2.2.1.3 Le rôle de signature

Le nom du journal remplit aussi la fonction d’une signature : il constate, actualise ou vérifie l’information qui se déploie ensuite dans les pages du journal. Mais, nous l’avons introduit tout à l’heure à propos de Le Figaro, il signe aussi un discours qui indique le rôle du journal dans le monde. C’est en ce sens que le nom-de-journal en tant que signature contribue à l’instauration du dispositif : plus que le nom propre et plus que le titre premier qu’il représente, le nom du journal comme signature est la première forme d’inscription du journal dans un discours sur le monde et, le nom du journal étant à la fois l’ouverture et la clôture de ce discours, cette signature désigne les contours de l’identité discursive du journal. La présence du nom du journal en tête de l’éditorial dans Le Monde renforce, par exemple, la distinction présente dans tous les journaux, entre une opinion qui est assumée comme une partie de son identité discursive et d’autres opinions (contenues dans d’autres pages) qui sont légitimées par le journal (puisque insérées dans des pages signées avec le nom-de-journal) sans qu’elles puissent pour autant être considérées comme constitutives de son identité discursive.

Le nom-de-journal comme signature est présent, dans les journaux qui composent notre corpus, dans plusieurs endroits de chaque numéro : en entête des pages, en pied d’éditorial et après la signature de certains articles pour Le Monde ; en entête pour Libération, en entête pour Le Figaro, en entête pour El Pais et aussi pour ABC 180 .

El PAIS et Le Figaro sont les deux journaux du corpus dont le nom est accompagné, dans la page de Une, d’un sous titre. ABC présente, pour sa part, la caractéristique d’utiliser comme sous titre la référence à son fondateur. Dans tous les cas le sous titre disparaît lorsque le nom de journal est présent dans d’autres lieux que la page de Une. Nous faisons dès lors l’hypothèse d’un renvoi permanent à cette page de Une où le titre est complété par son sous-titre et à l’identité discursive que ces énoncés contiennent : « la liberté » dans Le Figaro, « l’indépendance » dans El PAIS « une longue tradition » dans ABC 181 . Cela comporte, nous semble-t-il, un mécanisme de clôture sémiotique du journal sur lui-même par lequel l’identité discursive de celui-ci peut se réactualiser en permanence dans le processus de médiation sémiotique mis en œuvre par chaque lecteur. Ce processus relie en permanence l’intérieur du journal avec la Une où le nom complet du journal en condense l’identité discursive. Le nom-de-journal comme signature n’atteste donc pas seulement de l’identité du journal, mais il en permet un rappel constant au moyen de la lecture.

Une relation semblable entre le nom-de-journal en Une et sa présence dans les autres lieux du journal (entête de page) se produit dans El Mundo. Le renvoi ne se produit cependant pas vers un sous titre mais vers le complément du nom associé au nom du journal (del siglo XXI). L’attestation d’un discours véridique assumé par le rôle de signature du nom-de-journal se voit ainsi couplée d’une référence directe à l’attribut discursif rattaché à ce nom de journal. Cet attribut, qui fait partie de l’identité discursive du journal, réfère au concept d’avenir, à ce qui est en évolution ou qui tend vers quelque chose : le monde du XXIème siècle.

Le type de médiation instaurée par le lecteur dans la relation entre l’énoncé en Une et le nom-de-journal en entête de chacune des pages ne peut pas être complété ici du fait que « del siglo XXI » ne constitue pas un énoncé autonome. La médiation entre deux énoncés, qui pouvait être incarnée par le lecteur dans le cas précédent n’est pas ici possible, ce qui fait du nom-de-journal comme signature un rappel du nom propre vide « El Mundo del siglo XXI ». Le contenu discursif de ce nom étant toujours réservé au rôle de titre de l’énoncé nom-de-journal.

Dans le cas de Libération, la signature remplit un rôle d’attestation. Elle apparaît en Une et dans l’entête des pages. Elle n’apparaît pas ailleurs, sauf dans des cas où, et cela est une caractéristique originale de ce journal, le nom du journal est inséré sémiotiquement, voire parfois discursivement, dans le titre de Une du journal. Cette originalité constitue un double rapport au réel de la part du journal : d’une part pour l’insistance sur le rôle de notaire, d’attestation d’une réalité, que semble remplir le nom « Libération » à la Une du journal. D’autre part, et cela est une caractéristique exclusive de Libération, cette mobilité du nom-de-journal en tant que signature semble indiquer également une volonté de participation de la part du journal, comme instance communicante, sur la réalité sur laquelle il communique.

Une autre particularité quant à l’autonomie signifiante du nom-de-journal comme signature est celle du journal Le Monde lorsque ce nom se trouve en situation de signature d’article : « x pour Le Monde ». La signature du journal ajoute ainsi au rôle d’attestation celui de l’exclusivité. « Le Monde » atteste d’une exclusivité qui vient se rajouter directement aux autres caractéristiques de l’identité discursive du journal. Il n’y a pas ici de processus de médiation sémiotique entre deux énoncés, il y a la juxtaposition d’une caractéristique discursive à d’autres déjà présentes.

Cela permet de définir trois caractéristiques du rôle de signature du nom-de-journal. En premier lieu celle issue des cas où cette signature contient elle-même la représentation d’un discours spécifique : celui de la participation (participer au discours ou à l’image de la Une) dans le cas de Libération et celui de l’exclusivité dans le cas de Le Monde. En deuxième lieu, celle où le nom-de-journal comme signature n’atteste pas d’une identité discursive mais en propose une réactualisation permanente à partir du rôle médiateur du lecteur (El PAIS, ABC et Le Figaro). En troisième lieu, la signature qui atteste de la validité du document agissant comme reproduction du nom propre qui l’identifie (El Mundo).

Notes
180.

Nous considérons qu’il ne s’agit d’une signature que lorsque la typographie de Une est respectée.

181.

Respectivement : « Sans liberté de blâmer il n’est point d’éloge flatteur », « journal indépendant du matin », « journal fondé en 1903 par M. Torcuato Luca de Tena ».