« Utiliser le parlement européen »

A défaut de peser sur les lois, les élus communistes ont

utilisé le Parlement comme une tribune

LE MONDE | 03.06.04 | 14h25

La GUE estime "avoir fait entendre une autre voix".

Bruxelles de notre bureau européen

Fortement minoritaires dans un Parlement européen ancré à

droite, les communistes et élus d'extrême gauche, rassemblés

au sein du groupe de la Gauche unitaire européenne (GUE),

estiment qu'ils ont fait "entendre une autre voix en Europe"

pendant la législature 1999- 2004. Utilisant activement les

moyens financiers dont ils ont été dotés, les eurodéputés de

la GUE ont surtout offert une tribune à de nombreuses

minorités et associations : syndicalistes, pacifistes,

altermondialistes, kurdes, objecteurs de conscience

israéliens, kabyles...

Sur le plan législatif, en revanche, ils n'ont guère eu

d'influence, en raison de leur faible poids - 42 députés au

début de la législature, 49 à la fin -, mais aussi de leur

refus des compromis. Un fait résume cette contradiction. Si le

communiste français Francis Wurtz, ancien secrétaire de

Georges Marchais devenu président de la GUE, est généralement

estimé par les eurodéputés, il n'a obtenu que 42 voix sur 590

lorsqu'il s'est présenté à la présidence du Parlement, en

2002.

Les communistes se sont beaucoup fait entendre sur les

questions de politique étrangère, qui ne relèvent pas de la

compétence du Parlement. L'un de leurs dénominateurs communs a

été leur engagement propalestinien. Luisa Morgantini, élue sur

la liste du Parti de la refondation communiste (PRC) italien,

et présidente de la délégation pour les relations avec le

Conseil législatif palestinien, a vigoureusement soutenu

Yasser Arafat. Avec M. Wurtz, elle a appelé le Parlement à

demander des sanctions contre Ariel Sharon. En avril 2002,

l'Assemblée a réclamé la suspension de l'accord d'association

qui lie l'UE à Israël, sans toutefois être entendue par les

Etats.

NOTE DISSONANTE

Même les Allemands ont été sur la ligne Wurtz-Morgantini.

Seule une élue d'extrême gauche, Ilka Schröder, arrivée en

cours de législature après avoir quitté les Verts, a fait

entendre une note dissonante. Elle a protesté contre les

conclusions d'un "groupe de travail" constitué pour enquêter

sur un éventuel financement du terrorisme palestinien par des

fonds européens. "Il a ignoré les faits, et n'a rien découvert

!", a-t-elle ironisé, alors que son collègue suédois Jonas

Sjöstedt, qui en faisait partie, affirmait qu'il n'y avait

"pas de preuves d'un détournement".

M. Wurtz estime que "la façon dont la GUE a alimenté le débat

fait bouger les esprits". La GUE a aussi fait entendre son

refus de la guerre, en organisant un voyage d'eurodéputés en

Irak, en février 2003. Dès novembre 2002, elle avait fait

venir à Strasbourg Scott Ritter, ancien chef des inspecteurs

des Nations unies pour le désarmement en Irak, qui expliquait

qu'il était impossible d'y trouver des armes de destruction

massive. Bien avant que soient révélées les tortures commises

à la prison d'Abou Ghraib, près de Bagdad, le groupe

communiste avait diffusé un film qui accusait les soldats

américains de crimes de guerre à l'encontre de talibans, dans

le nord de l'Afghanistan.

Les Grecs du Parti communiste (KKE) se sont illustrés par des

positions très particulières en politique étrangère. Elus en

1999 parce qu'ils s'étaient opposés aux frappes de l'OTAN

contre la Serbie, ils n'ont cessé d'afficher leur soutien à

Slobodan Milosevic, l'ancien chef de l'Etat yougoslave,

poursuivi pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité.

Ils ont été désavoués par Francis Wurtz, mais pas exclus. A

l'approche de l'élargissement, alors que la droite du

Parlement a condamné l'éventuelle présence d'anciens

communistes dans les institutions européennes, ils n'ont cessé

de dénoncer "l'oppression" dont seraient victimes les

russophones en Lettonie.

En matière législative, la Gauche unitaire européenne a eu peu

d'influence. Elle n'a pas obtenu de rapports très importants,

puisque ces derniers sont distribués de manière

proportionnelle aux effectifs des groupes. En outre, ses élus,

venus de dix pays différents, n'ont pas toujours voté de

manière homogène. Les Nordiques, par exemple, ont affiché une

sensibilité nettement plus écologiste que les Méditerranéens.

La petite taille du groupe n'a guère été compensée par sa

capacité à faire des compromis. Les "victoires" de la GUE ont

été obtenues grâce à d'autres groupes. C'est l'addition des

voix communistes, vertes, socialistes ainsi que d'élus de

droite provenant de circonscriptions maritimes, qui a permis

de rejeter une directive qui entendait soumettre les services

portuaires aux lois de la concurrence. Ce refus des compromis

a donné des résultats paradoxaux. Trouvant trop molle la

formule de condamnation de la guerre en Irak proposée par les

socialistes, les Verts et les libéraux en mars 2003, les

communistes l'ont rejetée, faisant ainsi le jeu de la droite,

anglaise, italienne ou espagnole, dont les gouvernements ont

approuvé l'intervention américaine. Furieux, Daniel

Cohn-Bendit, le président du groupe des Verts, s'en est alors

pris à ces "gauchistes qui veulent la révolution, et font

gagner la droite !".

Le Vert Alain Lipietz garde encore rancune aux "trotskistes"

d'avoir fait échouer un projet de taxe Tobin, en janvier 2000.

Alain Krivine (Ligue communiste révolutionnaire) s'est abstenu

de voter une motion qui demandait à la Commission d'envisager

une taxation des capitaux, parce qu'une disposition annexe

insistait sur la nécessité de "stabiliser" le système

capitaliste. Arlette Laguiller (Lutte ouvrière) a voté contre,

en expliquant qu'elle n'était pas là "pour réformer le

capitalisme".

Celui qui a sans doute le plus vanté la culture du compromis a

été le Français Philippe Herzog, élu en qualité de

"représentant de la société civile", puisqu'il a quitté le PCF

en 1996. Nommé rapporteur sur les services publics, il a

réclamé une directive-cadre qui les protégerait des lois de la

concurrence, mais il s'est heurté à une très vive opposition

de la droite et des libéraux. Il a néanmoins jugé préférable

d'avoir un texte amendé, qui "sauve les meubles" plutôt que

pas de texte du tout. Seuls, deux élus de la GUE l'ont suivi,

les autres ayant jugé son texte "dénaturé".

Rafaële Rivais

Divisions sur la future Constitution

Les élus de la GUE sont divisés sur les questions européennes,

comme l'a montré leur vote du 24 septembre 2003. Trois

eurodéputés ont voté pour le projet de Constitution, 24

contre, et 14 se sont abstenus. Presque tous les Français ont

voté contre, seuls Philippe Herzog et Fodé Sylla

(indépendants) s'étant abstenus. Les élus nordiques,

traditionnellement eurosceptiques, ainsi que ceux du Parti

communiste grec (KKE), hostiles à la construction européenne,

et ceux du Parti de la refondation communiste (PRC) italien

ont également voté contre.

La tête de liste du Parti du socialisme démocratique (PDS)

allemand, Sylvia-Yvonne Kaufmann, qui a été membre de la

Convention européenne, avait appelé le groupe à voter pour le

projet. Elle a fait machine arrière et s'est abstenue. Les

Espagnols de la Gauche unie (Izquierda Unida) se sont partagés

entre le vote pour et l'abstention. - (Corresp.)

• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 04.06.04