3.2.2.1.2 L’Europe dans le faire être : Le Figaro

Le Figaro est le seul journal de ce corpus à garder encore un grand format. Par conséquent la distribution des titres en Une est clairement hiérarchisée entre les deux espaces principaux de la page de Une : le haut qui est réservé aux seules informations et le bas qui introduit des articles d’opinion. Le sommaire à gauche, comme c’était le cas pour Le Monde, permet de faire la transition à la fois sémiotique (puisqu’il occupe deux tiers de la surface de la page) et discursive (puisqu’il signale des informations qui vont être présentes dans le journal sans les développer) entre les deux espaces.

La présence d’une rubrique autonome « Figaro économie » dans l’angle inférieur gauche de la page est une différence importante par rapport à l’autre journal français de référence. Le parcours discursif reliant l’information et l’opinion serait ici lié à un deuxième parcours discursif reliant information et économie, comme si les informations économiques étaient à la fois une partie autonome de l’actualité (elles ont un espace propre) et une composante signifiante de la réalité (leur espace se trouve à la Une du journal). Cela n’est pas sans rappeler le rôle du billet à la Une du journal Le Monde, qui nous était apparu comme un espace de lien entre le haut et le bas de la page mais aussi comme une forme d’illustration de l’actualité présente dans les énoncés de la Une.

Si le rôle du billet était d’illustrer la co-présence de l’exclusivité et de l’information dans un même journal, celui de la rubrique « économie » pourrait être de mettre en scène les trois composantes de la liberté pour Le Figaro : le savoir (les informations), la critique (les opinions) et une forme de pouvoir (l’économie). Les images ont enfin une présence accrue dans la Une de Le Figaro ; elles se trouvent le plus souvent dans la partie supérieure de la page et toujours reliées au titre par une fonction illustrative.

Comme le montre l’image ci-dessus, la distribution de titres concernant l’Europe en Une du journal suit une logique semblable à celle des autres journaux analysés, mais la présence du sommaire permet de rendre compte d’une originalité, qui tient au dispositif du journal et qui consiste à présenter l’ensemble d’informations contenues dans le journal à la Une de celui-ci. Nous retrouvons le « faire être » (c.f.II.3.1.2) par lequel nous avons défini le journal comme instance d’énonciation : La Une de Le Figaro se montre capable de faire exister le monde dans une seule page.

L’Europe fait l’objet de 39 titres au sein de ce dispositif visuel avant le 14 juin 2004. Nous en représentons ci-dessous leur distribution dans temps :

La ligne reliant les pourcentages des titres cumulés présente des formes encore plus arrondies que celle du journal Le Monde. La variété des titres présents à la Une du journal empêche, en effet, des écarts importants d’un numéro à l’autre rendant avec cela effective la prise en compte de l’Europe comme objet de discours.

La construction temporelle de l’événement est ainsi différente de celle qui s’opérait dans les trois journaux précédents. Le présent de l’actualité est ici redoublé d’une présence de l’information. L’actualité dont la temporalité est marquée par la succession d’événements est, du fait du nombre de titres qui se trouvent à la première page du Figaro, donnée à voir à la Une du journal. Dès lors, la Une du Figaro constitue en elle-même une actualité qui pourrait se détacher du discours contenu dans le journal : elle fait référence à la présence de l’information, ce que nous appelons « être Le Figaro » et qui serait une sorte de temps suspendu entre l’instant propre au regard et le temps propre à la lecture. Le présent de l’actualité est, quant à lui, contenu dans le temps nécessaire à la lecture. C’est à partir de l’expérience de ce temps de la lecture que l’image composée par la Une du journal (l’être donné à voir par Le Figaro) est énoncé et rempli de sens. Il s’agit du procédé que nous désignons avec le terme « faire être l’actualité ».