3.1.1. La justesse politique

L’analyse sémiotique de la narrativité des affiches électorales nous permet d’aborder les éléments signifiants de la médiation entre l’instance communicante et le monde social, à partir de l’élucidation des rôles actantiels exprimés.

Suivant la grille proposée par Dominique Memmi dans une analyse sémiotique des affiches électorales italiennes 278 , l’ethos narratif peut être analysé à partir de la situation de communication dans laquelle se place le parti et de celle qui concerne le spectateur de l’affiche. Nous proposons donc de distinguer les fonctions actantielles qui sont rattachées à chacun de ces deux acteurs. Nous adaptons de ce fait l’analyse sémiotique à notre approche intentionnelle de la communication : le parti et le spectateur ne sont pas reliés, dans notre modèle d’analyse, de manière fonctionnelle, mais intentionnelle. Cela signifie que la présence de l’un n’est pas possible sans celle de l’autre mais que le rôle actantiel que l’on attribue à l’un (par exemple, le sujet d’une quête) ne détermine pas celui de l’autre (le destinataire de la quête, par exemple). Il s’agit, de ce fait, d’insérer l’ethos argumentaire décrit plus haut (cf. II.2.2.1) dans l’espace et le temps de la communication à partir du type de rapport instauré par le processus narratif :

L’affiche politique est dès lors considérée comme le lieu de convergence de l’intentionnalité du spectateur et de celle de l’énonciateur. Cette convergence est désignée par ce que nous avons appelé plus haut « au moyen de » et que l’analyse narrative nous permet d’identifier à l’objet de valeur du récit électoral. La figure suivante résume les acteurs qui incarnent cet objet de valeur dans le programme narratif des différentes affiches et la forme discursive sous laquelle cet objet est représenté :

La relation ainsi mise en évidence entre l’objet de valeur du récit électoral et l’acteur communicationnel qui l’incarne nous permet dès lors d’attribuer aux signifiants qui la représentent (reproduits ci-dessus) une place dans la conception habermassienne de l’Espace Public. Dans la rationalité communicationnelle, les formes d’agir diffèrent selon la distance existant entre le sujet et le monde, mais aussi entre le sujet communicant et le sujet interprétant. La première est la distance de la représentation, la deuxième est celle de l’identité. Avec les aspects narratifs de la communication, nous avons mis en évidence les signifiants porteurs de cette forme d’identification. Nous pouvons maintenant distinguer entre deux types de signifiants : ceux qui identifient le parti politique avec l’objet de la quête et les autres.

Deux affiches (Les Verts et Le PS) s’insèrent dans une situation de communication de type affectuelle du fait que l’objet de valeur représenté se confond avec le sujet de l’énonciation et empêche l’institution d’un Tu interprétant autrement que par l’identification à celui-ci et, ce processus d’identification est guidé par l’émotion. Une seule affiche, celle de IU renvoie à une situation de communication de type axiologique en ce que l’objet de valeur représenté ne se confond pas avec le sujet de l’énonciation, mais il désigne un monde social partagé par le Je énonciateur et le Tu interprétant. Les quatre autres (UDF, UMP PSOE et PP) s’insèrent dans une situation de type dramaturgique du fait qu’ils donnent lieu, au moyen de la représentation d’un objet de valeur différent du sujet de l’énonciation, à la mise en oeuvre d’une situation de communication où le Je énonciateur et le Tu interprétant peuvent converger 279 sur un même objet symbolique.

L’insertion de ces rapports intentionnels dans la réalité sociale se produit à partir des rapports établis par la campagne électorale en tant que dispositif d’énonciation de la communication politique. Nous avons expliqué tout à l’heure la manière dont ce dispositif mettait en relation les types d’agir communicationnels avec les notions d’arènes et de territoire du politique. Il est possible pour l’observateur de discerner, dans cette relation, deux directions : une allant vers les arènes du politique et une autre orientée vers les territoires du politique.

En effet, si nous voulons rendre compte d’un territoire politique, nous devons tenter ‘ « de comprendre et d’interpréter la logique d’action d’un agent en ayant pour horizon, voire pour postulat, un agir de type téléologique ou, du moins, axiologique » 280 . L’arène du politique, « ‘ à l’opposé, engage deux acteurs au moins et l’observation se place résolument dans la saisie de ce qui caractérise l’interaction, la co-présence de chacun et l’obligation qu’ils ont d’agir en composant avec (ou en anticipant) le comportement ou la réaction d’au moins un acteur supplémentaire » 281 . ’ Nous avons expliqué dans notre première partie (cf. I.2.1.3) la manière dont le concept d’interaction devait être compris dans cette thèse ; il ne semble pas nécessaire de revenir dessus. Nous pouvons donc considérer que les arènes du politique mettent en œuvre les types d’agir faisant état de la présence d’un « monde subjectif » (agir dramaturgique, et agir affectuel) et d’un « monde objectif » (agir axiologique).

A partir de notre corpus d’affiches politiques nous pouvons donc donner une première description de la manière dont les partis politiques représentent les arènes du politique dans leurs affiches :

Dans la conception intentionnelle de la communication politique, ces dénominations désignent la deuxième partie de la proposition intentionnelle « nous faisons ceci au moyen de cela ». Nous sommes donc dans la description d’un moyen d’action qui exprime trois moments différents de rationalité :

- l’affection : « l’essentiel » et « l’Europe sociale »

- l’axiologie : « Davantage »

- la dramaturgie : « Voir la France », « Besoin d’Europe », « Agir et représenter », « Revenir et aimer ».

Rappelons que l’expression de la rationalité ne renvoie pas au sens exprimé par ces énoncés, mais à la forme dans laquelle ils se présentent. Ce n’est donc pas l’énoncé « l’Europe sociale » qui connoterait une forme d’agir affectuel, mais la construction narrative de l’affiche du PS que nous avons décrite précédemment.

Notes
278.

MEMMI, D : 1986 (pp. 52-59).

279.

Nous désignons par le verbe converger le fait que deux instances de communication reconnaissent un même objet comme l’objet sur lequel porte leur contrat de communication.

280.

GOSSELIN, A : 1995 op.cit ( p.26).

281.

Idem (p.26).