2.2.4.2. Les acteurs politiques

L’étude des descriptions des hommes politiques fait affleurer la représentation de trois formes discursives : certains hommes politiques sont représentés à partir de leurs actions, c’est le cas de Jean-Pierre Raffarin, de Michel Rocard ou de Valéry Giscard d’Estaing ; pour d’autres, c’est leur parcours biographique qui est détaillé : c’est le cas de Jean Marie Cavada ; pour Brice Hortefeux, c’est sa relation avec Nicolas Sarkozy qui est mise en avant.

Dans un autre article du 25 mai 2004, M. Raffarin est décrit avec sa double identité de premier ministre et de membre de l’UMP : « C'est son dilemme : comment inciter à voter en faveur des listes UMP, sans que le score qu'elles obtiendront soit interprété comme un baromètre de sa popularité ». Cette phrase, au milieu de l’article, reprend le même procédé argumentatif fondé sur l’élocution, que l’on a remarqué dans un article du journal Le Monde portant sur l’UMP. L’article contient ici une information à propos d’une élection qui risque d’être mauvaise pour l’UMP à cause du gouvernement dirigé par M. Raffarin.

Michel Rocard fait l’objet d’un article signé par Pascale Sauvage le 26 mai 2004 qui porte pour titre « Rocard s’offre un nouveau combat ». M. Rocard était tête de liste pour les socialistes dans le Sud Ouest pour ces élections et il est abondamment associé à la qualité de pédagogue : « ‘pédagogue de l'économie’ au Parti socialiste », « il s'est posé en pédagogue de l'Europe », « conduire cette ‘pédagogie’ ».

Le 2 juin 2004, Nicolas Barrote signe un article sur Lionel Jospin sous le titre : « Jospin s’habitue à dire son mot » où l’ancien premier ministre n’est pas un ancien du parti comme c’était le cas pour M. Rocard, mais « le retraité le plus actif de la vie politique française » de même qu’au lieu d’être un pédagogue de l’Europe ou de l’économie, il présente « sur un ton professoral son exposé en trois parties sur l'Europe : ‘la paix et la croissance’, la ‘justice sociale’ et le ‘modèle de civilisation’ ». Jospin est enfin, et cela pourrait expliquer la difficulté à traiter son retour en politique, mis en rapport avec les grands hommes du socialisme, ce qui met en évidence la différence entre le pédagogue et le professeur et expliquerait la crainte qu’il suscite au sein de l’UMP

Le même jour, c’est sur François Fillon que Judith Waintraub signe un article titré « Fillon dénonce le ‘songe de rez-de-chaussée’ du parti socialiste ». Le ministre est présenté comme s’impliquant dans la campagne non par désir mais pour les besoins du parti : « François Fillon a accepté hier de mouiller sa chemise ». Le numéro trois du gouvernement, comme il est appelé, remplit dès lors un rôle de dénonciation dans la campagne.

Valéry Giscard d’Estaing fait l’objet d’un article signé par Anne Fulda le 4 juin 2004. D’une part, l’ancien président français, dont l’europhilie n’est plus à démontrer d’après le journal, est décrit comme un acteur politique qui s’exprime et qui se fait écouter : « Giscard fait entendre sa voix » est le titre de l’article, mais également nous y trouvons des références dans le corps du texte : « intervention de Valéry Giscard d'Estaing », « Chacune de ses interventions est donc guettée avec attention », « Valéry Giscard d'Estaing s'est par ailleurs prononcé ». D’autre part, au lieu d’être un pédagogue ou un professeur, Valéry Giscard d’Estaing est quelqu’un qui est capable de contredire le président Chirac et de le « contredire avec un malin plaisir ». Remarquons que l’expression « malin plaisir » peut être considérée comme éloignée du champ sémantique de la pédagogie ou du professorat, dont les connotations renvoient plutôt au savoir ou à l’obstination.

Les hommes politiques présentent donc des caractéristiques différentes selon leur appartenance politique mais aussi selon leur position historique. Ainsi, Rocard, Giscard d’Estaing ou Jospin sont qualifiés de pédagogue, de professeur ou d’orateur, par opposition à Fillon ou Raffarin qui, eux, se voient attribuer un rôle politique malgré eux (Fillon « accepte enfin de mouiller sa chemise » et Raffarin « essaie d’éviter les dégâts »). Tandis que les figures politiques choisissent de s’exprimer (Jospin « s’habitue à dire son mot », Giscard d’Estaing « s’exprime » et même Rocard « s’offre un nouveau combat ») les hommes politiques actuels subissent les aléas de la campagne.

Un deuxième type de description concerne précisément les hommes politiques qui seraient, peut-être, destinés un jour à occuper la place des hommes tels Jospin, Giscard d’Estaing ou Rocard. Dans ce cas, nous n’assistons pas à une description mais à l’institution d’un personnage.

« La nouvelle marche de Jean-Marie Cavada » est le titre d’un article signé Eric Zemmour le 8 Juin 2004 où l’ancien directeur de France Télévisions est présenté par le journal dans son rôle d’homme politique. Le texte est parsemé d’interrogations et de mystères concernant le caractère ou la biographie du personnage : « ‘ comme s'il avait travaillé… ’ », « ‘ ce qu’il a d’ailleurs fait ’ », « ‘ fait semblant d'interroger ’ », « ‘ … fait-il semblant de répondre ’ », « ‘ Comme si Cavada… ’ », « ‘ il ne parle jamais de la politique, mais de la vie publique ’ », « ‘ il fume son cigare en cachette ’ », « ‘ l’a échappé belle ’ ». En fait, l’articulation du texte suit une progression sémiotique propre à la narration :

Le premier paragraphe décrit les caractéristiques d’un personnage, par ses traits physiques : « ‘ Sa voix mâle est sa meilleure signature ’ », et sa rhétorique « ‘ Et puis, ses phrases longues, parfois interminables, avec ses incises et ses reprises – littéraires pour ses admirateurs, alambiquées et sentencieuses pour ses détracteurs ’ ». Ces caractéristiques le rendent susceptible d’avoir des admirateurs et des détracteurs, condition nécessaire pour un homme politique.

Le deuxième paragraphe plante un décor pour l’action : « ‘ cette dame croisée dans les rues de Perpignan ’ » et décrit les caractéristiques de ce décor en tant qu’environnement pour le déroulement des actions du personnage : « ‘ Le ‘terrain’ aime Cavada ; Cavada aime le ‘terrain’  ’».

À ce stade de la narration (un personnage et un espace environnemental), l’apparition d’un destinateur introduit l’action du récit : « ‘ Cavada sait bien pourtant que c'est là son capital politique. La raison pour laquelle François Bayrou est venu le chercher. Cavada n'est pas dupe. Ni téméraire ’ ». Et avec l’apparition de ce destinateur, dont le personnage se méfie suffisamment pour être intéressant, mais pas assez pour s’en éloigner, arrive la première épreuve : « Il l'a échappé belle. Dès le début de la campagne, l'UMP a prétendu qu'Alain Juppé lui avait fait des offres de service ; qu'il avait semblé intéressé ».

L’épreuve surmontée, le destinateur fait une nouvelle apparition au cours de laquelle il institue l’actant du récit comme un héros : « Avec Bayrou, ils préparent leur coup depuis de longs mois. Cavada a eu le temps d'apprendre le catéchisme fédéraliste des centristes ». Le héros a donc été institué : « La politique, il y a pris goût. À le voir, à l'entendre, on a l'impression qu'il attendait ce moment depuis longtemps ».

Une fois le héros institué, c’est le moment de partir à la recherche de « l’objet de valeur » et de prendre son autonomie : « Il est tête de liste UDF dans la circonscription Sud-Ouest ; il aurait pu l'être dans l'Est. Bayrou lui avait laissé le choix ». Notre héros n’a pas voulu l’Est car, « dans ce Sud-Ouest qui ressemble pour lui à ‘une petite Californie’, l'ancien député UDF Alain Lamassoure est passé chez l'ennemi UMP’ ». L’objet de valeur est donc identifié et l’épreuve finale est engagée « les deux camps s'affrontent à fleurets à peine mouchetés ».

A la fin de l’épreuve, dont on ne connaît pas encore le résultat, le héros devra toutefois se soumettre à la sanction du destinataire : « Il veut accompagner Bayrou dans sa tentative de forger un parti démocrate à l'américaine. Il ne veut pas seulement être un instrument de passage ». Le journal nous fait attendre la suite du récit, le moment où le héros voudra affronter son destin. Nous savons aussi comment se terminent toujours ces tentatives...

Le troisième type de description concerne enfin deux membres de l’UMP. Sous une forme également narrative, le journal raconte la relation entre Nicolas Sarkozy et Brice Hortefeux dans un article publié par Guillaume Tabard le 11 juin 2004. Dans le récit précédent, l’objet de valeur recherché par le héros s’avérait être en dernière instance le pouvoir du destinateur. Dans ce deuxième récit, Brice Hortefeux est présenté comme un conseiller fidèle de Nicolas Sarkozy, mais un conseiller qui « s'est fait un nom » pendant cette campagne européenne passant ainsi d’une situation où il « était l'homme qui parlait discrètement aux autres (élus, journalistes). Tout en poursuivant le même objectif, conduire Sarkozy à l'Élysée » à une situation où « il est celui dont les autres (journalistes, élus) parlent désormais au grand jour ». Dans le récit précédent (celui de l’institution de Jean-Marie Cavada comme homme politique) c’est à ce moment que le héros se sentait capable d’affronter le destinateur de l’action (de lui disputer le pouvoir). Dans le cas de Hortefeux et Sarkozy, la perspective d’un pouvoir majeur, la présidence de la République, agit comme un destinateur commun aux deux personnages. Ainsi, Nicolas Sarkozy et Brice Hortefeux sont guidés dans leur action par une volonté de pouvoir qui en fait l’un l’adjuvant de l’autre au point que le journaliste écrit : « Comme Michel Poniatowski, Brice Hortefeux s'est progressivement mis à son compte » et « Comme Ponia, toujours, on pressent que la récompense ministérielle ne tardera pas ».

Mais le récit ne se termine pas là, puisque le pouvoir désigne toujours le chemin à suivre et que « ‘ Élu européen, élu régional, patron de l'UMP du Puy-de-Dôme, il rêve désormais de réussir en 2007 là où Giscard a échoué d'un cheveu en 1995 : conquérir la mairie de Clermont-Ferrand ’ ». Le héros peut ainsi être honnête car il aurait le pouvoir, « ‘ mais son bonheur d'être numéro un en Auvergne ne sera complet que si Nicolas est, la même année, numéro un à Paris ’ ». Ces deux personnages sont ainsi inscrits dans un espace et dans un temps qui sont délimités par le pouvoir, tandis que Bayrou et Cavada restaient, eux, dans l’imaginaire d’un mythe instauré par le journal dans son récit.