Le nom du journal peut aussi être « détourné » au sein de l’univers symbolique du journal : ainsi Le Monde devient Le Monde de l’éducation, Le Monde de l’économie, Le Monde des livres… et EL PAIS peut devenir EL PAIS de las tentaciones ou Ciberpaís 182 . L’attribution d’un complément de nom au nom du journal permet de désigner l’ancrage thématique du supplément tout en gardant l’identité discursive du journal. Le cas de Ciberpaís est différent du fait qu’il propose une identité nouvelle. Nous ne nous y attarderons pas, mais nous attirons toutefois l’attention sur cette possibilité de construction d’une identité discursive parallèle au sein du journal 183 .
Le cas du Figaro est un peu différent en ce qu’il présente deux formules : celle que l’on voit dans Le Figaro Littéraire où le nom-de-journal est accompagné d’un adjectif et celle qui concerne les pages économie : Le Figaro. Économie où le nom de journal est juxtaposé à une rubrique informative. La différence entre ces deux procédés concerne le type de discours proposé : le nom « Le Figaro littéraire » fait appel à un type de discours expressif en accord avec le rôle de titre assumé par ce même énoncé. Dans le deuxième procédé, en revanche, il n’est pas proposé de discours : il s’agit de deux noms, un nom propre et un nom commun juxtaposés. Le nom-de-journal s’accorde dans cette circonstance avec le rôle de nom propre : il est vide. Mais cela s’élargit aussi à « économie ». La juxtaposition de ces deux noms permet de ce fait de faire rentrer le nom commun « économie » dans le processus de médiation sémiotique auquel le nom-de-journal comme signature invite le lecteur à participer. L’économie devient, par ce biais, une deuxième forme de signature du journal. Dès lors que la signature du journal atteste de la véracité de son identité discursive, l’économie signifie, aux côtés du nom « Le Figaro », le type de discours auquel se rattache la liberté selon l’identité discursive du journal.
Il convient de remarquer la non dissémination du nom-de-journal « El Mundo », qui pourrait, à priori, donner lieu à des constructions comme celles du journal Le Monde ou El Pais. Cela répond à une question sémantique : « Le Monde » et « El Mundo », n’ont pas le même sens en français et en espagnol lorsqu’ils deviennent un nom commun. « Le monde de l’éducation » se tradurait ainsi par « el ámbito de la educación » voir « el país de la educación ». Il faut donc tenir compte de cette distinction pour comprendre comment « El Pais » (ce qui ne serait pas possible en français) se décline comme un nom propre, mais non « El Mundo ». Du point de vue sémiotique, cela renforce la fonction de stricte attestation assumée par le nom-de-journal dans son rôle de signature et reproduite ici dans ses formes disséminées.
Restent à voir les deux noms-de-journal non accompagnés de déterminants. Il est tout à fait logique qu’ils ne se déclinent pas étant donné que toute déclinaison entraînerait en même temps l’ajout d’un déterminant et donc un changement sémantique du nom. Une déclinaison originale se produit pourtant du côté d’ABC : « ABCd las artes » . Le nom-de-journal est par ce biais reproduit plus que décliné, en un exercice de redondance. Un exercice qui rappelle toutefois les connotations sémantiques contenues dans ce nom-de-journal et ce faisant permet de les appliquer à d’autres domaines, celui des arts en l’occurrence. Il y a dans cela un processus de médiation sémiotique entre cet énoncé « ABCd las artes » et l’énoncé nom-de-journal qui propose au lecteur d’étendre l’identité discursive à d’autres domaines que celui de l’information. Presque comme s’il s’agissait d’aborder le monde dans son ensemble avec cette disposition discursive. Et cette disposition est présente dans les deux compléments de nom qui accompagnent l’énoncé nom-de-journal : la tradition incarnée par le fondateur du journal, la même tradition incarnée dans la formule « les arts » qui renvoie à la distinction dix-neuvièmiste entre les arts et les sciences.
La dissémination du nom de journal présente donc trois modèles différents : celui d’une désignation thématique (Le Monde, El PAIS), celui de signification de l’identité discursive (Le Figaro) et celui enfin d’une signification et d’une étendue de l’identité discursive (ABC). Pour les deux autres journaux du corpus (Libération et El Mundo), la dissémination du nom-de-journal ne peut pas être considérée comme signifiante autrement que par son absence ce qui, bien entendu, est toujours une forme de signification dans une démarche comparative.
À la lumière des analyses menées jusqu’ici, il est déjà possible de dresser un premier tableau descriptif des caractéristiques sémiotiques des énoncés nom-de-journal :
Les flèches de la figure ci-dessus indiquent les lieux de médiation sémiotique dans lesquels se produit l’instauration d’un destinateur incarné par l’énoncé nom-de-journal. Nous entendons le lieu de médiation sémiotique comme l’instance signifiante (chacun des rôles remplis par les énoncés nom-de-journal) par laquelle un lecteur peut identifier le contrat de communication proposé par le journal. Les lieux où cet énoncé est représenté recevant une flèche indiquent la provenance du sens qui peut lui être attribué en tant que signifiant. Nous dirons, par exemple, que le titre référentiel « Le Monde » est mis en rapport avec le nom propre vide « Le Monde » de telle sorte que la référence du titre devient équivalente à celle du nom propre. Parallèlement, le lieu de la dissémination est mis en rapport avec celui de la signature de telle sorte que toutes les formes de déclinaison du nom-de-journal contiennent la valeur d’exclusivité liée à la signature.
La polysémie identitaire qui en découle, normale dans une instance de communication, nous conduira à proposer une analyse des formes d’intentionnalité collective auxquelles peut donner lieu chaque journal. Ce sera l’objet de la deuxième étape de l’analyse, lorsque il s’agira d’introduire cette instance d’énonciation dans une réalité discursive. Il convient, toutefois, de s’attarder avant sur la mise en œuvre d’un destinateur pour les affiches électorales.
Le premier, qui se traduirait par « EL PAIS de la tentation », est un supplément dédié aux jeunes distribué avec le journal tous les vendredis. Le deuxième est un supplément sur les nouvelles technologies distribué tous les jeudis.
Il s’agit d’un supplément distribué avec le journal mais dont la typographie et la maquette diffèrent légèrement de celles du journal.
« ABCdes arts »