle portée par le nom-de-journal « Le Figaro » est quant à elle ambiguë du fait de la mise en relation avec le prix du journal. « Libération » est enfin un nom-de-journal dont l’autonomie énonciative renvoie à la marque incarnée par « El PAIS » et « Le Monde » sauf que, à la différence de ceux-ci, cet énoncé est pleinement intégré dans l’espace discursif du journal.

L’analyse des rôles remplis par chacun de ces noms dans l’ensemble du dispositif journalistique permet de mieux définir leurs différences afin de rendre comparables les journaux qui composent le corpus sans leur ôter le caractère identitaire qui les institue comme des instances d’énonciation distinctes.

Notes
.

Fondé en 1903 par M. Torcuato Luca de Tena

163.

Après âpres discussions fut accordé que le nom en tête de journal serait le seul à ne pas avoir d’accent parce qu’il fonctionne comme une marque. Voir à cet effet : SEOANE, M.C et SUEIRO, S : 2004 op.cit (p. 66)

.

Journal indépendant du matin.

164.

Les journaux espagnols ont souvent plusieurs éditions régionales.

165.

La nouvelle formule du Figaro (2005) a fait disparaître cette figure de style.