2. La campagne électorale comme dispositif sémiotique

Le concept de dispositif élaboré par Maurice Mouillaud et Jean-François Tétu, vise à distinguer l'inscription sociologique du journal dans le monde de ses implications discursives, de telle sorte qu’ils le décrivent de manière succincte comme « ‘ un site où l'énoncé prend forme » 233 . Mais le dispositif peut également s’étendre à toute instance de communication, en ce qu’il est ‘ « la condition qui veut que l’acte de communication se construise d’une façon particulière selon les circonstances matérielles dans lesquelles il se déroule » 234 . Le dispositif permet, en somme, l'inscription du locuteur et de l'allocutaire dans un même espace, celui du dire.

Le concept de dispositif fait donc référence à ces éléments qui nous permettent d’ancrer un discours dans un temps et dans un espace précis. Dans le cas de la presse quotidienne, le dispositif vise à établir une sorte de présent perpétuel qui se renouvelle chaque jour et il permet l’ancrage de ce temps dans un espace géographique et dans un temps historique. Cette opération d’ancrage spatio-temporel étant nécessaire à toute pratique communicationnelle, le déploiement de dispositifs sémiotiques est donc observable dans tous les vecteurs de communication y compris ceux qui constituent notre corpus aux côtés des journaux d’information : les affiches électorales. Ce qui changera, par rapport aux dispositifs journalistiques, est précisément le type d’ancrage spatio-temporel proposé, qui ne va pas renvoyer à un présent continu mais à une articulation entre le passé (temps de l’identité) et le futur (temps de l’élection) dans l’espace géographique (l’Espagne ou la France) où se produit l’événement qui fait l’objet des discours énoncés (le vote).

La notion de dispositif tel que nous l’adoptons peut donc être finalement précisée grâce à la définition proposée par Daniel Peraya :

‘« Un dispositif est une instance, un lieu social d’interaction et de coopération, possédant ses intentions, son fonctionnement matériel et symbolique enfin, ses modes d’interaction propres. L’économie d’un dispositif – son fonctionnement – déterminée par les intentions, s’appuie sur l’organisation structurée de moyens matériels, technologiques, symboliques et relationnels, qui modélisent, à partir de leurs caractéristiques propres, les comportements et les conduites sociales (affectives et relationnelles), cognitives, communicatives, des sujets » 235

Dès lors, la situation de communication désignée comme « campagne aux élections européennes » devient signifiante grâce à la mise en place d’un dispositif d’énonciation où un ensemble d’éléments signifiants des territoires du politique propres à la procédure démocratique, (le principe parlementaire de représentation, les règles de la discussion parlementaire, les procédures de choix des représentants, les procédures de participation politique, les formes de discussion publique, les règles de distribution du temps de parole, la délimitation de territoires représentées…) deviennent visibles dans des arènes du politique (les espaces de médiation permettant les rapports sociaux qui façonnent l’espace politique des deux pays faisant l’objet de cette thèse) 236 .

Notes
233.

MOUILLAUD, M et TÉTU, J-F : 1989 (p. 101).

234.

CHARAUDEAU, P : 2006 op.cit.(p.54).

235.

PERAYA, D : Médiation et médiatisation : le campus virtuel in Hermès 1999, nº 25 (p.153).

236.

Pour la définition et la distinction entre arènes et territoires du politique voir l’article déjà cité de André Gosselin « La communication politique. Cartographie d’un champ de recherches et d’activités ». Nous y reviendrons par la suite.