2.2.5. L’Europe comme lieu d’être

La catégorie des « manifestations verbales » devient encore moins présente dans les formes de représentation directes de l’Europe. L’hypothèse du discours identitaire est également renforcée du fait que « les gestes ponctuels », catégorie minoritaire dans les dénominations politiques, est ici majoritaire devant les « comportements continus » et les « tendances, dispositions et propensions ». Les références directes à l’Europe seraient ainsi plus à même de rendre compte des actions guidées par des règles communes qu’à représenter des acteurs ou des institutions communes.

  occurrences Pourcentages
Faits mentaux non intentionnels: 3 12,0
Gestes ponctuels: 10 40,0
Comportements continus: 6 24,0
Tendances, dispositions et propensions: 5 20,0
Manifestations verbales: 1 4,0
Total 25 100,0

La distribution des règles régulatives et des règles constitutives de la discussion européenne nous montre une situation paradoxale : c’est dans ce corpus, où les formes de représentation de la campagne électorale semblaient être le moins politisées parce que focalisées sur l’identification des sujets politiques, que l’Europe est porteuse d’une composante discursive plus riche en termes de règles de construction de la réalité sociale :

Le Figaro    
l'Europe    
Règles régulatives Forme discursive Groupes désignés
Prospérité économique    
Règles de recherche et d’innovation Le tabou des OGM Bruxelles
Vie publique    
Règles de prises de décisions Le référendum L’Europe
Règles d’action publique Apprendre le français Les commissaires
Règles du débat public La candidature turque divise Europe
Règles constitutives  
Principe de non-domination    
  Parlement européen Les députés, 25 membres
  Des modes de scrutin différents L’Europe
  Les politiques intérieures L’Europe
  Le pouvoir Bruxelles
  Tradition chrétienne et liberté de réligion Nouveaux arrivants

Pour l’ensemble de règles régulatives, la discursivité de l’Europe est constituée par :

Des institutions européennes représentées comme agissant sur les sujets européens (au moyen de la législation sur les OGM, par exemple).

Des sujets européens représentés comme agissant sur les Institutions européennes (au moyen par exemple d’un référendum sur la constitution).

Des Institutions européennes représentées comme agissant sur des Institutions européennes elles-mêmes (au moyen, par exemple, des commissaires qui apprennent le Français).

Les sujets européens représentés aussi comme agissant sur des sujets européens eux-mêmes (au moyen, par exemple, des débats sur l’adhésion de la Turquie).

Tout cela implique une représentation dynamique de la réalité européenne. Cette dynamique concerne deux types d’acteurs, des acteurs européens institutionnels et des sujets politiques appartenant à l’Europe. Cette dynamique ne renvoie donc pas à des représentations des acteurs nationaux. Les règles constitutives nous montrent dès lors que ceux que nous avons appelés les « sujets européens » sont en effet des membres des États-Nations et que ce sont les États-Nations qui constituent l’Europe :

Les Institutions européennes sont ainsi représentées comme agissant sur elles-mêmes (au moyen du principe de non-domination faisant que le parlement est représentatif des pays membres).

Les États-Nations sont représentés comme agissant sur les institutions européennes (au moyen du principe de non-domination qui veut que tout état puisse avoir sa capacité d’expression, mais aussi qu’il puisse garder son propre mode de scrutin ou encore, qu’il puisse défendre ses propres valeurs).

L’Europe est donc représentée comme une entité dynamique dans sa régulation, mais nous ne pouvons la considérer comme porteuse d’un idéal républicain de liberté dans la représentation qui en est faite dans ce journal que si l’on considère les États-Nations comme les sujets constitutifs de l’Europe, à la place des citoyens de ces états. C’est seulement alors que le principe de la non-domination est respecté dans ce corpus, bien que l’Europe devienne alors une entité semblable aux Nations Unies.

Cela nous montre en tout cas une approche différente de l’UE de celle que nous avions dans les analyses précédentes. Si nous nous plaçons toujours dans la perspective d’un idéaltype d’Espace Public, nous dirons que Le Figaro introduit à la discussion politique sur l’Europe la question de l’identité nationale. Ce faisant, il ne s’oppose pas au principe européen, il défend, au moyen de la représentation qui en faite, une Europe fondée sur les relations interétatiques. L’Europe devient ainsi un lieu pour l’existence des identités nationales : un lieu d’être.