« Dernière campagne pour M. Juppé » 

Alain Juppé mène sa dernière campagne électorale en se

refusant à évoquer l'avenir

LE MONDE | 07.06.04 | 14h40

Cette bataille est peut-être pour lui la dernière, mais il

s'efforce de n'en rien montrer. A Bordeaux, vendredi 4 juin,

comme la veille à Strasbourg, Alain Juppé s'est affiché comme

un chef de parti en campagne sans autre souci que le succès de

l'entreprise. Quoique meurtri par une condamnation qu'il juge

infamante, le président de l'UMP affecte une sorte de

sérénité. "Il est plus détendu que d'habitude", assurent

plusieurs de ses proches. Comme si de rien n'était, de

conférences de presse en réunions publiques devant des

audiences clairsemées, M. Juppé bat la campagne - "avec

enthousiasme" dit-il - sans s'économiser.

Lui qui, en 1993, au moment du référendum sur le traité de

Maastricht, avait converti à l'idée européenne l'ex-RPR et son

leader, Jacques Chirac, voudrait aujourd'hui la faire "aimer"

par les Français. Aussi va-t-il répétant que le Parlement

européen est "un lieu important", reprochant à François Bayrou

- le plus souvent sans le nommer - de vouloir quitter le

groupe du Parti populaire européen, qui y rassemble la droite

et le centre. "Nous combattons le délire fédéraliste de ceux

qui sont près à s'acoquiner avec des gens de gauche,

lance-t-il. Multiplier les groupuscules n'est pas une bonne

chose."

Son retrait annoncé de la vie politique n'y change rien.

L'ancien premier ministre boucle son tour de France électoral

comme s'il conservait sur ses épaules le maillot jaune de la

chiraquie. Il s'engage à fond, ne laissant guère d'espace à

François Baroin, désigné au début du mois d'avril secrétaire

général délégué du parti, chargé d'assurer l'intérim d'un

pouvoir devenu vacant jusqu'au congrès prévu à l'automne. Le

jeune député de l'Aube devait, à l'origine, accompagner M.

Juppé dans ses déplacements. Il a préféré s'abstenir - sans

doute par crainte de jouer les utilités. Avant le scrutin du

13 juin, M. Juppé aura multiplié les visites et s'offrira le

plaisir d'une réunion commune avec Valéry Giscard d'Estaing

devant des étudiants, mercredi 9 juin à Talence (Gironde).

M. Juppé est donc toujours là, même si tout lui rappelle que

dans quelques semaines, le jugement rendu en première instance

le 30 janvier par le tribunal correctionnel de Nanterre

(Hauts-de-Seine) l'obligera à se trouver ailleurs. Dans la

dernière période, François Fillon, Hervé Gaymard et

Jean-Pierre Raffarin ont publiquement envisagé, avec plus ou

moins de précision, leur éventuelle candidature à la

présidence de l'UMP pour devancer celle - supposée - de

Nicolas Sarkozy. La réaction de M. Juppé n'a pas tardé : "Je

suis président du parti et personne ne conteste ma légitimité.

Ma succession sera ouverte le jour où je l'annoncerai."

"MODESTE CONTRIBUTION"

Quand un élu ou un responsable régional du parti lui rend

hommage, il ajuste un sourire poli qui dissimule mal son

agacement. M. Juppé a programmé son départ de l'UMP vers la

mi-juillet, l'abandon de son mandat de député au début du mois

de septembre et celui de maire de Bordeaux à la fin de

l'année. D'ici là, il répugne à aborder la question.

L'interroge-t-on sur ses sentiments alors qu'il entreprend ce

qui pourrait être son ultime combat électoral ? Sa réponse est

invariable : "Je mène cette campagne par conviction, avec la

volonté de gagner. J'apporte ma modeste contribution à ce

travail que je crois important."

Pour l'heure son avenir reste un sujet tabou. Tout juste son

entourage confirme-t-il qu'il installera sa famille à Paris à

la rentrée scolaire de septembre. Mais rien ne filtre quant à

ses projets. Toutefois une rumeur court, selon laquelle M.

Juppé pourrait entamer une nouvelle carrière professionnelle

aux Etats-Unis, loin de la politique.

Mais en attendant ce qu'il appelle cette "césure", M. Juppé

n'est pas décidé à faire de la figuration. Passé le choc de sa

condamnation à dix-huit mois de prison avec sursis et à dix

annnées d'inéligibilité, il avait prévenu qu'il "conduirait"

les campagnes régionale et européenne de l'UMP. Aussi, comme

il l'avait fait au moment des élections régionales, a-t-il

suivi de près l'élaboration des huit listes de candidats à

l'élection européenne. Il a imposé Patrick Gaubert, le

président de la Licra, comme numéro un en Ile-de-France.

Après avoir expliqué au président de la République que les

militants de l'UMP et les Français n'accepteraient pas

l'intégration de la Turquie au sein de l'Union européenne

(UE), il a concédé avoir "évolué" sur ce dossier. Le 7 avril,

à l'occasion de sa première conférence de presse, il a annoncé

que le parti de la majorité voterait contre l'adhésion de ce

pays à l'UE. De même, le 9 mai, devant le conseil national de

l'UMP, il a repris au vol la proposition de Nicolas Sarkozy

concernant l'organisation d'un référendum sur la constitution

européenne en faveur duquel il s'était à plusieurs reprises

prononcé et l'a rajoutée dans le programme européen de l'UMP.

Yves Bordenave

• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 08.06.04