2.2.4. Faire l’Europe et être français : Le Figaro

Le Figaro se situe intentionnellement dans une forme de reproduction de l’appartenance que nous avons définie comme l’addition du faire et de l’être. L’identité discursive de ce journal s’inscrit ainsi dans un rapport au monde à la fois par l’action et par la représentation, qui donne lieu à la mise en pratique d’une appartenance politique. Ceci est vrai pour tout discours politique et tout média, mais ce qui est propre à Le Figaro, c’est qu’il en fait la caractéristique informationnelle de son contrat de communication (c.f. II.3.1.2).

Ce qui est en jeu dans le discours du Figaro est donc la reproduction d’une appartenance avec une visée politique : « dire l’Europe ». C’est à partir de ce postulat que nous avons tenu compte de deux éléments particuliers de ce corpus : la présence d’une rubrique intitulée « Qu’est-ce qu’être français ? » et les titres référentiels.

À partir du 8 juin 2004, une série d’articles va apparaître dans les rubriques d’opinion afin de répondre à cette question et ce à partir d’un constat :

‘« Si les Français étaient sûrs d'eux, l'idée de se projeter dans l'Europe, d'accéder à une dimension nouvelle, de peser collectivement plus lourd au sein d'une communauté élargie, serait enthousiasmante. Mais voilà, ils doutent. » (8/06/2004)’

Le rôle politique que s’attribue le journal n’est pas à démontrer si ce n’est que cet article est l’introduction d’une rubrique et se présente comme l’ouverture d’une enquête. Il se situe donc du côté de l’information bien que les articles qui vont le suivre soient ensuite placés dans les rubriques d’opinion. Nous retiendrons, afin de suivre le fil de notre analyse, le statut d’information que l’identité acquiert dans ce journal. « Qu’est-ce qu’être Français ?» ne serait donc pas une question d’opinion mais de savoir. Le journal se porte garant de cette identité par son aptitude à nous en informer. Cela nous amène à formuler l’hypothèse d’analyse selon laquelle Le Figaro rend compte, dans ce corpus, des identités représentatives de l’Europe.

L’Europe sera définie dans le corpus, selon cette hypothèse, au moyen de références aux acteurs porteurs d’identités. Ces références sont repérables par la présence d’articles définis. Selon la grammaire française, un article défini réfère à un objet déjà identifié 461 , de telle sorte que l’on peut considérer les noms accompagnés d’articles définis comme des représentants d’institutions connues.

Le repérage de ce type de titres atteste ainsi, d’après le corpus étudié, de la présence d’un certain nombre d’acteurs qui représentent l’Europe :

- Des acteurs politiques nationaux : « les déçus de l’UMP », « les poids lourds du gouvernement », « les Verts », « les trotskistes », « le PS » et « le PCF », « le FN ».

- Des acteurs politiques européens : « les travaillistes », « les socialistes espagnols », « les conservateurs portugais », « les sociaux-démocrates », « les populistes ».

- Des acteurs qui désignent un rapport à l’Europe : « les eurosceptiques suédois », « les eurosceptiques de gauche », « les souverainistes ».

- Des acteurs ayant une fonction institutionnelle : « les partis », « les présidents de l’UMP et de l’UDF », « les nouveaux commissaires », « les parlementaires européens », « les députés danois ».

- Des acteurs représentant des catégories socio-politiques : « les électeurs », « les français », « les millions d’électeurs », « les autrichiens », « les vingt-cinq ».

La composition de ces cinq catégories d’acteurs reproduit fidèlement les cadres idéologiques de l’État-Nation sur trois plans institutionnels : les institutions politiques, la société civile et les institutions publiques. On peut ainsi opposer aux acteurs politiques français leur équivalent européen, aux acteurs qui désignent un rapport contestataire à l’Europe, ceux qui en assurent, en revanche, l’existence institutionnelle et enfin on observe aussi un certain nombre d’acteurs proches de la société civile.

Cette caractéristique identitaire du journal Le Figaro peut dès lors être directement analysée à partir du type de réalité représentée dans ce journal selon notre cadre intentionnel construit à partir de la théorie républicaine.

La distribution des informations selon le type de réalité représentée offre déjà une différence par rapport aux autres journaux. Ainsi, les manifestations verbales ne font plus, dans ce journal, l’objet principal des représentations discursives concernant la campagne aux élections européennes en France. Est également significative l’apparition de la catégorie des « faits mentaux non intentionnels » qui, nous le verrons, désigne les interprétations journalistiques concernant les partis ou les acteurs politiques. La prédominance des « comportements continus » et des « tendances, dispositions et propensions » semble renforcer l’hypothèse de l’identité discursive fondée sur les notions d’action et d’appartenance que nous avons attribuées à ce journal. Discursivement, la dénomination politique prédominante est « voir la France » (36,2%), suivie de « besoin d’Europe » (34%) et de « l’Europe sociale » (14,9), de telle sorte que les trois dénominations issues des trois partis majoritaires en France occupent 85,1% des articles du corpus.

Notes
461.

DENIS, D et SANCIER-CHATEAU, A : Grammaire du français, Livre de Poche, 1994.