2.2.3. L’ethos mythique

Les affiches ont besoin enfin d’un référent identitaire permettant de les rattacher à un temps long propre à l’identité de chaque parti. Il se peut également qu’un parti s’efforce d’effacer des références devenues problématiques ou qu’il tente d’en créer de nouvelles. Celles-ci seront toutefois nécessaires pour la compréhension du discours énoncé par l’affiche au risque, dans le cas contraire, que celle-ci soit perçue comme une simple opération publicitaire.

L’éthos mythique est exprimé dans l’affiche d’IU par la prise de vue donnant lieu à une contre- plongée démesurée et par les marqueurs générationnels du personnage photographié de dos. Le rapport de forces mis en exergue par le plan en contre-plongée représente ainsi une première référence à une identité politique issue de la lutte des classes. Cet ancrage historique est toutefois redéfini par le corps du garçon qui incarne en même temps cette lutte (par sa position spatiale dans l’affiche issue de l’angle de prise de vue) et ceux qui doivent la mener. Ce personnage devient, par son âge (on comprend qu’il ne dépasse pas la trentaine), une représentation de la réactualisation de la lutte des classes.

IU s’attribue ainsi un ethos mythique à la fois légitimé par les principes fondateurs du parti et adapté à l’actualité. L’image quotidienne que l’affiche nous présente est une image classique dans laquelle nous retrouvons des signes de la modernité : le type de blouson porté par le garçon est d’une matière actuelle, le rideau qui couvre une partie de l’immeuble est une innovation dans les travaux d’aménagement actuels de même que la profusion d’antennes paraboliques représente aussi une société de communication. L’ethos mythique mis en avant par IU est en somme celui d’une identité traditionnelle du parti, mais existant toujours.

L’ethos mythique mis en avant par les Verts est de type circulaire : le tournesol qui est le symbole du parti est représenté dans un très gros plan jusqu’à remplir presque l’ensemble du fond de l’affiche. Cette procédure est très proche du principe pictural de l’autoportrait. Dans ce type de représentations, l’auteur se représente lui même dans l’image mais il le fait aussi au moyen de la signature. Bien que l’usage des portraits et des logos politiques soit courant dans la construction des affiches, un tel usage du principe de l’autoportrait nous semble révéler d’un caractère novateur important. Il y a en effet quelque chose de fondateur dans un autoportrait : il s’agit de la mise en œuvre d’un regard sur soi qui donne naissance à l’expression d’une identité. Cette affiche des Verts serait ainsi l’expression d’un moment fondateur où les valeurs qui les identifient s’instituent dans un temps historique qui est celui de la campagne électorale.

C’est pour cela que l’opposition entre nature et culture que l’on pouvait déceler dans l’analyse narrative de l’affiche se transforme en une opposition entre nature et histoire dans laquelle l’ethos mythique des Verts vient se joindre à l’ethos argumentaire et narratif pour construire un moment historique où nature et culture peuvent se retrouver sans s’opposer.

L’ethos mythique mis en évidence par l’affiche du PSOE est construit autour des deux notions narratives évoquées plus haut : « pouvoir » et « aimer ». Le pouvoir est représenté par la notion de retour (« volvemos a Europa ») qui renvoie au retour des troupes engagées en Irak (décision prise une fois que le PSOE est venu au pouvoir), mais aussi explicitement au retour du PSOE au pouvoir où ce parti s’était établi comme figure importante de la transition. L’amour est également en opposition directe avec la guerre. Ces deux signes d’un discours contextuel sont insérés eux-mêmes dans une composition plastique contenant une gamme de couleurs assez mince : le blanc, le rouge et le gris. Dans cette sobriété chromatique, le rouge se retrouve dans le cœur et dans le logo du parti tandis que le gris rejoint l’Europe, l’Espagne et « volver ». L’ancrage dans l’identité historique du parti se produit donc à travers la référence à l’amour, tandis que le moment inaugural propre à cette élection se fait par l’idée de « retour ». Cette affiche rassemble ainsi dans un ethos mythique le temps présent et le temps historique du parti socialiste sous la forme d’une histoire d’amour.

L’ethos mythique présent dans l’affiche du PS a déjà été évoqué tout à l’heure comme une des composantes essentielles de sa narrativité. Le rouge foncé et agressif dominant la surface de l’affiche et qui était déjà présent lors des élections de 2002, semble remplir autant un rôle de rappel identitaire que d’affirmation de cette identité : il la rappelle pour ceux qui auraient pu penser que le PS s’était éloigné du socialisme ; il l’affiche pour ceux qui voudraient connaître l’identité revendiquée par ce parti. Les références à toute une tradition socialiste ne sont plus à rappeler dans cet usage de la couleur rouge. L’insistance sur cette identité, en revanche, nous interroge davantage.

Il ne s’agit pas seulement, dans cette affiche, d’un appel à la tradition, car nous y observons presque un baroquisme socialiste dans la reproduction des contours d’une Rose rouge sur fond rouge de même que dans la présence prépondérante de la rose et du poing rouge et blanc sur le même fond rouge. Une telle redondance ne peut donc que faire appel à la capacité d’action de la répétition, ce qui revient en effet à la construction d’un ethos mythique tout puissant qui remplirait le rôle de destinateur de l’Histoire. Il semblerait donc que le PS fasse de son histoire un moteur et une légitimation pour le présent au moyen de la présence exagérée de son ethos mythique.

L’élément central d’ancrage identitaire mis en avant par l’UDF est, nous semble-t-il, la présence de la couleur orange. C’est la même couleur qu’on a vue dans l’affiche du PP et qui permettrait aux partis politiques de se doter d’une identité libérale différente de celle des partis conservateurs jusque là propriétaires de cette identité. La couleur orange est ainsi présente dans le fond des portraits de candidats, donc à l’endroit représentatif du parti.

L’ethos mythique du PP est enfin revendiqué dans le rapport entre les différentes couleurs qui composent l’affiche et leur articulation à partir des objets représentés. Il en est ainsi par exemple, de la mouette qui est le symbole traditionnel de ce parti et qui reste la seule touche de bleu sur un fond orange qui couronne le sigle du parti, devenu rouge. L’absence de temps présent observé dans l’ethos narratif semble par la même occasion se reproduire dans la composition des deux éléments proprement identitaires de ce parti : la couleur bleue (qui est tournée vers l’orange de l’avenir) et la mouette qui garde sa place et sa couleur traditionnelles. L’ethos mythique se construit ainsi à partir des signifiants du mouvement et de l’avenir.

Cet ethos mythique est fort absent de l’affiche de l’UMP : le procédé métonymique qui commande cette affiche s’oppose logiquement à la présence d’un ethos mythique qui lui, repose sur un principe de globalité. Ainsi, l’ancrage identitaire assuré par l’ethos mythique est presque exclusivement rempli par la présence du symbole du parti. Celui-ci est centré en bas de la page et il contient la seule touche de couleur de l’affiche, mais il est aussi spatialement situé dans un axe qui coupe les trois mots essentiels de l’affiche : « Europe », « France », « Grand ». Quant on connaît les connotations d’une France Grande dans la vie politique française, l’on peut croire que l’UMP est, dans cette affiche, le signifiant auquel se rattache l’ethos mythique d’un parti porteur d’une tradition Gaulliste jadis incarnée par l’UNR, l’UDR et le RPR. Une tradition dont l’ancrage identitaire, le Général de Gaulle, renvoie à une position contraire à l’Europe, problématique, donc, dans une campagne européenne.