« renouer avec le duel télévisé »

A l'occasion des élections européennes, l'Espagne renoue avec

le duel télévisé

LE MONDE | 02.06.04 | 14h34

Pour la première fois depuis 1993, un face-à-face a opposé les

leaders de deux partis en campagne.

Madrid de notre correspondante

Rien n'avait été laissé au hasard pour ce face-à-face

télévisé, mardi 1er juin dans la soirée, entre l'ex-ministre

de l'intérieur, Jaime Mayor Oreja, tête de liste du Parti

populaire (PP) aux élections européennes, et son adversaire,

ancien secrétaire général du Parti socialiste (PSOE), Josep

Borrell.

C'était, il est vrai, le premier duel télévisé entre deux

candidats de partis en campagne depuis le débat qui avait

opposé, sur la chaîne privée Telecinco, en 1993, lors des

élections législatives, le président du gouvernement espagnol

de l'époque, le socialiste Felipe Gonzalez, et son adversaire

du Parti populaire, José Maria Aznar. Depuis, rien. Devenu

chef du gouvernement, M. Aznar avait toujours refusé de

débattre en direct avec les autres candidats lors des

élections. Attitude qu'avait adoptée le candidat à sa

succession à la tête du PP, Mariano Rajoy, lors de la dernière

campagne électorale.

Autant dire, justement après ces élections législatives

houleuses qui, dans le sillage des attentats du 11 mars à

Madrid, ont porté les socialistes au pouvoir, que l'attente

dans le public était très grande. L'événement, organisé à

nouveau par Telecinco, avait été préparé au détail près. Les

directeurs de campagne des deux candidats avaient même signé,

devant notaire, un document extrêmement précis qui a été

respecté à la lettre. Ainsi Jaime Mayor Oreja avait été

désigné par tirage au sort pour parler le premier, et, si un

second débat a lieu par la suite, ce sera au tour de Josep

Borrell de commencer.

Les thèmes abordés avaient été également fixés à l'avance :

sécurité et politique extérieure, puis questions espagnoles,

Union européenne et Constitution, et enfin politique

économique et sociale dans l'UE. De plus, chaque intervention

était minutée : une énorme pendule marquait en permanence le

compte à rebours.

On ne pouvait s'attendre, dans de telles conditions, à ce que

le débat sorte du cadre de la simple exposition du programme

de chacun. Deux minutes par ci, deux minutes par là, une

minute pour l'un, une minute pour l'autre, le téléspectateur a

pu simplement se rendre compte des divergences saillantes

entre les deux programmes.

M. Mayor Oreja, suivant la ligne marquée par l'ancien

président du gouvernement, José Maria Aznar, a insisté sur

deux points. En premier lieu, la défense des intérêts de

l'Espagne en Europe et, ensuite, les bons résultats

économiques des deux législatures du PP, qui ont permis à

l'Espagne de réaliser son équilibre budgétaire, de réduire le

chômage, de créer des emplois, et de se hisser pratiquement au

PIB moyen européen par habitant des pays de l'Union avant

l'élargissement.

TROP "FORMALISTE"

Il a également fait de l'immigration et du terrorisme les

préoccupations essentielles des Européens, proposant

d'appliquer en Europe la politique de lutte antiterroriste qui

a permis d'affaiblir, en Espagne, l'organisation séparatiste

basque armée, ETA, dont les attentats ont considérablement

diminué.

Plus offensif et mettant à profit la possibilité de répondre à

son adversaire point par point, M. Borrell, qui a participé

aux travaux de la Convention, a répliqué que les socialistes

espagnols voulaient, tout en défendant les intérêts nationaux,

construire une Europe unie et sûre, ainsi qu'une Europe

sociale, "pas seulement un marché libéralisé". Pour lui, le PP

a même accru le "déficit social" de 30 % avec les emplois

précaires ou l'augmentation des loyers.

Il a également reproché au précédent gouvernement d'avoir

"bloqué la Constitution espagnole", et "isolé l'Espagne en

Europe". M. Borrell n'a pas manqué non plus de revenir sur

l'appui inconditionnel de M. Aznar des positions américaines

dans le conflit irakien, en dépit de l'hostilité de la grande

majorité de l'opinion publique espagnole. Il a terminé en

demandant aux électeurs de se mobiliser pour que l'Espagne

puisse récupérer son rôle en Europe.

Ce premier débat trop "formaliste" a laissé les Espagnols sur

leur faim. D'autres pourraient avoir lieu, réunissant, cette

fois, les principaux candidats. En attendant, les sondages

donnent environ 6 points d'avance au PSOE.

Martine Silber

• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 03.06.04